« Fred, rapplique tout de suite. Je suis au Port dans l’appartement d’une nouvelle victime. Fred, tu le connais bien, je crois ? Il s’agit de Franck Viano ».
Fred resta un instant interloqué et ce n’est que la main de Marine sur son épaule qui le ramena à la dure réalité. « Un nouveau meurtre vient d’avoir lieu… c’est un ami… » fit Fred qui avait le plus grand mal à retenir ses larmes.
« Fred, je suis sincèrement désolée » dit Marine d’une voix compatissante.
« Merci, viens j’ai garé ma moto à deux rues d’ici, j’ai le casque de mon fils, je t’amène » répondit Fred en rebroussant chemin vers la zone piétonne. Juste le temps d’arriver à la Guzzi et d’enfiler leur casque respectif que la moto était déjà sur la Promenade des Anglais en direction du port.
Un large cordon de police était déjà installé tout au long du boulevard Carnot quand Fred gara sa bécane dans le parking du club de Christophe Pinna, un autre de ses amis d’enfance. Céline les attendait en bas de l’immeuble et fut étonnée quand la passagère de son chef retira son casque et qu’elle reconnut l’experte parisienne. Elle enlaça Fred tout en lui glissant quelques mots réconfortants à son oreille.
« Venez, les autres nous attendent en haut. Vos collègues sont déjà arrivés Marine. » La première phrase était plutôt cordiale, la seconde, beaucoup moins.
C’est deux à deux que Fred monta les marches de l’escalier menant au troisième étage de l’immeuble. Deux policiers étaient en faction devant la porte d’entrée de l’appartement de Franck. Ils saluèrent tous deux leur supérieur qui entra directement sans même les regarder. En arrivant dans la cuisine, Fred eut une vision d’horreur. Cela faisait des années qu’il voyait des cadavres mais à la vue de celui de son ami, un haut-le-cœur l’envahit pour ne plus le lâcher de la journée.
Franck gisait à même le sol, le corps recouvert de plusieurs fruits, plantés un peu partout sur lui à la manière des chars de la Fête des citrons de la ville voisine de Menton. On trouvait des oranges, des pamplemousses, des kiwis ou encore des pommes. Fred resta figé sans pouvoir sortir le moindre mot de sa bouche.
« Fred, je suis vraiment désolé. » Jeff venait d’arriver dans la cuisine et s’était permis de passer son bras autour des épaules de son supérieur et finalement ami. « Je sais pourquoi il a été tué », parvinrent à moduler les cordes vocales de Fred, engourdies de chagrin. « Viens avec moi sur la terrasse Fred, on va en griller une. Tu es blanc comme un linge ». Vincent venait d’arriver sur la scène de crime. « Oui, allons-y. » Acquiesça Fred.
« Je venais juste de le voir, ce midi, chez Daniel. Je suis certain que ce nouveau meurtre est en rapport avec le pan bagnat sucré qu’a inventé Daniel. Franck venait tout juste de remporter l’émission « Un dîner presque parfait » en utilisant la recette de Daniel. Je pense que le tueur était aussi au courant et qu’il en a fait sa prochaine victime » analysa Fred en tirant comme un forcené sur sa cigarette.
« Il faut mettre en place une surveillance accrue autour de ton ami cuisinier » suggéra Vincent. « Oui, je vais demander à Céline d’organiser ça au plus vite. » répliqua Fred tout en rentrant à nouveau dans l’appartement.
Les légistes avaient terminé leurs prélèvements et le corps de Franck était déjà sur le brancard qui allait l’amener à la morgue. Fred s’approcha une dernière fois de son ami : « Je vais le retrouver Francky, je te jure que je mettrai la main sur cette enflure. ». L’assistant légiste remonta le drap bleuté sur le visage de la victime et le brancard disparut dans le couloir qui menait à la porte d’entrée.
« Je vais prévenir Daniel, c’est le parrain du fils de Franck. Je crois que c’est mieux que ce soit lui qui prévienne son épouse. » Fred avait sorti son portable. « Ciao beu’, c’est Franck » commença Fred. « Je sais que c’est toi pailhassou, c’est marqué dessus comme le Port Salut. » répondit Daniel amusé.
Les secondes qui suivirent furent beaucoup moins joyeuses et les pleurs avaient laissé place aux habituelles fourres de rire. « Je te laisse prévenir sa femme et si tu peux aller la chercher pour la ramener, je pense que ce serait plus prudent. » Conseilla le flic qui avait enfin refait surface. « Je l’appelle tout de suite, elle est en vacances à Auron avec les petits. Putain, j’y crois pas… » Termina Daniel la gorge serrée et le souffle court.
« Bon, appelle-moi quand tu l’auras eu et ne la laisse pas descendre seule de là-haut. » Répéta une nouvelle fois Fred.
La nuit commençait à s’installer et tous prirent la direction du commissariat pour faire un point sur ce nouvel homicide. La voiture officielle du Maire était déjà garée dans la grande cour de l’hôtel de police quand Fred arriva.
« Bonjour Monsieur Ségur », salua le Maire en tendant sa main à Fred. Fred répondit avec une poignée de main bien franche.
« Vous savez certainement que Franck était un de mes colistiers ? » commença l’édile.
« Oui, je venais de l’apprendre ce midi même car nous nous sommes croisés au restaurant. Vous ne voyez personne qui pourrait avoir une raison d’avoir fait cela, monsieur le maire ? »
« Non, absolument pas, même si c’était quelqu’un qui pouvait parfois déranger certains, je ne vois pas pourquoi on aurait pu l’assassiner, et surtout comme cela. » rétorqua le maire.
Fred fit un topo rapide de la situation et lui exposa sa version des faits. « Je pense que la presse va faire les choux gras de ce nouveau meurtre. A moins de 15 jours du premier tour, ils vont d’en donner à cœur joie », supposa Frédéric.
« Je le pense aussi, j’ai réuni les autres colistiers pour leur annoncer la terrible nouvelle et je leur demanderai de garder le silence sur tout cela » Acheva le premier magistrat de la ville en prenant congés de toutes et de tous.
« Tous en salle 10 dans 5 minutes ! » ordonna Fred. Et toutes et tous se mirent en branle pour récupérer tout le nécessaire à cette réunion.
Comme à son habitude depuis quelques jours, Fred fit un topo complet de la situation en expliquant dans les moindres détails l’histoire du pan bagnat sucré qui, à la vue du type de l’homicide, semblait être le mobile parfait. « Nous allons mettre en place une surveillance accrue autour de Daniel et de son restaurant. Je pense que le tueur a fait sa première erreur en éliminant Franck, mais quand il va apprendre que c’est Daniel qui est à l’origine de la recette, il voudra à coups sûrs se venger » déclara Fred.
« C’est tout à fait cela. Il ne faut absolument pas que la presse soit au courant, nous gagnerons ainsi quelques jours de répit » ajouta Marine.
« La conférence de presse est prévue dans 30mn. Tu veux que j’y aille à ta place ? » Proposa Vincent.
« Non, ça va Vincent. Je m’en occupe. S’ils te voient arriver, ils vont trouver cela suspect. » Enchaina Fred en se levant de son siège pour rejoindre son bureau afin de préparer son intervention. Les premières voitures et les premiers camions de différents médias commençaient à arriver dans l’arrière-cour.
15 minutes plus tard, Fred avait rechargé ses batteries et avait fait disparaitre toutes traces de pleurs sur son visage. Il se présenta pile à l’heure dans la salle de presse qui débordait de journalistes s’invectivant les uns les autres pour être le plus près du pupitre.
« Mesdames, Messieurs, comme vous le savez, un autre meurtre a été commis dans la journée. Il s’agit de Franck Viano, chargé de mission à la ville de Nice et colistier du maire de Nice pour la prochaine élection municipale. Nous ne pouvons vous en dire plus, pour le moment. » Fred avait essayé d’être le plus concis et rapide possible.
Les premières questions commençaient à fuser alors que Fred n’avait qu’une seule envie : Partir !