Que faire alors? Comment réagir avec force, montrer confiance en soi et avoir de l’audace pour remettre tout ce bon peuple sur les rails ?
Comment donner un sens à l’espérance collective pour des lendemains meilleurs ? Et le faire avec la sobriété que la situation et le contexte imposent ?
C’est alors à ce moment que normalement les décideurs politiques s’adressent aux conseillers en communication pour trouver la parade.
Et, souvent pour notre malheur, les conseillers en communication n’ont pas d’ idée mais une piètre contrefaçon parce que il ne faut pas oublier que ces personnes vivent souvent des situations qu’ils créent eux-mêmes.
Bien sur la communication politique est inévitable mais quand elle vide de sa substance même, la politique… Que dire ?
On est dans l’obligation de voir et de dire qu’il y a le réel danger que la politique se fasse phagocyter et devienne donc une caricature de ce qu’elle devrait être : valeurs, devoir d’appartenance, interprétation de la demande et des besoins des citoyens et capacité d’y répondre, gestion et d’organisation des responsabilités publiques par le biais des décisions.
Hélas, quelle meilleure diversion que de trouver un sujet à la fois ‘patriotique’ (le 150e anniversaire du rattachement de Nice à la France) et esthétique ( le buste de Marianne symbolise toujours la beauté idéale ) pour donner aux citoyens un peu de piment dans leur vie et passer de la tristesse à la joie ?
On parle de l’ initiative de lancer un concours pour choisir une nouvelle Marianne municipale !!! Qui de plus sera élue par l’ensemble de la population via internet de manière à donner un ton volontairement démocratico-populaire.
Pour la petite histoire : la coutume d’installer une Marianne dans chaque mairie remonte au début de la IIIème République.
Il n’y a jamais eu de buste officiel de la République. Chaque sculpteur est libre de représenter Marianne à sa façon.
Que dit donc le règlement du concours ?
Fin octobre, un jury présélectionnera dix jeunes femmes.
Les Niçois découvriront leur visage sur le site internet de la Ville.
Ils seront ainsi associés aux choix final. L’heureuse élue prêtera ses traits au buste en plâtre qui sera réalisé par un plasticien de la région.
Pour participer, il faut avoir entre 18 et 25 ans, être née à Nice et se porter candidate au concours de la première Marianne niçoise : adresser en mairie un photo-portrait de face, une lettre de motivation (que représente Nice pour vous ?) et une photocopie de la carte d’identité. Un dossier à envoyer avant aujourd’hui 17 octobre par mail à : marianne@ville-nice.fr
L’initiative est séduisante et nul doute qu’elle connaitra un succès populaire voire populiste.
La recherche de la « dame » idéale est présente dans notre culture depuis que Dante Alighieri a écrit des sonnets inoubliables par leur lyrisme à l’adresse de Béatrice, la créature de ses rêves qu’il a idéalisée par son imagination.
Nous en ferons référence en citant quelques extraits des 31 sonnets qui composent l’œuvre juvénile du ‘summum poeta’, ‘Nova vita’ (écrite en vulgaris et dont nous éviterons la traduction pour laisser aux lecteurs le plaisir d’une lecture assez simple en original) qui dans laquelle la fascination de Béatrice assume un rôle symbolique tel celui qu’on peut attribuer à Marianne dans l’imaginaire collectif..
Mais ce concours impose tout de même quelques questions et réflexions concernant son déroulement :
Qui composera le jury et comment les jurés seront sélectionnés pour la première phase ?
Quelles compétences leur seront demandées vu qu’il s’agit d’examiner à la fois une photo et une lettre de motivation ? Devront-ils avoir un profil pluri-disciplinaire ou être des spécialistes ?
Seront-ils des experts des beaux-arts ou d’une discipline artistique, de la photographie et de l’image, des belles-lettres ou encore des psychologues de l’écriture ?
La question nous semble franchement complexe et pas facile à résoudre.
Nous attendons avec curiosité la suite.
Ne seront-ils que des hommes avec le risque que leur valorisation suit les traditionnels critères de l’homo gallicus masculin (N.V: ‘la gloriosa dama della mia mente’ ) ou, règle de parité exige, il y aura un nombre égal d’hommes et femmes avec le risque d’alimenter quelques cruautés entre ces madames quadra/ quinqua ou jeunes seniors…à la recherche du temps perdu et les jeunes fleurs (N.V: la vista sua fa ogni cosa umile’ ) ?
Quels seront les critères des choix ? Le règlement parle d’un photo-portrait de face mais il ne va pas plus loin. Cela reste un peu générique et met en cause les goûts personnels de chaque juré parce que, comme le disait le sage, il ne faut pas oublier que si nous étions des objets on serait objectifs mais puisque on est des sujets on est naturellement subjectifs.
De plus, et si la photo était modifiée (ce qui est facilement possible avec les technologies actuelles) de manière à retoucher les petits ou grands défauts dont notre nature en est l’origine ?
Autant de sujets qui, on n’en conviendra, pourraient être source de potentiels conflits pour ce choix qui s’annonce cornélien (‘cachez ce sein que je ne saurais voir’ disait Tartuffe qui bien connaissait la faiblesse de la nature humaine) .
Encore plus mystérieuse nous apparait la question de la lettre de motivation et la réponse à cette demande: que représente Nice pour vous ?
Le souvenir de Catherine Ségurane dans l’histoire de la Ville rend caduque, voir impossible toute référence à un geste héroïque, encore que figuratif.
Que reste-t-il aux candidates pour convaincre les juges de leur volonté d’être des citoyennes exemplaires, vaillantes, amoureuses et fidèles à leur Ville ?
Quelles preuves apporter ? Comment les convaincre d’être meilleure que les autres ?
Nul ne peut le prévoir. Il faudrait pouvoir pénétrer dans la subtilité de l’âme et de… l’action féminine pour essayer de donner une réponse à une demande qui reste sur les lèvres de tous ( N.V. :’d’esto core ardendo’).
Là aussi encore un doute : et si la lettre de motivation était écrite par une plume complaisante et ne reflétait pas la pensée sincère et motivée de la candidate ?
Donc, il existe, du moins de point de vue théorique, la possibilité qu’une candidate ait un visage retouché et une motivation qui pourrait ne pas être farine de son sac.
Comment donner au jury un moyen d’investigation et de détection de la vérité pour avoir les moyens d’exprimer un jugement responsable ?
A ce sujet une question parait plus que légitime, nous dirons indispensable parce que il est facile d’imaginer les contestations qui se manifesteront à l’annonce des résultats: a-t-on prévue la possibilité de faire appel aux décisions du jury ?
Passé ce premier stade de l’épreuve… les dix élues se retrouveront en face du choix du grand public (‘le grand frère’ de George Orwell dans son célèbre roman ‘1984’).
Et là…commencent nos doutes.
Qui nous garantira que le résultat sera effectivement celui voulu par les citoyens ( ou encore mieux des cyber-citoyens) et non celui de la candidate mieux organisée avec l’aide de parents, amis et, bien sur , admirateurs ?
Sans être des mal-pensants on voudra bien admettre que devenir la Marianne de Nice pour les prochaines décades vaut bien la peine de mettre de son côté le maximum de chances !
Imaginez-vous la joie de l’intéressée, la fierté des membres de la famille, le jalousie des copines et rivales en amour, la consternation des voisins ?
C’est un objectif tellement prisé qu’il nous oblige à demander quelles seront les garanties pour être certain que le scrutin sera sans fraudes ou trafic d’influence…nous ne voulons même pas songer à l’hypothèse d’achat de voix, voir de paris en ligne à l’aide de ces outils informatiques qui, de par leur dématérialisation, rendent tout possible!!!
Toujours George Orwell dans sa « La ferme des animaux » nous vient en secours: « tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’ autres ». Il suffit de changer les substantifs pour comprendre le péril qui nous incombe…à bon entendeur, salut !
Alors, après toutes ces réflexions, ces doutes et ces questions qui appellent des réponses…que faire ?
Il nous reste qu’à attendre et à participer avec enthousiasme à cette initiative que la mairie propose. Les temps sont complexes et parfois difficiles mais pourquoi se priver de cette occasion d’amusement ?
Pourquoi ne pas apprécier cette « déconnade créatrice » (comme disait un humoriste de renom) qui va agrémenter notre vie dans les prochaines semaines ?
La locution de Seneca « Semel in anno licet insanire » était bien appliquée par les romains qui étaient des conquérants mais aussi des bons vivants.
Auguste Vérola, adjoint à l’état civil, semble être au cœur du problème et nous reportons son interview paru dans la gazette locale :
« Depuis la Marianne ‘Brigitte Bardot’ qui date des années 1970, la Ville n’a pas acquis d’autres sculptures. Les deux autres (à l’hôtel de Ville trois bustes représentent aujourd’hui ce symbole de la République), beaucoup plus anciennes représentent des anonymes.
J’ai relégué celle à l’allure très martiale dans une petite salle. »
Sous quels traits imagine-t-il alors la Marianne du 150ème anniversaire du rattachement de Nice à la France : » Un visage nature, gracieux, joyeux et neutre. Il ne faudrait pas qu’elle ait des lèvres marquées, trop fines ou trop pulpeuses ». « Mirabile dictu », même si , ainsi exprimé, on dirait plutôt un cahier de charge plus qu’une définition de profil.
Mais si une candidate avait un nez à la Cléopâtre ou un cou à la Venus de Botticelli ou un sourire énigmatique comme celui de la Gioconda de Leonardo, voir l’expression sublime de l’Olympia de Manet ou celle séduisante de la Fornarina de Raphael ? Que faire?
Devant tant d’emphase et rigueur à la fois nous ne pouvons pas oublier un dernier sonnet de Dante (‘Nova Vita’): « e la sua beltade é di tanta virtute, di gentilezza, d’amor e di fede »
Telle, finalement, nous souhaitons la nouvelle Marianne niçoise!!!
Et à la bonne vôtre !