« J’ai voulu créer une voie d’accès directe au contrat à durée indéterminée: le contrat première embauche », déclare le Premier ministre le 16 janvier lors d’une conférence de presse à Matignon. Il présentait la « deuxième étape » de son plan pour l’emploi, ciblé sur le chômage des jeunes. Le 10 avril, après trois mois de crise sociale, de mobilisations syndicales, étudiantes et lycéennes, Dominique de Villepin, jusque là inflexible, cède et retire l’article 8 de sa loi sur l’égalité des chances. En trois mots, le CPE est mort. Le président Jacques Chirac a décidé, précédant l’intervention du chef du gouvernement « de remplacer l’article 8 de la loi sur l’égalité des chances », qui créait le contrat première embauche, « par un dispositif en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté ». Dominique de Villepin a proposé dans sa conférence de presse à Matignon « aux partenaires sociaux d’engager une discussion sans a priori sur la sécurisation des parcours professionnels, la précarité et l’insertion des jeunes dans l’emploi. »
La rue a été entendue. Les syndicats sont satisfaits. La Confédération Etudiante appelle la levée des blocus des facultés et même si Bruno Juillard, président de l’Unef, souhaite maintenir la pression et la manifestation du 11 avril dans de nombreuses villes françaises, la « crise CPE » s’achève par la « reculade » (terme employé par Philippe de Villiers) de Dominique de Villepin.
La France en sortira-t-elle indemne ? Certainement pas. La crise du politique sera pérenne. Dans le Journal du Dimanche, l’ancien Président Valéry Giscard d’Estaing interprète cette crise comme « une désorganisation des institutions atteignant un niveau inconnu depuis le début de la Vème République ». C’est toutefois sans rappeler les tourments fréquents que connut la IVème République. Un temps que les moins de soixante ans n’ont pas vécu où la voix du pouvoir décisionnel avait du mal à se faire entendre au dessus d’un brouhaha institutionnalisé. Le 10 avril 2006 qui a décidé de la fin du CPE ? Le président Jacques Chirac, lassé de l’anti-réformisme français ? Dominique de Villepin, qui a enfin compris comment un chef du gouvernement devait gouverner ? Nicolas Sarkozy qui ne voulait pas d’une réforme qui n’était pas la sienne et dont la popularité fait que tout son parti se rallie à lui par sécurité de l’emploi électoral ? Les syndicats tout simplement qui par la forte mobilisation qu’ils ont su provoquer (3 millions de manifestants) ont légitimé leurs convictions politiques ? La jeunesse soucieuse de construire elle-même son avenir ? Ambiance IVème République…
Le pouvoir a été chahuté parce qu’il n’a pas respecté les citoyens. Dominique de Villepin s’est excusé lundi « d’avoir voulu agir vite, parce que la situation dramatique et le désespoir de beaucoup de jeunes l’exigent, d’avoir proposé une solution forte, par conviction qu’au delà de l’engagement nécessaire de l’Etat, seul un meilleur équilibre entre plus de souplesse pour l’employeur et plus de sécurité pour les salariés nous permettra de rompre avec le chômage dans notre pays. Cela n’a pas été compris par tous». Il le regrette. Il concède par ses mots son amateurisme politique, sa naïveté (pour être moins sévère) et surtout sa méconnaissance du terrain. En oubliant la loi Fillon de 2004 qui oblige le dialogue avec les syndicats pour toute modification du Code du Travail, en utilisant le 49.3 pour faire voter le CPE par le parlement, il a fait oublier sa douceur des mots et sa nature diplomatique pour ne laisser transparaître que sa fierté. Il s’est fragilisé. Il s’est isolé. Il s’est perdu. Comme un suicide politique. Aujourd’hui, Dominique de Villepin a placé l’intérêt général de la Nation au-dessus de son propre Ego. Ce sentiment que peut-être les Français éprouveront le sauvera.
Le débat est désormais ouvert. Le Président de la République, le Gouvernement, les Syndicats, les Etudiants, et l’Opposition sont responsables de ce conflit de trois mois. Face à leur responsabilité, ils devront s’écouter, proposer et se comprendre. « Notre responsabilité, c’est de préparer l’avenir de notre pays. Je souhaite que nous nous retrouvions tous ensemble pour avancer ». C’est le souhait de Dominique de Villepin. C’est le souhait partagé par tous. Mais n’est-ce pas trop tard?
Nice-Première : Analysez-vous la modification de l’article 8 de la loi sur l’égalité des chances comme une victoire de la rue?
Dominique Boy-Mottard, conseillère générale PS : Je l’analyse comme une victoire de la jeunesse et de toutes celles et
ceux qui croient aux valeurs républicaines et à la nécessité d’un vrai droit du travail. La rue n’a été qu’un instrument qui a contribué au rapport de force à partir du moment où le gouvernement a tenté d’imposer une « réforme » dont les principaux intéressés ne voulaient pas. D’ailleurs, les manifestations n’ont été que la face visible du véritable travail en profondeur qui a été fait par les jeunes dans les lycées et les universités : j’ai pu personnellement constater qu’à l’Université les AG organisées par les organisations étudiantes ont été l’occasion de discuter très sérieusement, non seulement du CPE mais aussi, au-delà, du droit du travail. Cela dit, on a le sentiment d’un énorme gâchis. Les tensions qui existent à la tête de l’Etat et au sein de la majorité UMP ont conduit à la gestion déplorable d’une crise qu’ils avaient eux-mêmes provoquée. Il aurait quand même été beaucoup plus sain de négocier d’abord…
Jean-Christophe Picard, porte-parole fédéral du Parti Radical de Gauche : Hélas, oui ! Il aurait été plus judicieux que cela soit une victoire du bon sens après une phase préalable de concertation… On aurait évité tout ce temps perdu, surtout pour les jeunes qui voient leur année scolaire perturbée. Dans une démocratie, les gouvernants ne peuvent pas ignorer les gouvernés.
Patrick Allemand, vice-président du conseil régional, premier secrétaire fédéral des Alpes-Maritimes du parti socialiste :Bien sûr, les mobilisations gigantesques de ces dernières semaines ont porté leurs fruits et ont fini par avoir raison de l’obstination aveugle du Premier Ministre. Mais il ne faut pas oublier que derrière les 3 millions de manifestants, il y avait également une « majorité silencieuse » contre le CPE. Tous les sondages ont été très clairs là-dessus. Plus que la rue, c’est le peuple français dans son ensemble qui a contraint le gouvernement à cette reculade.
NP : Le remplacement de cet article par « un dispositif en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté » est-il la bonne solution ?
DBM : Nous verrons lorsque nous connaîtrons plus en détail ce dispositif. En tout état de cause, il était important qu’on écarte ce contrat dérogatoire au droit du travail. L’idée d’un parcours en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté est une bonne chose. Mais il faut voir maintenant comment elle sera mise en oeuvre. Il serait nécessaire à mon sens que le gouvernement ne commette pas les mêmes erreurs que pour le CPE et qu’il discute des dispositions qu’il souhaite faire adopter avec les organisations syndicales avant de déposer un quelconque projet. Je n’ai pas l’impression cependant que ce soit pour l’heure la voie choisie…
JCP : Sur le principe, oui. Les entreprises doivent être incitées à employer des jeunes, non par l’allongement de la période d’essai ou la possibilité de licencier sans motif, mais par les allègements de charge salariale et sociale. Le PRG propose également d’autres mesures : prise en charge publique de 50 % du salaire minimum pendant un an des jeunes inscrits au chômage depuis au moins quatre mois, rétablissement des emplois-jeunes dans le secteur public et associatif… N’oublions pas le CNE qu’il conviendrait également de supprimer car, comme le CPE, il déroge à l’exigence de motivation du licenciement (garantie par l’Organisation internationale du travail).
PA : Il est trop tôt pour le dire car on ne connaît pas encore le contenu du nouvel article 8. Mais incontestablement, le retrait va dans le bon sens.
Je souhaite simplement que le gouvernement saisisse cette opportunité pour engager un véritable dialogue avec les syndicats, et non pour s’octroyer une sortie de crise qui pour l’instant apparaît un peu piteuse.
NP : Un débat ouvert sans à priori entre le gouvernement, les partenaires sociaux et les parlementaires de tout bord sur « la sécurisation des parcours professionnels, la précarité et l’insertion des jeunes dans l’emploi » est-il réellement possible ou est-ce une belle utopie?
DBM : Rien n’est impossible quand on a affaire à des gens responsables. Malheureusement, les représentants de cette majorité ont montré qu’ils ne l’étaient pas et qu’ils étaient davantage préoccupés par la gestion de leurs propres enjeux internes que par l’intérêt général. Je ne suis pas sûre que leur échec présent leur serve vraiment de leçon, mais j’espère vraiment me tromper. D’autre part, je crois qu’il faut aller plus loin que le débat sur le
CPE, car d’autres dispositions sont prévues qui, elles, ne sont pas, semble-t-il, abandonnées : l’apprentissage à quatorze ans, le travail de nuit à partir de quinze ans…
De façon plus générale, les organisations syndicales et les partis de gauche doivent rester mobilisés pour éviter que la droite ne continue à s’attaquer à notre droit du travail, car, avec le CPE, c’était bien ça qui était en jeu (et les premiers coups avaient été portés avec le
CNE…).
JCP : Il faut croire en l’utopie ! Comme disait André Malraux : « L’utopie, ce n’est pas le domaine de l’irréalisable, mais celui du pas encore réalisé. » D’autant plus qu’à mon sens, la principale qualité que doit avoir un responsable politique est de savoir écouter. Quant au fond, je pense que « la sécurisation des parcours professionnels » doit surtout insister sur l’orientation et la formation (initiale ou continue) des jeunes.
PA : Le dialogue social doit toujours être possible, quelles que soient les circonstances. Il en va de l’intérêt national. Mais force est de constater que le capital confiance du gouvernement auprès des partenaires sociaux a été sérieusement entamé dans cette affaire. A mon avis, le plus sage serait de laisser les choses en l’état et de faire de la précarité et de l’avenir des jeunes un des thèmes majeurs de l’élection présidentielle à venir.
NP : Pour finir si je dis « CPE » vous répondez ?
DBM : Cadeau Patrons Envolé (c’est un peu ça non ?)
JCP : C’était Pour Essayer !
PA : Je réponds immense gâchis. Même si la gauche semble renforcée par cette crise, je ne me réjouis pas car beaucoup de temps et de confiance ont été perdus pour revenir à la case départ. Tout ça à cause de l’entêtement d’un exécutif empêtré jusqu’au ridicule dans des luttes intestines et des stratégies personnelles.
Si l’on devait retenir quelque chose de cette affaire, c’est que même face à un gouvernement autoritaire comme celui-là, lorsqu’on défend une cause juste de façon unitaire, la victoire est possible.