Des morts illustres et des artistes vivants. Des hommages émouvants et des parodies joyeuses. Au coeur, l’amour créatif et épanoui de la danse, avec sur scène Eric Vu-An. Tantôt en démiurge chorégraphique qui use des notes de Paganini comme autant de liens invisibles manipulant au millimètre près les évolutions de ses danseurs. Tantôt en ancien apprenti reconnaissant qui fait célébrer la rencontre initiative, décisive, avec son maître spirituel, Maurice Béjart. Pour la deuxième soirée de la saison, le Directeur artistique des Ballets Nice Méditerranée nous a présenté un spectacle hors du commun. Au programme, un triptyque chorégraphique, respectivement dédié à Niccolo Paganini, à Maurice Béjart et à Guiseppe Verdi.
« La Campanella », création de Giorgio Mancini, restitue la virtuosité « diabolique » de la musique de Niccolo Paganini, décédé à Nice le 27 mai 1840. Il y a tout juste 170 ans. Condition imposée par le chorégraphe issu de l’Académie Nationale de danse de Rome, une figure méphistophélique incarnée par Eric Vu-An, drapé sur scène de rouge sanglant. Du mouvement final du Concerto pour Violon n°2 élaboré par le compositeur génois en 1826, la ritournelle frénétique suggère une mobilité extrême, géométriquement précise et gestuellement détaillée des parcours individuels. Le tout rythmé par d’expressives postures corporelles d’Eric Vu-An en diable triomphant et jouisseur invétéré de son emprise absolue sur les danseurs.
Après le pacte faustien, la rédemption. Dans « Cantate 51 », oeuvre de son maître spirituel Maurice Béjart créée en décembre 1969 à Bruxelles, la musique de Johann Sebatian Bach développe les thèmes de louange, de gloire et de résurrection. Entourés de deux anges à l’indicible grâce (Julia Bailet et Sophie Benoit), l’Archange Gabriel et la Vierge Marie (César Rubio Sancho et Céline Marcinno) s’élèvent dans un duo d’une spiritualité particulièrement exigeante. L’hommage de Eric Vu-An à son regretté maître et protecteur est sincère et vibrant. L’intensité de cette charge émotionnelle a toutefois pesé sur les danseurs, émus jusqu’au tremblement dans leurs attitudes scéniques et parfois déstabilisés dans leurs élévations.
Après l’effort, le réconfort. Celui-ci n’était d’ailleurs pas de tout repos pour les artistes. Contrairement aux apparences, la parodie chorégraphique sur l’Italie élaborée par Luciano Cannito suppose une maîtrise supérieure de l’art scénique pour oser une « distance jubilatoire ». « Viva Verdi » propose ainsi un pot-pourri des clichés culturels italiens habilement sinon subtilement mis en scène par ce napolitain qui compte déjà à son actif quarante-cinq ballets et trois comédies musicales. Pas de deux des plus classiques qui dérapent en cours de route pour se muer en fièvre du samedi soir magistralement interprétée par le soliste Jean-Sébastien Colau. Lequel allie ostensiblement amour épanoui de la danse et passion de la Commedia dell’arte. Ses duos complices avec Veronica Columbo où les deux danseurs aux visages irradiés de joie, communiquent leur bonheur au public, resteront, au-delà des épisodes facétieux du spectacle, un moment fort de cette troisième partie.
A l’évidence, le travail entrepris il y a à peine quelques mois par Eric Vu-An porte déjà ses fruits. Compte tenu des audacieuses créations annoncées par le Directeur artistique du Ballet lors de la présentation de la Saison 2010-2011 (« Marco Polo » du même Luciano Cannito, « Don Quichotte », « En Sol » sur une musique de Maurice Ravel dans une chorégraphie de Jérôme Robbins, « Création » de Lucinda Childs, « The Envelope » de David Parsons -le chorégraphe de West Side Story- et « Sylvia » sur une musique de Leo Delibes), le public n’est sûrement pas au bout de ses divines surprises.
Photos: Dominique Jaussein