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22 novembre 2024

La honte… résultat de nos croyances

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Chacun d’entre nous a déjà ressenti de la honte au moins une fois dans sa vie. Le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik s’est intéressé à ce sentiment complexe dans son dernier ouvrage, « Mourir de dire : la honte ». À l’occasion de sa venue dans la cité azuréenne, le 12 février 2011, Nice Premium l’a interrogé sur ce poison de l’âme qui est en réalité le résultat de nos croyances.


boris-2.jpg Nice Premium : Pourquoi l’Homme s’empoisonne-t-il l’existence avec la honte ?

Boris Cyrulnik : Parce qu’il attache de l’importance au regard de l’autre. S’il se moquait du regard de l’autre, il n’aurait jamais honte. Puisqu’il attache de l’importance au regard de l’autre, il lui donne le pouvoir de lui faire honte. Cela veut dire que si j’étais seul au monde ou si je méprisais tout le monde, je n’aurais pas honte.

NP : Vous donnez aussi l’exemple des pervers qui n’ont jamais honte…

BC : Ils n’ont jamais honte. Pour eux, l’autre n’existe pas. Ils ne tiennent jamais compte de l’opinion des autres. Ils font des choses parfois choquantes et s’en moquent éperdument.

NP : Pourquoi avoir consacré un ouvrage à la honte ?

BC : Parce que les sociologues québécois ont travaillé sur ce qui empêche la résilience, c’est-à-dire la reprise d’un développement après un trauma. Ils ont trouvé 3 facteurs : l’isolement, le non-sens et la honte. Dans la honte c’est embêtant, car le sujet lui-même se place en situation de désocialisation. C’est le sujet lui-même qui empêche le processus de résilience en donnant trop de pouvoir au regard de l’autre.

NP : À partir de quel âge la honte prend-elle forme chez l’individu ?

BC : Dès l’instant où l’enfant devient capable de se représenter les représentations d’un autre, il peut avoir honte. Avant l’âge de 3/4 ans, les bébés n’ont pas honte parce qu’il n’y a pas d’autre. Ou plutôt, l’autre est en eux : si maman est triste, je suis triste, si elle est gaie, je suis gai, s’il elle se fâche, j’ai peur… Je suis ce qu’elle est ou ce que ma figure d’attachement est : mon père, ma mère, ma grande sœur, celui qui s’occupe de moi. Et à partir de l’âge de 4 ans, l’empathie devient adulte. Les enfants savent que ce qu’ils pensent eux n’est pas forcément ce que pensent les autres. À ce moment là, ils deviennent capables d’avoir honte parce qu’ils s’imaginent le regard de l’autre. Parfois, ils se l’imaginent à juste titre et parfois, à « faux titre ». Ils disent : je suis minable. Donc, l’autre pense que je suis minable. Je me sens minable. Donc, je pense que l’autre pense que je suis minable. C’est intersubjectif. L’autre le pense peut-être mais peut-être il ne le pense pas. Mais de toutes façons, puisque moi je pense qu’il le pense, je me sens mal.

NP : On peut avoir honte lorsqu’on réussit un examen, lorsqu’on appartient à une certaine catégorie sociale. Finalement, la honte est le résultat de nos croyances ?

BC : Exactement. C’est à dire que je crois que vous croyez, que vous pensez. Je me représente vos représentations. Vous croyez que je suis minable alors je m’efface, je me mets de côté et du coup, je me rends minable. Alors que si je pense que vous pensez que je suis admirable, je vais me sentir bien sous votre regard. Du coup, je ne vous donne pas ce pouvoir là sur moi puisque je crois que vous croyez que je suis merveilleux. Alors je me sens bien avec vous alors que vous pouvez très bien me mépriser mais je pense que vous m’admirez. À l’inverse, vous pouvez très bien ne pas me mépriser, mais je pense que vous me méprisez. C’est moi qui vous donne ce pouvoir.

NP : Avec le temps, la honte prend-elle une autre forme ?

BC : Avec le temps oui, à condition qu’on en fasse quelque chose, qu’on travaille sur soi et sur l’autre. Sur soi, pour se renforcer et sur l’autre pour lui dire attention, je ne suis pas celui ou celle que vous croyez. Alors que si je travaille sur moi pour me renforcer et sur l’autre pour changer l’image que l’autre a de moi, je n’ai plus besoin d’avoir honte ou exceptionnellement.

NP : Vous parlez notamment de la résilience et des tuteurs de résilience. Avoir un environnement sécure fait partie de l’évolution de l’individu ?

BC : Dès l’instant où j’ai une base de sécurité autour de moi, je prends confiance en moi et peux lutter contre la honte en me renforçant et en changeant le regard de l’autre. Mais si je n’ai pas de base de sécurité autour de moi, je me sens tout seul, je perds confiance en moi, j’aggrave le sentiment de honte en m’effaçant ou en donnant à l’autre un pouvoir qu’il ne réclame pas. Et dans les 2 cas, je me sens de plus en plus mal. C’est-à-dire que si j’aie une base de sécurité autour de moi, je donne au temps le temps de lutter contre ce sentiment de honte. Et si je n’en ai pas, je m’enfonce dans la honte et me sens de plus en plus mal.

NP : Quel travail justement faut-il effectuer pour se débarrasser de la honte ?

BC : Il faut se renforcer, prendre l’habitude de travailler son image et modifier l’image de l’autre en lui expliquant, en compensant. La compensation peut aussi être un masque de la honte. Par exemple, quelqu’un qui a honte d’être pauvre va vouloir gagner beaucoup d’argent. Il va tout faire pour en gagner. Alors il va peut-être en gagner. Cela va masquer sa honte mais il ne va pas se rendre plus fort pour autant. Donc, c’est un mécanisme de compensation. Beaucoup de pauvres sont honteux d’être pauvres. C’est la vie qui les a faits naître dans un milieu pauvre ou c’est un accident de la vie mais beaucoup de pauvres sont honteux d’être pauvres. Ou alors les enfants qui ont été abandonnés et qui sont mauvais à l’école par exemple. Ou ceux qui sont maltraités chez eux et qui sont mauvais à l’école. Ils ont honte d’être mauvais à l’école. Alors ils peuvent très bien la haïr ou au contraire compenser en travaillant anormalement bien. Ils deviennent anormalement bons élèves, renoncent à tout : à l’amitié, aux sorties pour devenir bons élèves. Ils compensent, sont en légitime défense mais ne règlent pas le problème de la honte. Ils n’ont pas plus confiance en eux pour autant.

NP : Vous parlez également de réussite et vous dites que ce n’est pas forcément quelque chose de positif…

BC : La réussite peut être sociale mais ce n’est pas forcément la réussite personnelle, l’épanouissement personnel. Beaucoup de gens qui ont des réussites intellectuelles, sociales, exceptionnelles, qu’on appelle en psychanalyse « les bénéfices secondaires de la névrose », renoncent à tout pour réussir : à la vie affective, amicale, aux distractions, etc. Ils ne pensent qu’à réussir. Alors, ils finissent par réussir mais à un prix humain très élevé parce qu’ils sont tout seuls. Donc, ils nient qu’ils réussissent. Ils ont réussi à réussir mais n’ont pas réussi à s’épanouir. On ne peut pas parler de résilience. La réussite sociale n’est pas un critère de résilience. En revanche, si la réussite sociale s’accompagne d’une réussite affective, intellectuelle, des choses de la vie alors là, on peut parler de résilience.

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