Il faut s’en féliciter. Et s’en méfier à la fois. Les manifestations à Paris comme dans d’autres capitales en faveur de Sakineh, cette jeune femme iranienne condamnée à la lapidation pour adultère -l’autre procès pour complicité de meurtre sur son mari est en cours d’achèvement- dénotent d’un engouement aussi soudain que suspect pour la défense des droits de l’homme. Suspect car l’on a connu ces mêmes capitales parfois plus timorées sur le sujet.
Le fait qu’il s’agisse de la République islamique d’Iran, engagée dans la course à l’arme nucléaire, pèse certainement, comme l’affirme Téhéran, dans cette mobilisation : la communauté internationale semble décidée de multiplier les pressions de toute nature pour contraindre le régime des mollahs à de meilleures intentions. Sakineh est devenue un symbole. Mais c’est oublier avant elle Neda, jeune iranienne victime des manifestations de la « vague verte » réprimées dans le sang. Tout comme ses centaines de compatriotes assassinés et des milliers d’autres, aujourd’hui encore emprisonnés. Sans grande réaction officielle à ce moment là de pays qui veulent ces jours-ci apparaître comme des parangons de vertu démocratique. Sans parler aussi de Bibi Sanubar, cette veuve afghane condamnée par les Talibans à recevoir deux cents coups de fouet avant d’être exécutée en public pour être tombée enceinte et d’Aisha, une jeune fille de dix huit ans à qui l’on a coupé le nez pour s’être enfuie de chez sa belle-famille. Ne boudons certes pas l’initiative internationale mais ne nous y trompons pas non plus.
Des pérégrinations estivales au Proche-Orient ont d’ailleurs fourni à l’auteur de ces lignes l’occasion d’en parler abondamment avec de jeunes Iraniens. Curieusement, ces derniers tiennent pour responsables les « traditions culturelles », jugées « archaïques », de la Perse. Le régime des mollahs, m’ont expliqué en substance ces post-adolescents à peine sortis du service militaire, « s’appuie sur ces moeurs ancestrales pour renforcer et justifier les prescriptions comportementales islamiques ». Certes, mes interlocuteurs ne venaient pas des quartiers nord de Téhéran: dans ces derniers, de Shemiran à Shahrak-e Gharb, les nuits enfiévrées et alcoolisées de la jeunesse dorée subsistent grâce au versement régulier de pots de vin aux comités islamiques de quartier. Lesquels acceptent de ne pas entendre la musique occidentale qui parvient à franchir les murs élevés des somptueuses résidences. Il faut, me disait encore l’un de ces jeunes appartenant aux Sepah-e Pasdaran -le Corps des Gardiens de la révolution- « franchir un saut historique » pour trouver un « moyen de faire évoluer les mentalités ». « Si 75% de la jeunesse populaire en Iran soutient encore une personne comme le président Ahmadinejad », regrettait un autre jour, un couple de commerçants iraniens installés sur l’avenue Vali Asr, en plein centre de Téhéran, « c’est bien en raison des pesanteurs de leur éducation qui les éloignent de la modernité ». Entre les autorisations de sorties du territoire données au compte-goutte pour les plus jeunes et les maigres revenus financiers de beaucoup d’autres, le travail d’enkystement civilisationnel poursuit son oeuvre.
Une discussion plutôt tendue, entre deux de ces jeunes, fut à cet égard révélatrice: l’un avait acheté une carte de la région du Levant qu’il souhaitait offrir à un de ses amis à son retour en Iran. Toutes les mentions liées à l’existence d’Israël étaient biffées avec une sorte de typex artisanal et le jeune Iranien s’efforçait, en grattant, de faire réapparaître les noms et les appellations manquantes. L’autre s’opposait à ces efforts car l’ami en question auquel était destiné ce cadeau était farouchement anti israélien. Les deux échangeaient des arguments, tantôt sur le respect des convictions et des souffrances, tantôt sur le déni de la réalité et les nécessités de l’éducation.
Et l’un des jeunes de questionner l’autre: « raconteras-tu au retour à ta mère que tu as bu de l’alcool et que tu es sorti avec une fille? ». Embarras circonspect du premier. Triomphe modeste du second. Discrète tristesse du rédacteur de cet édito.