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22 novembre 2024

Le vin sur le divan

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Grand amateur de vin et de femmes…mais aussi de quelques jeunes échansons, le poète iranien Omar Khayam ( XI-XIIème siècle) célébrait l’amour de la vie dans ses célèbres Rubaïyat (strophes de quatre lignes) tout en interrogeant ses convives : « Si tu refuses le vin, qu’as-tu donc à dissimuler ? ». Il avait certainement saisi, tout comme les musulmans radicaux qui l’ont pourchassé jusqu’à sa mort, les liaisons aussi subtiles que dangereuses entre les productions de la vigne et celles de l’inconscient.

C’est l’ensemble de ces représentations qu’une psychologue, Céline Simonnet-Toussaint, nous rend aujourd’hui accessibles à travers une série d’enquêtes doublées d’entretiens effectués auprès de jeunes sur leurs relations avec l’alcool. Non sans une certaine audace, puisque, après tout, il ne lui a rien demandé, elle place d’office « le vin sur le divan ». Elle opère avec la complicité bienveillante des Editions Féret, au titre prestigieux comme il en existe dans le Bordelais, « d’éditeur du vin depuis 1812 ». Le vin, nous dit l’auteur, « raconte en partie l’histoire et la place du sujet dans la famille ». L’histoire inconsciente évidemment, celle-là même qui se découvre uniquement par bribes, par rejetons mais aussi par à-coup tel un accident dans la genèse et le développement de l’individu.

La doctorante s’intéresse évidemment au rite de passage à l’âge adulte constitué par la découverte du vin initiée par un plus ancien. Elle évoque, de manière plus symbolique encore, un moment charnière entre l’enfance et l’âge mûr : celui qui admet sinon invite la progéniture à quitter la table séparée des petits pour rejoindre celle des « grands » afin de découvrir ce qui jusque-là représentait un périmètre interdit. Interdit d’autant plus jouissif qu’il était parfois subrepticement transgressé à la fin des agapes familiales en vidant le fond des verres épargné par les adultes. Mais l’ouvrage possède également le mérite de mettre à jour le « penser », le « parler » et le « vivre » du vin. Véritable consécration d’une transmission inter-générationnelle qui construit le sujet, révèle ses conflits et l’aide à identifier son désir. Psychanalyse et gobelet se rejoignent un court instant : In vino veritas ! Il en va ainsi de la puissance structurante – réelle ou supposée – du lien familial autour de la possession ou de l’exploitation de la vigne. Le vin contribue, en outre selon l’auteur, au processus de « sexuation » : soit à l’occasion de sa dégustation « entre hommes » dans la cave du père, soit, pour la fille, dans son apprentissage du féminin en partageant avec sa mère les secrets culinaires près des fourneaux. Associée au repas où les places des convives trahissent les affinités électives, la consommation du vin aide ce dernier à « se raconter » et à affirmer, comme le souligne à juste titre Céline Simonnet-Toussaint, « une résistance identitaire face à une certaine mondialisation alimentaire ».

Et puis, il y a l’éprouvé du plaisir, tellement constitutif du caractère singulier et personnel de l’être humain. Plaisir répété du goût, seul des cinq sens qui « consomme son objet » et consacre la primauté – et sa toute puissance puisqu’on y revient à la fin de sa vie – du fantasme de l’oralité. Au passage, et comme pour écarter les critiques en ces temps de croisades tout azimut contre les bienfaits des jouissances terrestres, la psychologue tente de nous rassurer avec cette affirmation : les régions de France où l’alcoolisme fait des ravages, sont principalement celles où la vigne ne pousse pas. L’élégance de la culture fait obstacle à la vulgarité et incite au respect du produit. La pourriture noble du Botritis cinerea, nécessaire à l’élaboration du Sauternes de château Yquem, l’illustre parfaitement. De même ce souvenir personnel de l’auteur de ces lignes, réminiscence probablement due à l’actualité immédiate. Il eut lieu au début des années quatre-vingt lors de rencontres universitaires internationales organisées par le regretté Robert Lange, alors Président de l’association « Les amis de la République Française ». Reçus dans les caves du Baron de Lur Saluces à Yquem, deux de mes grands amis, un Chiite libanais de Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth et une jeune Israélienne professeur de diététique à l’Université de Tel-Aviv, – et accessoirement lieutenant de réserve dans Tsahal, fraternisèrent autour de la découverte et de la dégustation du précieux breuvage. Une rêverie diurne sans doute…

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