Dans une très récente déclaration, un responsable du Vatican a réaffirmé l’incompatibilité entre l’appartenance à la Franc-maçonnerie et l’Eglise catholique. Après les timides tentatives d’ouverture effectuées par son prédécesseur dans les années quatre-vingt, Benoît XVI paraît en revenir à une stricte interdiction qui place le franc-maçon en état de « péché grave » et le prive, s’il en manifestait le « désir », d’un accès à l’Eucharistie. La publication par les Editions Dervy d’un ouvrage sur les « textes fondateurs de la franc-maçonnerie » constitue à ce titre une pièce essentielle susceptible de nourrir les débats soulevés par ce dossier complexe. La lecture des quelque six cents pages de documents, traduits pour la première fois dans leur intégralité pour certains d’entre eux, sera de nature à éclairer tous ceux et celles, « initiés » ou « profanes » interpellés par les origines de la pensée et les méandres des rituels maçonniques. Avec un luxe de détails à même de rendre inexplicables les sanctions et l’opprobre dont ils sont, les premières comme les seconds, l’objet de la part du Vatican.
On semble bien loin en effet du « naturalisme rationaliste » ou du « climat de secret », deux des éléments pointés du doigt par Rome. Et même si un petit nombre de maçons, au sein d’obédiences françaises, est plus enclin à manifester dans la rue contre la venue du Pape qu’à consolider en loge son travail symbolique, la filiation de la maçonnerie avec une Tradition chrétienne si chère à René Guénon ou à Jean Tourniac, apparaît avec éclat dans cette étude menée par Philippe Langlet. Le fameux secret maçonnique, si secret il y a nous explique l’auteur, « ne réside sans doute pas là ». Ce spécialiste des sciences du langage nous permet de plonger dans l’« Ecossisme » des tout premiers textes, les « Statuts Schaw » rédigés à Edimbourg en 1598 et 1599 ainsi que dans d’autres manuscrits de la même période en bénéficiant d’une nouvelle traduction qui fait litière « d’acceptions devenues obsolètes ». Ces textes, présentés dans une double version française et anglo-écossaise facilement accessible, répondent à des finalités différentes. Les uns ont servi de « catéchisme », un enseignement à mémoriser en référence au « christianisme ambiant » et dans lequel les instructions maçonniques puisèrent, nous dit l’auteur, aussi bien « dans la forme que sur le fond ». D’autres, comme « a Mason’s examination » (le tuilage d’un maçon) représentaient, en 1723, la première divulgation maçonnique connue sous une forme imprimée et visaient, six années après la création de la Grande Loge de Londres, à présenter au « monde profane », les usages en cours au sein de ses ateliers.
On découvre ainsi que le serment des francs-maçons est prêté dès cette époque sur la Bible conjointement avec l’équerre et le compas. Que les références aux « Lumières », évoquées selon l’auteur pour la première fois dans le « manuscrit des archives d’Edimbourg » de 1696, sont susceptibles de renvoyer in fine aux trois flèches lumineuses d’une salle capitulaire cistercienne et symboliser la divine Trinité. Nombreuses, les mentions de l’Evangile johannique concernent notamment la parole et le nom, constitutifs de la « réception » de l’apprenti maçon. Evangile de Jean dont le prologue fait encore office, nous confie Philippe Langlet, de « Lumière » posée sur l’autel des serments dans la franc-maçonnerie contemporaine. Sans parler de l’existence d’un « Grand Architecte de l’Univers », présenté par certains maçons comme un « principe créateur ».
A la lecture de ce livre, le non-spécialiste et le profane se poseront finalement cette question : est-ce l’éloignement doctrinal et du rituel ou, au contraire, la trop grande proximité entre la Franc-maçonnerie et l’Eglise qui semble embarrasser les autorités ecclésiastiques ? Il n’est pas assuré que le franc-maçon comme le prélat puissent eux aussi apporter des éléments convaincants de réponse à cette interrogation.
Philippe Langlet, « Les textes fondateurs de la franc-maçonnerie », Coll. « Bibliothèque de la franc-maçonnerie », Editions Dervy, 2006, 607 p., 25 euros.