Vladimir Khozine (délégué du Gouvernement de la Fédération de Russie en charge des biens et intérêts russes), accompagné de l’Ambassadeur de Russie en France, ont rencontré le maire de Nice dans le cadre juridique de la Cathédrale de Saint-Nicolas après que le Tribunal d’Appel d’Aix en a confirmé sa proprieté à l’Etat russe. Cette visite niçoise a définitivement permis de tourner la page de cette histoire qui oppose le petit poucet (l’association ACOR qui gère ce lieu de culte depuis plusieurs décennies en accord avec le Patriarcat de Costantinople) à l’ogre (la Fédération de Russie qui veut en concéder au Patriarcat de Moscou?). Apparemment cela ne fait aucun doute, même si tout le monde n’a pas renoncé au combat (voir notre encadré).
Mais entre les raisons juridiques et celles du cœur…le dernier mot n’est jamais dit !
Pour preuve, un cas similaire a eu lieu récemment en Italie, et plus précisément à Bari (capitale régionale des Pouilles) où une église russe, voulue par la Tzar Nicolas II, et dédiée à Saint-Nicolas fut construite à partir de 1913 et terminée après la Première Guerre Mondiale par l’ architecte Aleksej Viktorovic Scusev.
Après la Révolution Bolchevique, sa gestion fut assurée d’abord par une association locale et ensuite par la municipalité. Elle est considérée comme le symbole de l’union entre la civilisation de l’Europe orientale et les peuples du bassin oriental de la Méditerranée.
En 2009, le Président de la République Italienne Giorgio Napolitano rendit symboliquement les clefs de cette Église au Président de la Fédération de Russie Vladimir Medvedev, en présence du Nonce Apostolique du Saint-Siège qui représentait Sa Sainteté Benoit XVI.
CONTEXTE HISTORIQUE
Le 9 novembre 1865, à la suite du décès à Nice de son fils (le tsaréwitch Nicolas Alexandrowitch), l’Empereur de Russie Alexandre II acquérait une partie du vaste parc de la villa Bermond, à Nice.
L’Empereur fera ultérieurement construire à l’emplacement même de la chambre du défunt un mémorial avec chapelle commémorative.
La Communauté Russe de Nice, de plus en plus importante vers la fin du 19ème siècle, disposait, rue de Longchamp, d’un lieu de culte qui s’est révélé peu à peu insuffisant pour y accueillir tous les fidèles.
C’est ainsi qu’au début du siècle suivant, avec le soutien de Maria Feodorovna, veuve de l’Empereur Alexandre III et mère de Nicolas II, l’idée de la construction d’un nouveau lieu de culte a pris corps.
L’édification d’une cathédrale a alors été décidée par l’Empereur, qui a institué une « Commission impériale pour la construction d’une nouvelle église orthodoxe russe à Nice » afin d’étudier le projet, de recueillir les fonds nécessaires et de trouver un terrain pour y construire la nouvelle église.
Un terrain a été ainsi acquis dans le centre ville par la Commission en 1901, mais le projet a dû être abandonné car, imbibée d’eau, cette parcelle ne permettait pas de supporter un édifice de cette importance.
C’est alors que, le 21 juillet 1902, Nicolas II a décidé de mettre à disposition de la Commission le terrain sis Boulevard du Tsarévitch, acquis par l’Empereur Alexandre II.
Les travaux ont commencé dès l’année 1903
Entre 1904 et 1908, la Commission de construction a rencontré des difficultés, notamment financières, qui ont retardé et même suspendu temporairement les travaux, car les coûts de la construction avaient largement dépassé les prévisions.
Partant d’une estimation initiale à 200 000 F, portée en 1903 à 405 000 F la construction pu reprendre son cours grâce aux dons financiers, notamment de l’Empereur et du Prince Galitzine. Afin d’éviter de nouveaux errements dans la gestion des travaux, il décida de remanier la Commission de construction, à la tête de laquelle il nomma le même Prince Galitzine.
Parallèlement, l’Empereur décida d’officialiser le transfert de la propriété du terrain au Cabinet Impérial, et d’organiser les conditions juridiques de son occupation.
C’est ainsi que par ordonnance (oukase) du 20 décembre 1908, l’Empereur régnant de Russie a déclaré que le Cabinet Impérial devait être considéré comme le véritable propriétaire du terrain.
Puis, le 9 janvier 1909, par acte authentique reçu par Me Moriez, Notaire à Nice, le Baron Frederickz, Ministre de la Cour Impériale de Russie, a consenti à l’Administration Ecclésiastique Diocésaine de Saint-Pétersbourg, un bail emphytéotique [[ Le bail emphytéotique est conclu à des conditions avantageuses pour le preneur, qui s’engage en contrepartie à effectuer les travaux d’amélioration du bien loué. C’est un contrat de longue durée ; elle ne peut être inférieure à 18 ans et peut atteindre 99 ans.]] sur une partie du terrain de la Villa Bermond, d’une superficie de 2 950 m2, à charge par l’emphytéote d’entretenir l’église une fois l’édifice achevé.
Ce bail emphytéotique a été consenti et accepté pour quatre vingt dix-neuf années à compter du 1er janvier 1909, moyennant diverses charges et conditions.
L’extérieur de la Cathédrale était achevé durant l’année 1909 et sa décoration intérieure en 1912.
La Cathédrale était inaugurée et consacrée le 18 décembre 1912, au cours d’une cérémonie dont les journaux de l’époque ont écrit le faste.
C’est par acte du 10 juillet 1914 que la Cathédrale était officiellement remise au Clergé orthodoxe russe de Nice.
A compter de cette remise, l’Eglise orthodoxe russe représentée par l’administration diocésaine de Saint-Pétersbourg, elle-même représentée par l’Eglise Russe Orthodoxe de Nice, a administré l’édifice qu’elle était chargée de faire vivre et d’entretenir dans le cadre de ses obligations d’emphytéote.
Cependant l’Eglise orthodoxe russe a connu des changements importants à la suite de la Révolution d’Octobre.
Compte tenu de l’impossibilité de communication entre la Russie et les églises orthodoxes situées à l’étranger, l’administration des biens des églises russes en Europe Occidentale ne pouvait plus être assumée par le Métropolite de Saint Pétersbourg.
C’est dans ces conditions qu’à titre provisoire, et par intérim, le Métropolite Euloge a été chargé de « l’administration provisoire des Eglises Orthodoxes Russes en Europe Occidentale et notamment des Eglises qui se trouvent en France ».
En 1923, la Paroisse de Nice, qui administrait les biens de la Cathédrale sous la juridiction d’Euloge, s’est constituée en association cultuelle afin de se conformer aux règles d’administration générale des cultes qui avaient été instituées par la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905.
Par acte notarié du 13 mai 1927, le Métropolite Euloge, représentant l’emphytéote, a déclaré « attribuer en pleine propriété, en conformité de l’article 112 de la loi du 29 avril 1926 », à l’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice, plusieurs biens et droits réels dont l’administration suprême de l’Eglise orthodoxe de Russie était propriétaire ou locataire à Nice, savoir :
-la cathédrale russe et ses dépendances
-l’église de la rue de Longchamp et ses dépendances
-l’église du cimetière de Caucade et ses dépendances.
La Cathédrale Saint-Nicolas se trouve donc administrée depuis cette époque par l’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice.
Le bail emphytéotique est venu à expiration le 31 décembre 2007.
Dans la perspective de la fin du bail emphytéotique au 31 décembre 2007, la Fédération de Russie a, par requête en date du 25 novembre 2005, sollicité de Monsieur le Président du Tribunal la désignation d’un huissier de justice avec la mission notamment de dresser un constat de l’état de l’édifice (tant intérieur qu’extérieur) et du terrain sur lequel il a été construit, et un inventaire de tous biens meubles qui s’y trouvent, et de faire toutes constatations utiles à l’effet de permettre à la juridiction qui pourrait être saisie ultérieurement, de déterminer la charge des travaux de remise en état à effectuer su ou dans l’immeuble, ainsi que les immeubles par destination.
Par ordonnance en date du 25 novembre 2005, le Président a fait droit à cette requête.
Il a finalement été procédé, par les soins du Ministère français de la culture, à un inventaire du mobilier compris dans la Cathédrale, afin d’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
Cette décision de l’administration française s’est matérialisée par un arrêté du ministère de la culture en date du 4 avril 2007, dont la fédération de Russie, lorsqu’elle en a eu connaissance, a demandé la rectification car ses termes donnaient l’apparence de préjuger de la qualité de propriétaire de l’association défenderesse (recours gracieux du 2 juillet 2007).
Par un nouvel arrêté en date du 20 février 2008, le ministre de la culture a rectifié son précédent arrêté.
–POSITION FEDERATON DE RUSSIE
1 – Le terrain donné à bail emphytéotique par Nicolas II en 1909 était propriété d’Etat RUSSE
Le terrain appartenait à l’Etat russe impérial dès son acquisition par l’Empereur Alexandre II en 1865
Sa propriété est passée ensuite d’un Empereur régnant à l’autre jusqu’à Nicolas II
Nicolas II a, en 1908, confirmé que le terrain n’était pas un bien privé mais un bien impérial et désigné officiellement le Cabinet Impérial comme le véritable titulaire de sa propriété.
Le caractère de bien impérial du terrain s’est trouvé ultérieurement confirmé de façon constante par la publication de l’Oukase au fichier immobilier, par les correspondances officielles, par la signature et le contenu du bail emphytéotique et par les publications ultérieures.
2 – la propriété étatique du terrain a été régulièrement et légitimement transférée à la Fédération de Russie par une succession d’actes d’Etat réguliers et légitimes.
Le cabinet Impérial, organe d’Etat, était sous la tutelle du Ministère de la Cour Impériale.
Après l’abdication de Nicolas II et le renoncement du grand-duc Michel, le Gouvernement provisoire légitime a maintenu le Cabinet.
La fédération de Russie vient légalement et légitimement aux droits de l’Empire Russe et, partant, du bail emphytéotique.
Les actes invoqués par l’A.C.O.R. n’ont pu porter atteinte au droit de propriété de l’Etat Russe.
–POSITION DE L’ASSOCIATION CULTUELLE ORDHODOXE RUSSE
-l’acte notarié de 1927 donne la pleine propriété à l’association.
-prescription acquisitive au bénéfice de l’A.C.O.R.
-du fait de la Révolution, la fédération de Russie ne peut se considérer comme l’héritier des Tzar.
–LE POINT SUR LES PROCEDURES
1 – décision du Tribunal de Grande Instance de Nice du 20 janvier 2010 qui donne à l’Etat Russe la propriété intégrale du terrain, du bâtiment et de toutes les œuvres d’art et biens se trouvant à l’intérieur,
2 – la Cour d’Appel d’Aix en Provence a confirmé le 19 mai 2011 le jugement de l’instance :
« l’Etat de la Fédération de Russie est fondé à reprendre possession, à la suite de l’arrivée du terme du bail emphytéotique du 9 janvier 1909 survenue le 31 décembre 2007, du bien immobilier objet de ce bail, l’édifice dit « Cathédrale russe orthodoxe de Nice », estime la Cour d’Appel.
3 – l’association culturelle orthodoxe a fait part de son souhait de se pourvoir en cassation.