Au moment où la France n’a jamais eu autant besoin d’affirmer sa cohésion, la future proposition de loi d’Eric Ciotti d’inscrire « les racines chrétiennes » dans la Constitution est moralement injustifiable.
L’opportunisme de cette initiative et son but sont d’envoyer un message subliminal à un électorat catholique traditionaliste : la France est laïque et chrétienne ; et, tout le monde l’aura compris, elle n’est pas musulmane et elle ne se laissera pas imposer la charia, le foulard, la burqa, les minarets, le hallal, etc.
Une position qui sert aussi à cautionner des attitudes morales et politiques – pas seulement électorales – beaucoup plus contestables, comme le rejet de l’immigré et la détestation de l’islam.
On est bien loin de l’affirmation des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit.
Parlons justement des racines chrétiennes… amputées dans la version plus récente de la référence « judéo » qui l’accompagnait traditionnellement.
A propos du terme « judéo », il est toujours cynique d’entendre ces militants nationalistes parler de racine judéo-chrétienne quand on sait que le christianisme s’est largement construit en écrasant le judaïsme. D’ailleurs, jusqu’à il y a peu de temps, les Juifs étaient le peuple « déicide ».
Est-il nécessaire de rappeler que Saint Louis, le très chrétien, imposa aux Juifs de porter un signe distinctif ? Que lors de la Reconquista, les Juifs subirent de la part des Chrétiens, le même sort que les Musulmans ? Que les Juifs subirent des discriminations dans l’exercice des professions et même de leur liberté privée avec l’institution du ghetto ?
Est-il enfin nécessaire de rapporter, en France, l’affaire Dreyfus ou l’antisémitisme des années 30 et 40 ? Ou encore du gouvernement de Vichy et les rafles ?
Et puis dans « racines chrétiennes », de quel christianisme parle-t-on ? Depuis 1054, les Catholiques et les Orthodoxes se combattent. Les croisés ont même pillé Constantinople en 1204 ! Parle-t-on aussi des hérésies vaudoises ou cathares, de ces dizaines de milliers de Chrétiens tués car non Catholiques ? Parle-t-on du schisme entre Protestants et Catholiques qui provoqua de nombreux massacres comme la Saint Barthélémy et des guerres de religions telle la guerre de Trente Ans ( 1618 à 1648) qui fut une guerre civile européenne ?
Et encore , parle-t-on des courants chrétiens effacés de l’histoire et éliminés dans les premiers siècles car ils voyaient en Jésus un être éthéré (les gnostiques ou les marcionites par exemple) ?
Et que faire des autres « racines » de l’Europe et de la France ?
Si on pouvait interviewer les peuples christianisés de force comme les saxons, que penseraient-ils de cette notion de « racine chrétienne » ? Et que dire de ces druides, chamanes et autres sorcières condamnés, ostracisés ou brûlés car païens ? De ces sites de mégalithes et de menhirs détruits par les Chrétiens ?
Quelle serait la vie d’un Français « de souche » aujourd’hui, s’il n’y avait de racines que chrétiennes ?
Ce Français de souche sait-il que l’homo sapiens est arrivé en Europe il y a 44.000 ans soit 42.500 environ avant le baptême de Clovis ? Sait-il que ses ancêtres les Gaulois vénéraient des divinités multiples, qu’ils ont construit des villes et des villages bien avant l’arrivée du christianisme à Lyon dans le IIè siècle après J.C. ?
L’argumentaire est loin d’être exhaustif, tant la notion de racines chrétiennes des Français est vide de tout sens et de vérité historique
En paraphrasant, on pourrait dire que les Français, comme les autres peuples, n’ont pas de racines mais des origines.
Et heureusement, car ce sont les arbres qui ont des racines et sont figés sur place.
La France, dans la Déclaration des droits des hommes et des citoyens, affirme la liberté des individus à choisir comment ils veulent organiser leur vie dans le respect d’autrui.
Ne serait-il pas mieux de ne pas confondre le citoyen et le croyant ?
Pourquoi essayer de faire l’amalgame quand il n’y a pas lieu de le faire ?
C’est l’Evangile elle-même qui dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”
par Garibaldino