Notre consultant sur l’Afrique Macarie Dagry nous envoie une contribution concernant la situation en Côte d’Ivoire.
-Faut-il Garder L. Gbagbo en Côte d’Ivoire ou le laisser partir ?
La Côte d’Ivoire vit en ce moment des heures décisives et cruciales pour son avenir. Après avoir lâchement assassiné des populations civiles sans défense, on s’attendait à un affrontement brutal et violent entre les différentes forces armées opposées sur le terrain.
A la surprise générale, et tant mieux pour les populations civiles, les forces de défenses et de sécurité de L. Gbagbo désertent par centaines et se rallient aux forces républicaines ivoiriennes. C’est la débandade générale y compris au sein de l’état-major des armées. Il n’y a donc pas eu « l’enfer » prôné par L. Gbagbo à ses partisans. Bien au contraire, depuis plusieurs jours, il négocie une porte de sortie. L’accélération des évènements nous amène à croire que la bataille d’Abidjan n’aura donc pas lieu et nous nous en réjouissons.
L’histoire retiendra sûrement que nous avons réussi à éviter le scénario Rwandais. Cela fait maintenant plusieurs semaines que Gbagbo doit s’exprimer à la télévision et jusqu’à ce jour, personne ne l’a entendu, ne sait où il est et ce qu’il compte faire des milliers de jeunes qu’il a engagé dans une impasse suicidaire. Blé Goudé est introuvable ainsi que plusieurs Faucons de LMP. Dans une logique de pourrissement de la situation et de chaos, le régime Gbagbo a fait libérer tous les prisonniers des prisons Abidjanaises et des villes environnantes. Les négociations en cours sont en ce moment en faveur du président élu qui impose ses choix dans ce rapport de force qui est désormais à son avantage.
La nuit de mercredi à jeudi a été très longue et pleine de mouvements. Assis autour d’un repas, à la terrasse d’un restaurant, sur la Côte d’Azur et en compagnie du frère Venance Konan, nous nous interrogions sur la meilleure stratégie à adopter pour sauver la paix en Côte d’ivoire.
Et que doit-on faire de L. Gbagbo et de son épouse ?
Faut-il laisser L. Gbagbo partir en exil profiter de ses milliards avec son épouse ?
A ce stade des évènements, au moment où nous écrivons cette chronique, la question reste très ouverte et délicate. On pourrait tout simplement répondre que « l’essentiel pour sauver la démocratie ainsi que les libertés individuelles et collectives en Côte d’ivoire », serait que Gbagbo reconnaisse ADO comme président élu et demande pardon au peuple ivoirien pour ses erreurs politiques. En temps normal dans une démocratie, cette logique pourrait s’inscrire dans processus conventionnel démocratique.
Or, dans le cas de la Côte d’ivoire, les grilles d’analyses de la situation post-électorale sont complexes et lourdes de conséquences. Supposons que le nouveau pouvoir du président élu décide de laisser partir l’ancien chef d’Etat en exil avec son épouse. Comment vivront les populations meurtries par les barbaries et assassinats de ce régime depuis 2000. Cet acte politique du nouveau pouvoir pour lequel elles se sont sacrifiées ne risque-t-il pas de se retourner contre lui et son président ? Comment les traumatismes, deuils et blessures pourraient être pansés afin d’établir une réconciliation nationale ?
Certains observateurs politiques pensent que Gbagbo, une fois hors du pays, fort de ses cinq milliards d’euros planqués dans le monde selon un quotidien Suisse, pourrait tout faire pour déstabiliser le nouveau pouvoir. Cette hypothèse nous paraît peu plausible. Pour cela, il faudrait qu’il ait encore des relais sûrs au sein de l’armée et des forces de sécurité et de défense. On peut imaginer que toutes les défections des gradés de l’ancien pouvoir feront en sorte d’être loyaux et fiables au chef d’Etat nouvellement élu. Et pour cela ils devront donner des preuves de leur sincérité en faisant des révélations compromettantes afin de sauver leur tête.
Par exemple, Où est passé le Général Mathias Doué ? Pourquoi n’a-t-on plus de nouvelles de lui ? Il aurait dû se manifester et prendre part à ce rétablissement de l’Etat de droit et de la démocratie opérés par les forces républicaines. Pourquoi encore le général Philippe Mangou a semblé tant pris en otage au sein de l’état-major des forces de défense et de sécurité qu’il dirigeait sur le papier, mais dirigé dans la réalité par le général Dogbo Blé de la garde présidentielle ? Toutes ces interrogations rendent de fait très complexes des éventuelles prises de décisions concernant le fait de laisser partir le Boulanger qui a fini par se transformer en « Boucher des ténèbres ».
Faut garder L. Gbagbo en Côte d’Ivoire ? Et dans quel but ?
Les désastres ainsi que les exactions commises par le régime du « Boucher » pourraient plaider en faveur de cette décision afin que la justice fasse son travail. Cependant, dans une logique de recherche d’apaisement, de réconciliation des populations, de paix et dans l’esprit du vivre ensemble défendu par le président élu, le nouveau pouvoir peut légitimement décider de le garder en Côte d’Ivoire. Dans quels buts ?
D’une part, pour qu’il participe aux efforts de paix et de réconciliation. En tant qu’acteur majeur de la classe politique ivoirienne, il serait compréhensible qu’il contribue à ces efforts en s’impliquant personnellement de manière à donner l’exemple à ses partisans qu’il a armés et qui pourraient rester encore potentiellement dangereux. Pour le nouveau pouvoir, sa participation à cet effort de paix et de réconciliation peut être déterminante pour apaiser les tensions et les haines entre la population ivoirienne.
D’autre part, son maintien dans le pays pourrait répondre également à un souci de sécurité et de justice. Peut-être que le fait de l’avoir dans le pays sous surveillance peut éviter des éventuelles « manœuvres de déstabilisation » de l’ancien « Boulanger » reconverti en « Boucher ». La conséquence de cette décision si elle était prise, peut aussi avoir des effets contraires. En agissant ainsi, le pouvoir Ouattara pourrait ériger le « Boucher » en Martyr et créer de fait une situation encore plus confuse s’il n’est pas rapidement jugé pour les exactions commises depuis son accession au pouvoir « dans des conditions calamiteuses » selon ses propres termes.
Dans les deux hypothèses, tout dépendra de la volonté réelle et sincère de Gbagbo à collaborer et à faire en sorte que les Ivoiriens se réconcilient afin de reconstruire ensemble le pays. L’autre inconnue non négligeable dans ces deux cas de figure, reste les possibles révélations des anciens caciques de l’ancien régime qui chercheront à tout faire pour ne pas perdre leur train de vie ainsi que leurs situations sociales et économiques.
Ces révélations peuvent être aussi pour le nouveau pouvoir, des moyens supplémentaires de pressions sur L. Gbagbo afin de l’amener à contribuer sincèrement à la réconciliation des populations meurtries, endeuillées mais à la recherche de reconstruction psychique, sociale et existentielle.