Nice-Première : Le rapport Hetzel recommande aux universités de créer des partenariats avec le monde de l’entreprise afin que tout étudiant, à l’issue de la Licence, dispose des moyens nécessaires à l’insertion professionnelle. Il recommande un lien plus étroit entre entreprise et étudiants et préconise l’obligation dans toutes les licences d’un « projet professionnel personnalisé » pour l’année universitaire. Est-ce pour vous la solution ? L’entreprise doit-elle plus s’impliquer dans le cursus d’un étudiant ?
Albert Marouani : On a déjà appliqué la plupart des mesures de ce rapport Hetzel. La dimension d’insertion professionnelle et l’ouverture vers le monde de l’entreprise ont été un axe stratégique fort depuis mon installation et ma nomination. On a établi des partenariats et des conventions avec les organisations professionnelles et patronales. On a mis en place des systèmes conjoints de travail vis-à-vis de l’insertion. On a un D.U « insertion professionnelle », on a crée une dynamique en terme de stages, d’offres d’emploi, de préparation à l’insertion qui a anticipé le rapport Hetzel. C’est capital. L’insertion professionnelle a une dimension forte pour nous. On veut renforcer cette idée. Il faut généraliser les apprentissages des outils fondamentaux comme l’informatique, les langues, la rédaction d’un CV… On veut que les étudiants puissent trouver des stages rémunérés en passant des conventions avec les entreprises. Elles doivent reconnaître la valeur de nos diplômes quitte à les impliquer dans leur contenu. On essaie de faire aussi reconnaître nos diplômes en terme de qualification pour ne plus qu’on retrouve derrière une caisse de supermarché quelqu’un avec un DEA ou un DESS. L’entreprise doit le rémunérer par rapport à son niveau d’études et de qualifications. Souvent, on n’a pas cette reconnaissance.
On négocie. L’entreprise nous dit : « J’aurais besoin de quelqu’un qui a une licence en gestion mais en réalité je vais l’envoyer faire du marketing en Chine. Ce serait bien s’il pouvait avoir fait un peu de marketing ». On lui fera faire donc un peu de marketing. Si l’entreprise veut attaquer des marchés asiatiques ce serait bien que l’étudiant parle le chinois avec une connaissance de la culture. On proposera alors des formations adaptées puisqu’on a la compétence. Le projet personnel et professionnel c’est adapter. On a des licences et masters standard. On va y mettre le contenu adapté au profil et au projet de l’étudiant.
NP : Mais surtout à la demande des entreprises ?
AM : Oui. Et à la demande des entreprises de façon à ce qu’elles nous disent si ça leur convient.
NP : Pour ne plus que les entreprises refusent d’embaucher sous le prétexte qu’elles devraient financer une formation supplémentaire ?
AM : C’est exactement ça. Pour ne plus entendre : « ça ne nous convient pas. Il va falloir que je le forme ». Pour les stages, on n’empêchera pas certaines sociétés de fonctionner avec des stagiaires bénévoles et non payés. On n’a pas intérêt à ce que le diplôme soit dévalorisé. Notre logique c’est de ne pas laisser l’étudiant tout seul face au monde de l’entreprise. Il faut qu’on l’accompagne et qu’on prépare son insertion. Si on ne le faisait pas on manquerait à notre responsabilité envers des jeunes qui n’ont pas beaucoup d’expériences pouvant être démunis, ne sachant pas négocier dans un univers impitoyable où si on peut l’exploiter on l’exploitera.
Avec des entreprises citoyennes, et il en existe, avec le sens des responsabilités, il faut qu’on puisse aller au-delà avec pourquoi pas une action plus nationale de reconnaissance dans les conventions collectives.
NP : Avez-vous un partenariat avec la CCI ?
AM : Non pas la CCI mais l’UPE 06. On va mettre en place un conseil d’orientation stratégique avec des chefs d’entreprises d’IBM, d’Alcatel, de Texas, d’Amadeus… Ce conseil se réunira deux fois par an pour donner son avis sur les formations, les futurs métiers pour anticiper les évolutions.
NP : Que pensez-vous de la condition des étudiants : difficulté de se loger, obligation pour beaucoup de travailler à côté, les besoins augmentent… ? Jusqu’à quel point l’UNSA peut aider ces étudiants ?
AM : On a une possibilité d’intervention limitée. En effet, le logement étudiant c’est soit le CROUS soit le privé. On a passé une convention avec le CROUS pour mener par exemple des opérations de logement en ville. On peut passer une convention avec les municipalités pour permettre aux étudiants de trouver à se loger. On rentre alors dans des logiques où on se porte garant. Le conseil général est entrain aussi d’agir de manière assez forte dans ce domaine. On n’est pas acteur principal. On ne gère pas les logements universitaires.
On aide les étudiants en les employant dans des jobs internes à l’Université (dans la scolarité, en étant tuteur,…). On élargit le recrutement des vacataires au monde étudiant. L’espace Entreprise-Insertion professionnelle permet de recueillir les demandes de job d’étudiant et de les négocier avec l’entreprise pour ne pas que ce soit n’importe quoi comme emploi. Si elle passe par nous, elle ne pourra pas surexploiter l’étudiant.
NP : L’université est parfois décriée. On connaît la fameuse expression « voie de garage ». Est-elle surfaite ?
AM : Cette expression est fausse. On a certes un taux d’échec et de déperdition important au niveau littéraire en premier cycle. Là il faut réagir à la fois pour réduire ce taux d’échec et pour éviter qu’un trop grand nombre abandonne. C’est un point indiscutable c’est trop ! C’est lié au fait qu’on a des problèmes d’orientation et de choix des filières. On ne peut pas brader nos diplômes car ça irait à l’encontre de l’intérêt des étudiants. Par contre, il faut offrir la possibilité des étudiants en situation d’échec de réussir sur d’autres parcours.
D’un autre côté, si on regarde au niveau Master et Doctorat, l’étudiant s’insère parfaitement en moyenne au bout d’un an, un an et demi. Il faut aussi dire objectivement que la formation universitaire est la meilleure, meilleure que celle qu’offrent les écoles. Par exemple, avec une maîtrise d’histoire, vous ne pouvez pas avoir ailleurs des enseignants au même niveau que ce que vous avez eu à l’Université. Les écoles peuvent mieux encadrer, avec une meilleure capacité à trouver des débouchés mais il ne peut y avoir des enseignants supérieurs à ceux de l’université.
On a un public étudiant qu’il faut prendre tel qu’il est. On ne l’a pas sélectionné. Une grande école va choisir les meilleurs bacheliers avec des mentions « très bien ». Il n’y a pas grand mérite dans ce cas d’avoir 90% de réussite. A l’Université, on a, en plus, souvent, des étudiants par défaut. Ils ont voulu s’inscrire en BTS, en IUT sans réussite et se rabattent sur une formation en pensant qu’elle pourra l’intéresser ou se trouvent en situation d’attente. Le challenge de l’Université devient plus difficile. Les étudiants que l’on reçoit ne sont pas moins intelligents que les autres. Il faut simplement qu’on trouve pour eux le bon parcours qui convient à leurs compétences et à leur projet. On a beaucoup d’exemples d’étudiants un peu en difficulté en première année et qui se sont révélés plus tard être d’excellents chercheurs. Rien n’est joué à l’avance. Notre système a tendance à être incapable d’avoir une vision sélective du public étudiant. On met dans des normes et on broie dans des normes. C’est pour ça qu’il y a des taux d’échec importants.
NP : D’où l’intérêt de mettre une information en amont au lycée pour que le futur étudiant sache s’il sera fait ou non pour les études supérieures ?
AM : En même temps, il ne faut pas les mettre dans des voies. Les différences de parcours ne sont pas des différences de niveau. Donner des indications, et ce sera le débat en janvier et février, aux étudiants sur leurs chances de réussites à partir du bac sur un certain nombre de filière, est une évidence. Par exemple pour un bac pro, le taux de réussite en fac de sciences est de 0%. S’il veut faire médecine c’est pareil, il va se planter.
NP : Il faudrait peut-être l’en empêcher…
AM : On ne pourra pas l’en empêcher s’il veut s’inscrire malgré tout. Vous parlez de sélection. C’est avec les tarifs d’inscription le deuxième sujet tabou. C’est politiquement incorrect de les aborder. Les hommes politiques ne se risqueront pas de les aborder juste avant les élections. La sélection qui consisterait à empêcher quelqu’un de faire des études supérieures ce n’est pas bien non plus. Il faut donner sa chance à tout le monde. C’est comme un menu dans un très bon restaurant. Vous pouvez bien manger mais vous digérez mal la viande. Vous pourrez demander un menu végétarien qui sera excellent lui aussi. Il faut avoir la possibilité de trouver dans la multiplicité des compétences la possibilité pour chacun de composer un menu qui soit adapté à ses goûts et à ses projets.
NP : Avec le recul, que retenez vous de la crise anti-CPE ? Voyez vous des séquelles dans le niveau des étudiants mais aussi dans l’ambiance ?
AM : La crise a été localisée à Nice notamment à la fac de lettres. Cela a duré deux semaines et demie. Les enseignants ont rattrapé. Les étudiants ont passé leur examen. Je n’ai pas constaté dans les statistiques plus d’échec.
Ceci dit, cela a révélé une inquiétude dans les filières considérées comme des filières sans perspectives professionnelles. Le CPE donnait l’impression que si on l’abrogeait on avait un emploi. Ce qui est faux. On n’a pas plus d’emplois. Il y a eu comme une confusion. Les étudiants pensaient qu’en sortant de l’Université, ils avaient un emploi et que le CPE ne le leur garantissait plus et les mettait dans une situation de précarité. Cela révélait surtout une inquiétude de l’avenir. Les jeunes sont aujourd’hui dans une situation plus difficile que ceux de ma génération malgré une qualification et une formation, contrairement à ce que l’on dit, supérieures. Ils ont moins de compétences dans les domaines généralistes, dans la culture. Cette crise a donné l’impression au grand public que l’Université était le lieu où on formait des étudiants en situation d’échec.
J’ai été marqué par la fermeture des locaux universitaires. Bloquer les bâtiments et empêcher les autres d’y entrer cela ramenait ce mouvement de réflexion à une poignée : ceux qui étaient mobilisés. Les autres restaient chez eux. Les enseignants ont eux aussi déserté. L’Université était devenue un lieu de non discussion. Les étudiants ont du mal à trouver des formes d’expression différente. Toute l’institution universitaire a du mal à permettre des débats de fond de ce type en aidant les étudiants à formuler leurs inquiétudes et revendications. Cela montre aussi que le public étudiant est aussi éclaté que l’Université. Les étudiants en Médecine ou en droit, polytechnique sont moins concernés que les étudiants de Lettres.
NP : Et de Psycho également…
AM : En Psycho c’est un vrai problème. Il y a un sureffectif considérable. On sait bien qu’il n’y aura pas autant de psychologues sur le marché de l’emploi. On ne peut rien faire. C’est là que l’orientation personnalisée peut peut-être permettre une solution pour éviter que certains aillent dans une voie de garage.
NP : On peut évoquer le problème de la représentativité des étudiants. Les Anti-Anti CPE ont soulevé l’absence de légitimité de ce qui agissait. Un constat : les étudiants ne participent pas aux élections de représentation. Comment y remédier ?
AM : C’est un problème général. Ca révèle un côté sociologique, individualiste dans une société où chacun doit jouer sa chance tout seul. Le collectif a moins d’importance.
Il y a un élément temporel. L’Université ne valorise pas l’engagement étudiant. L’étudiant s’engage pour les autres, prend du temps sur ses révisions et l’Université ne reconnaît pas ça comme une formation. On a décidé un système original qui est une unité d’enseignement libre dans laquelle l’étudiant qui s’engage peut avoir quelques cours sur la démocratie, les institutions universitaires mais aussi la prise de parole, intervenir dans un débat… Cela lui accorde des points en plus.
Pour les votes, on mettra des nouveaux moyens d’informer les étudiants des enjeux. On essaiera de faciliter le vote à la sortie d’un amphi. Si personne ne vous montre que c’est intéressant de voter, on ne vote pas.
NP : Avez-vous un devoir citoyen à remplir à l’approche des élections de 2007 pour inciter les étudiants à s’inscrire sur les listes électorales et dans cette perspective des débats sont-ils prévus au sein de l’UNSA ?
AM : On peut faire des appels au vote. Cela passe par les enseignants. Même si ce serait souhaitable, on ne peut pas organiser de débats politiques car ce serait ingérable. Une campagne Nationale d’incitation dans les Universités à s’inscrire sur les listes électorales avec des affichages serait une bonne idée.
Entretien publié le 30 octobre : https://www.nicepremium.fr/article/albert-marouani-etat-des-lieux-de-l-universite-(premier-chapitre).1290.html