LUMIÈRE SILENCIEUSE
« Promets moi » (Promise me this) de Emir Kusturica
Le réalisateur bosno-serbe fait partie, avec notamment Almodovar et Kaurismaki, des rares réalisateurs contemporains qui ont inventé un univers à eux, bien à eux. Un monde pas tout à fait déconnecté de la réalité sociale et culturelle mais qui s’envole très souvent dans l’éther de la licence poétique. Sous forme de farce picaresque, ce « Promets moi » nous fait entrer de pleins pieds dans le Kustuland : on y voit un paysan envoyer son petit-fils en mission dans la ville voisine pour vendre une vache et trouver… une femme ! Dans des Balkans de nulle part (cette fois, on ne pourra pas reprocher à Kusturica son supposé nationalisme serbe), on retrouve les fanfares, les mafieux-ringards, les paysans rusés, les animaux généralement martyrisés, les belles pas toujours ingénues, les paysages sylvestres. Avec, en prime, quelques inventions savoureuses comme le chat-boomerang, la castration ludique où la Trabant limousine…
« Lumière silencieuse » (Stellet licht) de Carlos Reygadas
Le film du mexicain Reygadas sera pour moi la révélation du festival.
Johan marié et père de famille fait partie d’une communauté mennonite du nord du Mexique. Une communauté ultra religieuse (je peux en témoigner pour avoir visité un village mennonite en Australie, il y a quelques années… pas des rigolos !). En contradiction avec la loi de dieu Johan tombe amoureux d’une autre femme et commet le péché d’adultère. Cette histoire à la fois banale et située atteint très vite l’universel : nous sommes tous des mennonites mexicains ! Sur le remord, la culpabilité, la jalousie, l’amour, la fatalité, tout est dit dans ce film dont l’esthétique n’est pas sans nous rappeler celle du peintre américain Edward Hopper. Certaines scènes resteront gravées dans ma mémoire : la confession de Johan à son père pasteur, la toilette mortuaire, le bain en famille, le premier baiser adultère…
Pas de doute pour porter un regard aussi tendre et pitoyable sur ses semblables, ce Carlos doit être un type bien.
« Une vieille maîtresse » de Catherine Breillat
Ces sous Liaisons dangereuses ont probablement consterné le président Frears. Cette adaptation de Chloderlos de Laclos laisse en effet perplexe. L’originalité supposée du film repose tout entière sur le personnage sulfureux et le physique décalé de l’actrice Asia Argento. Mais le reste de la distribution est si mièvre et la réalisation si paresseuse qu’un seul mot vient à l’esprit pour qualifier l’entreprise : inutile.
Mungiu fait son Emir
Dimanche, il est dix-sept heures, le générique de fin de « La vieille maîtresse » défile encore, mais je sors rapidement de la salle Bazin pour trouver un endroit tranquille dans le bunker afin de me réunir d’urgence avec moi-même pour concocter un petit palmarès personnel deux heures avant le jury. En fait, la délibération est rapide. Pour moi cinq films se détachent spontanément du lot. Il ne me reste plus qu’à trouver un semblant de classement et cela donne :
1 – Lumière silencieuse
2 – Les chansons d’amour
3 – My blueberry nights
4 – 4 mois, 3 semaines et 2 jours
5 – Paranoid park
Vingt heures. Le jury vient de donner son palmarès. Je constate sans surprise que mes goûts ne sont pas très éloignés de ceux de l’équipe de Stephen Frears dont j’appréciais plutôt la composition. Je retrouve en effet trois des cinq films que j’avais sélectionnés dans mon palmarès.
Lumière silencieuse a le prix du jury (ex æquo avec Persépolis, que je n’ai pas vu, mais dont j’apprécie la BD).
Paranoid park (en fait surtout Gus Van Sant) a le prestigieux prix du soixantième anniversaire.
Et surtout, la Palme d’or est attribuée à 4 mois, 3 semaines et 2 jours du Roumain Cristian Mungiu. Une palme méritée qui me rappelle Papa est en voyage d’affaire, une palme déjà ancienne d’un certain Emir Kusturica. Au tour de Mungiu de penser que La vie est un miracle.