De l’aéroport Nice-Côte d’Azur à l’hôtel Park Inn, il y a un pas. Celui-ci est franchi quotidiennement par des hommes d’affaires, des représentants de sociétés dont le siège est installé aux alentours immédiats de l’aérogare. Raison de plus pour les remercier de leur fidélité. D’où l’invitation lancée jeudi dernier par Paola Valzoano, la Directrice générale de cet établissement, appel qui fut bien compris en dépit de son inimitable accent piémontais.
Compagnies aériennes (Lufthansa, Alitalia, Delta, Austrian…), organismes de tourisme, représentants de la Chambre de Commerce et d’Industrie, et comme le rappelait le Ministre Colbert, ceux qui les financent (Banques et Caisse d’épargne), personne ne manquait à l’appel. Proximité de Noël oblige, les invités sont repartis avec un grand sac rempli de nombreux cadeaux. Cette distribution de souvenirs était précédée d’un buffet organisé autour de thèmes liés à la nature. Eaux de Voss, cocktails à base d’Aloes dont le serveur s’époumonait à en vanter toutes les vertus…enfin presque. Et puis les vins du Château d’Aille en provenance d’un domaine varois regroupé autour d’une ancienne chapelle, confirmant au passage, les propos de l’écrivain Jacques Lacarrière dans son « Dictionnaire amoureux de la mythologie » (Plon 2006) : Dyonisos fut bien « le premier des dieux à passion ».
Et il suffisait d’entendre le jeune œnologue Pierre-Antoine Besson, tout droit débarqué du Mâconnais mais déjà amoureux de Nice, pour s’en convaincre. Mais qui dit Italie dit Arts. Et Paola avait bien fait les choses. La soirée consacrait les œuvres d’une artiste canadienne Carol Bruton. A l’image des invités de la soirée, c’est une grande voyageuse : enfance en Espagne, études en Angleterre, Beaux-Arts de Madrid et d’Edimbourg. Cela ne la satisfaisait sans doute pas. L’appel des grands espaces se fit entendre. L’Afrique et le Moyen-Orient, dont le Liban, deviendront au travers de nombreux séjours son terrain favori d’inspiration. Découvertes par François Louvel de la Galerie Flarts ( www.flarts.fr ), ses toiles, mélange de sable et d’huile, apparaissent comme autant de jardins japonais encadrés: sobres paysages finement peignés qui décrivent des courbes aussi onduleuses qu’apaisantes. Eprise de liberté absolue, elle se refuse à nommer ses tableaux, histoire de laisser au visiteur « son entière indépendance » tout en lui confiant la responsabilité d’une éventuelle appellation.
Comme ceux qu’elle a dû rencontrer au cours de ses longs périples, des horizons illimités suggèrent des visions dégagées du monde où l’on peut enfin, comme elle dit, « respirer sans penser ». Le sable, cette matière systématiquement utilisée comme une obsession, lui rappelle celui de son enfance. Il résiste mal à l’emprise : « Evacuer plutôt qu’enfermer » confirme l’artiste. Carol Bruton se rappelle qu’elle traînait sur les chantiers, y dérobant de cette matière dont on fabriquait les murs des maisons provinciales dans les environs de la capitale espagnole. L’usage limité des couleurs, « deux ou trois seulement » précise-t-elle, a également pour but de ne pas « coincer le regard » mais plutôt dérouter par leur mixité. Atmosphère d’autant plus aérienne que la peintre a délibérément exclu toute représentation d’intérieur, probablement par manque de luminosité, doublé de son malaise en cas d’absence de volume. Elle a trouvé ici la lumière et les contrastes dont elle avoue le besoin contemplatif, et qui, à l’image de Matisse, paraissent avoir définitivement scellé son destin sur Nice.
Deux vues du Colisée romain offrent un rare mélange d’un rouge particulièrement lumineux sans être agressif, et qui vient étonnamment épouser un ocre au reflets dorés d’une pureté digne des sables du désert. Confusion des souvenirs et des impressions mais harmonie plus que chaleureuse en retour.
Légèrement dissonant, mais qui s’en étonnera, un paysage de la Balagne corse, près de Montemaggiore, marqué par des accents d’un vert plus dru, plus rustique mais certainement plus authentique comme il sait l’être dans le jardin de l’île de Beauté.
Depuis son retour dans la fournaise des villes, Carole Bruton s’est émue de la détérioration écologique de notre environnement. Elle vient de terminer ce qu’elle appelle un « mélange » qu’elle a, dérogeant à son habitude, appelé « Comic space ». Sorte de morceau égaré d’un territoire lunaire par son bleuté sidéral ou détaché d’une des zones d’Islande où la NASA envoyait ses futurs astronautes pour s’entraîner. Triste comme un terrain érodé par la mer, aride comme une terre brûlée par la pollution, cette surface devenue rugueuse attire pourtant une main compatissante et pleine de douceur de l’artiste.
Même établie sur la Côte, Carole Bruton laisse ses toiles parcourir le vaste monde. Un autre de ses « mélanges » est exposé dans une des prestigieuses galeries de King’s Road à Londres. Tandis qu’un ouvrage publié dans la capitale britannique « At Home with art » de Tiddy Rowan (Editions Quadrille 2006) évoque plusieurs de ses œuvres. Après New York, Londres et Monaco, Carol Bruton semble pourtant décidée à poser une fois pour toutes ses bagages Baie des Anges. On ne s’en plaindra guère.
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Photos: Xavier Grimaldi (grimaldi.xavier@wanadoo.fr).