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22 novembre 2024

Notre société peut-elle apprendre ?

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Les dangers de l’amiante ont été repérés depuis longtemps. La première alerte avait été lancée en… 1906 ! Denis Auribault, un inspecteur du travail à Caen, avait constaté une surmortalité chez des ouvriers employant l’amiante dans une usine de textile. Les rapports médicaux vont se succéder sans que rien ne bouge jusqu’en 1955. Des preuves scientifiques incontestables sont apportées sur les liens réels entre amiante et cancer du poumon(2). Il est vrai que l’amiante fut un « matériau miracle » ! Ses résistances exceptionnelles à la chaleur, aux agressions électriques et chimiques, son pouvoir isolant et sa résistance à la tension fit qu’il fut très recherché par les industriels. L’amiante sera mélangée au ciment ou entrelacée dans les tissus. On la retrouve utilisée dans les patins de freins, les fours électriques, les plaques chauffantes et dans toute l’isolation du bâtiment.

Le minerai d'amiante
Le minerai d’amiante

Nommée « asbestos » c’est-à-dire l’indestructible par les Grecs anciens, son extraction croît largement dès la fin du XIXe siècle. A la fin des années 80, on comptait en France plus de trois mille produits courants fabriqués à base d’amiante. L’amiante représentait alors un marché annuel de 3,5 milliards de francs, pour une seule multinationale comme Saint-Gobain. Les ouvriers des industries de transformations de l’amiante furent les plus touchés ; ils étaient employés dans le textile, la construction, l’automobile, les chantiers navals, l’aéronautique, l’électroménager, l’isolation électrique,… Au-delà de ces professions très exposées, on commença à repérer des pathologies chez les peintres, les concierges de grands immeubles, puis chez des personnes exposées épisodiquement à l’amiante, comme les chercheurs de l’université de Jussieu à Paris. Quarante années, des milliers de morts et des millions de malades furent ainsi nécessaires avant que les premières mesures soient enfin prises sous la pression populaire(3).
Il est vrai que des lobbies excessivement puissants ont oeuvré en coulisses pour préserver les bénéfices des grands groupes. Quand les dangers de l’amiante ne font plus de doute pour personne, silence radio sur les télévisions ou dans les medias écrits, au risque de perdre des budgets publicitaires. Dans les réunions des Comités de sécurité des entreprises, on continue à la minimiser au nom de l’économie nationale. Eventuellement, les industriels font du chantage au chômage, avec la menace de fermeture d’usines. En 1975, les chercheurs de l’université de Jussieu arrivent à faire sortir le dossier sur la place publique, la contre-attaque dès lors redouble. Un Comité Permanent Amiante est créé pour faire taire scientifiques et médecins. Il réunit autour d’une table-ronde, des industriels, des scientifiques, l’ensemble des syndicats (hormis Force ouvrière) et même des représentants du Ministère du travail, de la Direction générale de la santé et de l’institut national de recherche et de sécurité ! Celle-ci va prôner l’usage contrôlé de l’amiante, pour retarder le plus possible son interdiction.
Aujourd’hui, la responsabilité des industriels est enfin avérée par les tribunaux. Celle de l’Etat est reconnue en 2000 par le tribunal administratif de Marseille. Mais combien d’années perdues en non-dits, désinformations et mensonges, et donc de nouveaux cas de pathologies et de mortalité. Toutefois, aucune avancée réelle n’a été possible sur le plan pénal, aucune responsabilité industrielle et politique n’a été sanctionnée. Les procureurs hésitent à poursuivre ; les 140 veuves de la région de Dunkerque qui ont perdu leur conjoint en raison de l’amiante ont été déboutées. Le dossier de l’amiante reste une histoire aux ramifications étonnantes !

Faire culture

Cette saga de l’amiante devrait pourtant faire culture… Sur un ensemble de technologies du quotidien, on se trouve confrontés à des cas semblables où des doutes sérieux émergent ou se trouvent confirmés. Va-t-on continuer à (se) cacher la réalité et à attendre les prochaines vagues de morts ? Par exemple, que faire des soupçons qui pèsent sur le diésel ? Les rejets des moteurs diesel sont accusés de bien des maux. Entre autres, ils entraînent des symptômes respiratoires, ils favorisent l’apparition d’allergies et surtout ils provoquent également des cancers… Une nouvelle étude suédoise (Hôpital Karolinska de Stockholm) vient de corroborer pleinement ce danger. Les hommes, exposés par leur métier aux émanations de ce combustible, présentent une probabilité accrue de 63% de développer un cancer pulmonaire.
En ce qui concerne les POP, ces polluants organiques persistants, le problème parait bien plus grave. Ce sont des molécules qui résistent aux dégradations biologiques naturelles, elles s’accumulent dans les tissus vivants. Leurs concentrations augmentent donc le long de la chaîne alimentaire. Les POP sont présents partout, et pour commencer dans l’alimentation, nombre d’entre eux sont des pesticides. Les cancers chez les agriculteurs qui répandent ces substances sont avérés. Qu’en est-il pour les consommateurs de fruits et de légumes traités ?
Ces substances se retrouvent également dans l’environnement quotidien. Elles sont utilisées comme lubrifiants ou comme solvants dans les peintures ou dans la composition des meubles. Elles entrent dans nombre de plastiques et diffusent lentement. Les incinérateurs d’ordures ménagères en produisent indirectement des quantités qui se répandent dans l’atmosphère des villes ; ce sont les dioxines ou les furanes. Une Convention dites de Stockholm en a répertorié une longue liste, complétée à la conférence de Genève (4 au 8 mai 2009). Cette conférence est passée totalement inaperçue, contrairement à celle de Copenhague. Sur le court terme l’impact de ces POP est plus déterminant que le réchauffement climatique. Nombre d’Etats prennent des mesures pour les interdire ; en France on traîne les pieds cette fois encore.
L’exemple le plus caractéristique est le Bisphénol_A (BPA), bien connu pour sa présence dans les biberons. Alors que sa toxicité est reconnue par de nombreuses études et son interdiction établie dans de plusieurs pays, l’Agence française de sécurité sanitaire ne conclut pas sur les risques posés par le BPA ; elle se contente de relever des « signaux d’alerte » (5février 2010) ! On retrouve une stratégie de déni identique à celle de l’amiante ; l’agence prône un usage raisonné : « éviter de chauffer à trop forte température l’aliment (eau, lait, soupes…) ! ».
Et qu’en est-il en matière de téléphones portables, d’antennes ou autres ondes électromagnétiques ? Une série d’études officielles, menées par des chercheurs suédois, hollandais et allemands, a levé beaucoup de soupçons et les résultats du programme européen REFLEX viennent renforcer l’inquiétude légitime de certains utilisateurs de portables et des riverains d’antennes-relais. Ici également les mesures tardent tant les enjeux économiques sont immenses, pendant que les médias classiques créent un certain brouillard ou désinforment. Il est vrai que les stratégies des lobbies sont désormais très au point. Dès qu’un rapport de scientifiques indépendants soulève un problème, des études financées par les industries du domaine en minimisent la portée ou la contredisent point par point…

Alors comment savoir en tant que citoyen ? Et surtout quand et comment se protéger en tant que personne ? Certes il existe des Commissions, des instituts français ou européens qui sont censés faire la veille et prendre en charge ces questions… En France, ne dénombre-t-on pas l’ Agence de la biomédecine, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (Afssa), l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (Afssaps), l’Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale et du Travail (Afsset), la Haute Autorité de Santé (HAS), l’Institut National du Cancer (INCa), l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (Inpes), l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), l’Institut de Veille Sanitaire (InVS).
Mais quelle confiance leur accorder ? Nombre de collusions, de conflits d’intérêts et de complaisances ont déjà été constatées et dénoncées, comme ce fut le cas pour l’amiante. Seuls 3% des 100000 substances chimiques aujourd’hui commercialisées ont été évaluées par exemple. Le lobby de la chimie s’oppose à la directive européenne REACH (enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances CHimiques) qui vise à tester de telles substances avant leur mise sur le marché ! Pendant ce temps, les effets de la diffusion à grande échelle de molécules chimiques dans notre environnement sont encore largement inconnus, faute d’études sur le sujet.
La solution à venir n’est pas dans la stricte application du « principe de précaution » dont on a pu voir toutes les dérives, y compris de récupération financière, avec le traitement de la grippe A. Elle est surtout citoyenne ; il n’est plus possible de faire confiance aveuglément aux experts ou aux agences. C’est affaire de « combat » démocratique. Elle passe par un contrôle citoyen sur le fonctionnement des agences de sécurité. Il devrait se poursuivre par une exigence de démonter les multiples désinformations, de rechercher les informations adéquates, notamment en renforçant les recherches indépendantes, et surtout par le partage le plus large des résultats de celles-ci.
La mise en place d’associations de «consommateurs » ou de « comités citoyen » a également toute sa place. A terme, ces questions de santé et d’environnement devront être traitées par de véritables Conférence de consensus ou par ce que nous appelons de nos vœux les « Assises de citoyens »(4). Un engagement et une participation plus large des personnes dans la vie de la société sont sûrement un enjeu pour notre époque.

Notes
1. Expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm 1996).
2. Etude de l’épidémiologiste Britannique Richard Doll (1950-55). Cela sera encore confirmé en 1960 sur des travailleurs de l’amiante et même des riverains en Afrique du Sud (Observations de mésothéliomes par le Dr Wagner, 1960).
3. Treize ans après son interdiction, cette fibre continue à faire des ravages : on dénote 3 000 décès par an, rien que pour la France. Une telle hécatombe fait de l’amiante une des plus importantes catastrophes de santé publique.
4. Au nom du peuple français, on confie à un panel de citoyens tirés au sort sur des listes électorales le sort de criminels potentiels, on pourrait à l’identique nommé un panel de citoyen pour trancher sur ces questions controversées. Les experts seraient appelés également à la barre, mais ne seraient pas décisionnaires.

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