Le 3 août 2014, on apprenait l’abandon d’un nouveau-né trisomique par ses parents australiens. Né d’une mère porteuse thaïlandaise, lui et sa sœur jumelle Pipah – pour sa part en bonne santé-, Grammy aurait été abandonné délibérément par ses parents. C’est en tout cas ce qu’avance Pattaramon Chanbua, la mère porteuse. Peur de devoir assumer un enfant handicapé ? Crainte du regard des autres ? Manque d’information au sujet de la Trisomie ? Absence d’accompagnement financier des parents d’enfants handicapés ? Autant de questions se posent pour tenter de comprendre cet acte qui a agité l’opinion publique internationale.
Pour tenter de comprendre ces cas d’abandons, le Docteur Elizabeth Simon, gynécologue et obstétricienne à Nice, apporte un éclairage.
Concrètement, qu’est-ce que la trisomie 21 ?
La trisomie 21 (mongolisme) est une anomalie génétique liée à la présence de trois chromosomes 21 au lieu de deux. Il existe deux autres types de trisomie, la 13 et la 18 mais ces enfants ne sont pas viables.
Cette anomalie représente environ une naissance sur 800.
Existe-t-il un dépistage de la trisomie 21 pendant la grossesse ?
« En France, depuis le début des amniocentèses, dans les années 70, les médecins ont cherché sans cesse à améliorer ce dépistage. Il faut en effet, chez les patientes qui le souhaitent, dépister le plus d’enfants atteints sans augmenter le taux de pertes foetales liées à des gestes invasifs : amniocentèse (ponction de liquide amniotique) pratiquée à partir du deuxième trimestre et choriocentèse (biosie de trophoblaste, futur placenta) réalisable en fin de 1er trimestre mais geste plus technique. Ces prélèvements sont dits invasifs car ils ont un risque estimé de 0.5 à 1% de perte foetale.
Au début de la médecine fœtale, l’amniocentèse était proposée aux patientes ayant déjà eu un enfant atteint, puis on l’a proposée aux femmes de plus de 38 ans, et enfin quand il y avait des anomalies échographiques. Est apparu depuis une vingtaine d’années l’appoint des marqueurs sériques, prise de sang qui était réalisée au cours du deuxième trimestre, donc tardivement.
Actuellement, comment se passe ce dépistage, en quoi consiste-t-il ?
Depuis quelques années, le mode de dépistage a changé. On propose, aux patientes qui le désirent, un calcul de risque.
Ce dépistage est réalisé en fin de premier trimestre et prend en compte son âge, une échographie qui prend une mesure au niveau du cou du bébé (la clarté nucale) et une prise de sang dosant deux protéines. Si le risque dépasse 1/250, on propose une choriocentèse ou une amniocentèse. Actuellement, on dépiste 80% des trisomies 21 avec moins de 5% de gestes invasifs. »
80%, un bilan plutôt satisfaisant ?
Oui, mais paradoxalement, nous n’assistons pas à une nette diminution des naissances d’enfants trisomiques.
Cela est dû probablement à l’augmentation progressif de l’âge maternel, mais aussi que le dépistage n’est pas désiré par tous les couples.
Un autre moyen de dépistage est apparu en France depuis décembre 2013, c’est le test non invasif: il permet d’éliminer une trisomie par une simple prise de sang maternelle. Ce test, véritable alternative aux prélèvements invasifs, n’est pas pris en charge par la sécurité sociale et ne peut être proposé qu’aux patientes à risque.
L’idée que ce test ADN puisse être proposé à tout le monde, renforcerait bien sûr notre démarche eugénique: c’est le futur proche.
Pensez-vous que les parents qui acceptent ou demande ce dépistage souhaiteraient interrompre la grossesse, dans le cas où il serait positif ?
Dans l’immense majorité des cas, quand des parents acceptent de faire le dépistage, c’est dans l’idée d’interrompre la grossesse si l’enfant est atteint. Cependant, un certain nombre de patientes refuse d’interrompre leur grossesse, pour des raisons religieuses, éthiques, morales, par exemple. D’autres patientes préfèrent quand même faire le dépistage et le prélèvement avant le diagnostique et se préparent à avoir un enfant différent.
Par ailleurs, depuis le mois de décembre, le laboratoire privé de génétique, CERBA, propose le diagnostique non invasif. Celui-ci existe aux États-Unis depuis longtemps et en Suisse également.
Il consiste à diagnostiquer les trois principales trisomies par une prise de sang. On remplace l’amniosynthèse qui se fait au début du quatrième mois. C’est un test d’ADN. Il se pratique uniquement après l’échographie et la prise de sang, dans le cas où un risque a été dépisté au préalable. Mais, c’est un examen non pris en charge par la sécurité sociale. Il coûte 800 euros.
A l’avenir, le diagnostic non invasif pour tous éviterait des fausses couches inutiles. Mieux encore : la thérapie génique, mais là c’est encore loin ! »
Dès lors, d’une part, le dépistage semble être efficient, même si des efforts restent encore à faire dans ce domaine. D’autre part, plusieurs paramètres sont à prendre en considération : les facteurs culturels, religieux, médicaux et financiers font souvent barrière à un dépistage plus efficace.
Ces cas d’abandon d’enfants ne constituent pas une exclusivité australienne. Isabelle Orsini, présidente de l’association Trisomie 21 à Nice raconte : « nous avons eu deux enfants trisomiques abandonnés. Ces deux enfants ont été adoptés par une famille. Actuellement, ils ont 20 ans.
Il doit évidemment y avoir d’autres cas, dont nous ne sommes pas forcément au courant à l’association. Il est difficile de savoir pourquoi on assiste à ce type de cas.
Lorsqu’un enfant trisomique est abandonné, on a tendance à croire que c’est à cause de son handicape. On pense que cela pourrait être du à la peur ou à la panique des parents. Mais on ne peut pas savoir les réelles raisons, d’autres facteurs propres à la famille entrent certainement en jeu », affirme Isabelle Orsini.
« Dans notre association, nous nous appuyons sur le droit commun pour aider nos enfants, comme le droit d’aller à l’école par exemple. Nous comptons 26 salariés, pas tous à temps plein et quelques bénévoles, dont des parents qui donnent de leur temps à l’association.
En 2003, nous avons ouvert un SESAD, un service d’éducation de soin et d’accompagnement à domicile. Actuellement, ce service suit 40 enfants.
En 2011, un service d’accompagnement médico-social (SASMA) a été mis en œuvre pour adultes handicapés pour suivre des jeunes de plus de 20 ans. On compte 26 jeunes, suivis par ce service. Dans ces deux services, nous travaillons avec des médecins, infirmiers, éducateurs spécialisés, psychomotriciens, ergothérapeutes et psychologues. », raconte la présidente de l’association.
L’objectif de l’association est d’accompagner les adultesd ans leur projet de vie, et les enfants, en ce qui concerne leur projet scolaire, depuis l’école jusqu’au lycée. « Les plus grands sont aidés en vue d’une insertion professionnelle. Nous les aidons également à être autonome, et à avoir leur propre appartement. Cela implique le fait qu’ils sachent gérer leurs courses, leur budget et se préparer un repas », explique-t-elle.
« Quand on accompagne une personne sur son projet de vie, c’est famille incluse. Une de notre philosophie est le triple partenariat. Nous travaillons en collaboration avec la personne, les professionnels et les parents. En tant que partenaires, nous recherchons constamment de meilleures idée ou moyens pour mener à bien cette collaboration et la faire évoluer. C’est important. », ajoute-t-elle.
Enfin, il ne faut pas oublier que toutes les personnes sont différents. Toutes ont des compétences, potentiels différents. Certaines sont plus scolaires que d’autres par exemple. L’accompagnement est par conséquent complètement individualisé. On parle du projet de vie de la personne. Notre but est que ces personnes vivent bien, à travers un certains nombre d’activités, aussi bien des loisirs, des arts appliqués que des activités scolaires », souligne Isabelle Orsini.