Ce n’était qu’une pantalonnade de plus, de celles qu’aime tant la République, depuis le scandale de Panama ou l’affaire des décorations vendues par le gendre du président Jules Grévy qui arrondissait ainsi ses fins de mois. Elles faisaient rire, certes jaune, et les auteurs boulevardiers s’en emparaient pour écrire des pièces divertissantes.
Mais depuis que la garde des Sceaux a annoncé le report de la révision constitutionnelle, cette affaire Benalla est devenue une affaire d’État. Une vraie, qui interroge.
Qu’un individu portant – abusivement – un brassard de police et un casque de CRS passe à tabac des manifestants sur une place de Paris est déjà inouï. Que ce tonton boxeur agisse devant de hauts gradés de la police est proprement inconcevable. Que ces derniers aient copié la vidéo de la scène pour la lui remettre dépasse l’entendement.
On comprend à quel point le ministre de l’Intérieur et le préfet de police de Paris, entendus par les députés, étaient dans leurs petits souliers, enfin conscients du caractère explosif de cet événement. La chaîne des responsabilités et toutes les conséquences devront en être tirées, c’est le minimum que l’on doit aux Français.
En tout cas, le pouvoir jupitérien est sérieusement ébranlé par cette affaire que personne n’avait vu venir. Sauf peut-être – mais ce n’est que supputation – par ceux qui ont attendu pendant deux mois et demi avant de balancer à la presse ces agissements. Ils ont bien choisi leur heure : après le Mondial de foot qui captait toutes les attentions, au moment où les élus allaient discuter de la réforme constitutionnelle et du projet de loi « Asile et immigration », deux sujets politiquement clivants.
Le pouvoir est désormais à la fois en position d’accusé et de faiblesse. En un mot fragilisé. Il ne peut en tous cas pas compter sur l’été pour espérer passer sans dégâts à travers cet orage dont la puissance est déjà dévastatrice. Pauvre Gérard Collomb, qui n’était au courant de pas grand chose à l’en croire, guère soutenu dans l’épreuve par son Premier ministre, resté silencieux jusqu’à ce qu’il soit apostrophé à l’Assemblée par les députés de l’opposition.
Même si le fait de garder le silence constitue encore la meilleure façon de ne pas dire de bêtises, l’exécutif et le président – directement mis en cause – ne pourront faire l’économie d’une explication.
À son époque, Valéry Giscard d’Estaing avait politiquement payé cash l’affaire des diamants en traitant ce dossier par le mépris. Il avait refusé de s’abaisser à se justifier (des années plus tard, il s’est d’ailleurs avéré que les cailloux n’avaient pas grande valeur). Les électeurs lui avaient offert le 10 mai 1981 un billet retour pour Chamalières.
Avant que les pots déjà cassés ne deviennent irréparables, Emmanuel Macron s’en est souvenu, endossant lundi soir – avec un ton martial pouvant être ressenti comme de l’arrogance – la responsabilité de l’affaire sans donner d’explications. Sera-ce suffisant ?
Jean-Marie Chevalier, Les Petites Affiches