« les crises générées par Téhéran protègent plus qu’elles n’exposent le régime islamique tant que la communauté internationale les appréhende au coup par coup, indifférente au dessein qui les relie ». Le ton de l’ouvrage est donné. C’est celui d’un impitoyable réquisitoire qui contient également un appel pressant à prendre conscience des véritables intentions de l’Iran des Mollahs. Noblesse de l’héritage culturel perse ou tentatives de se doter de l’arme nucléaire, renouveau du cinéma iranien ou opposition apparente entre modérés et durs du régime, autant de sujets minutieusement analysés d’un bout à l’autre du livre sous deux angles. Outre le fait qu’ils constituent, selon les auteurs, de dramatiques obsessions qui enferment et aveuglent les iranologues, ils ne sont en réalité que des leurres destinés à tromper le monde et à permettre aux responsables religieux de la République islamique d’asseoir leur emprise sur le pays.
L’histoire, il est vrai, pourrait donner raison aux deux signataires de l’ouvrage: après la chape de plomb révolutionnaire « justifiée » par les années de guerre contre le voisin iraquien, toutes les tentatives d’ouverture guettées scrupuleusement par l’Occident comme l’Ouest le faisait déjà avec les nominations des dignitaires du Kremlin au temps de l’URSS, semblent avoir fait long feu. Et pour cause expliquent les auteurs. La République Islamique d’Iran ne peut s’autoriser la moindre évolution sans courir le risque d’un effondrement total. Sa stratégie consiste, aux yeux du monde, à « cultiver jusqu’à la caricature la rivalité au sommet de l’Etat islamique ». A peine élu Président en 1992, Hachemi Rafsandjani parcourt le territoire iranien en annonçant à grand renfort de discours publics, l’ouverture des entreprises aux capitaux étrangers. Cinq ans plus tard, un autre « réformateur modéré » en la personne de Mohammad Khatami accède au même poste et promet une ouverture, cette fois-ci en direction de la société civile. A deux reprises, l’Occident reprend espoir, vite douché par la réalité. Dans les deux cas, soulignent Ramine Kamrane et Frédéric Tellier, le « Majlis » et le « sommet » du régime, profondément attachés à la révolution de 1979 et au principe du gouvernement religieux, le Velayat-e faqih, bloquent les « reformes », verrouillent davantage les acquis et intensifient la « captation intégrale des richesses ».
A la différence des rigidités du système soviétique, toujours arc-bouté sur le déni dogmatique, le « totalitarisme » iranien épouse les fluctuations et évite les ruptures. L’adaptabilité notoire du chiisme joue d’une opacité des centres de décision, volontiers présentés comme éclatés et en compétition permanente. Les auteurs étayent leur démonstration à partir de trois exemples : le meurtre en prison de la journaliste irano-canadienne Zahra Kazémi, la confrontation avec les Occidentaux sur le dossier nucléaire et les propos pour le moins controversés du Président Ahmadinejad. Dans ces trois dossiers, expliquent-ils, « l’alibi de la minorité dédouane l’ensemble du système » : l’assassinat de la journaliste serait le fait isolé d’agents de renseignements, non d’une décision motivée politiquement, la question du nucléaire serait loin de faire l’unanimité au sein du régime, le Président iranien appartiendrait à une fraction minoritaire mais agissante. D’où les conclusions de leur étude : la « duplicité du régime est une faiblesse tournée en force » et les Etats-Unis sont dans leur lutte contre l’Iran en « retard d’une guerre froide ». Dans ce tableau apocalyptique dressé par les deux politologues, une note d’espoir subsiste à leurs yeux : le régime chutera de l’intérieur, miné par son incapacité à « contrôler loisirs et vie privée » et par la « corruption des forces » censées réprimer les « déviants ». En attendant la « durée vaut normalité ». Les iranologues, les « bons » comme les « mauvais », ont donc encore de beaux jours devant eux.
Ramine Kamrane et Frédéric Tellier, « Iran : les coulisses d’un totalitarisme », Coll. « Climats », Editions Flammarion, 2007, 228 p., 19 euros.