En attendant le délibéré du Tribunal qui doit se prononcer ce jour quant à l’occupation des locaux de l’ex-Aigle d’Or par le militants de la CGT, la polémique entre le Maire de Nice et l’élu de l’opposition Robert Injey ne diminue pas d’intensité.
Au contraire, si le Maire de Nice persiste et signe, le représentant communiste fait preuve de ténacité. Autrefois, ce différend se serait terminé avec un duel et un vainqueur. De nos jours, et fort heureusement, ce sont les accusations qui font office d’armes !
Le problème est que, dans ce cas, personne ne veut donner l’impression de céder pour ne pas passer endosser le rôle du plus faible. Quand l’orgueil remplace la raison on ne va jamais très loin. Oui, mais jusqu’à quand ? Il n’y a pas un intérêt général qui devrait primer sur celui particulier des uns et des autres ?
Lors du conseil municipal du lundi 25 juin 2012, une part des débats ont porté sur le devenir de la place Saint François et de la CGT sur cette place. Le maire a présenté une délibération portant abrogation des décisions de 1892 et 1954 attribuant l’ancien palais communal/Bourse du travail et l’Aigle d’Or à la CGT. Sans prendre en compte les remarques et les propositions que j’ai pu faire, le maire de Nice, pour justifier sa décision, a usé et abusé d’arguments pour le moins discutables et surtout il a renié ses engagements de 2009, actés par un protocole d’accord avec la CGT.
Aujourd’hui, dans ce dossier qui connait un prolongement sur le terrain judiciaire, il est utile de faire le point sur 5 questions précises pour tenter de déterminer ce qui relève du mensonge ou de l’approximation.
1er question : En signant un accord en 2009 avec la CGT où il s’engageait au retour de la CGT à l’Aigle d’Or après les travaux de restauration, le maire avait-il connaissance de la réalité historique du bâtiment ?
Aujourd’hui il affirme que non et n’avoir été informé de cette situation qu’en mars 2010.
Je m’étonne tout d’abord qu’entre mars 2010 et le 3 mai 2012 il n’a pas pu prendre le temps d’informer la CGT de cette nouvelle situation.
La réalité est bien plus simple, car cette situation n’était en rien nouvelle. Elle était connue avec une très grande précision par les services de la ville depuis le printemps 2006.
En effet à cette date une équipe des services archéologiques de la Ville de Nice a engagé une étude sur le bâtiment de l’Aigle d’Or, avec près de 20 sondages dans les murs du bâtiment pour « observer les caractéristiques des maçonneries tout en décryptant leurs articulations »
Ce travail, d’une grande qualité, a été rendu public par la publication d’un article de Fabien BLANC dans la revue ARCHEAM de 2007 (n°14) éditée et diffusée au premier semestre 2007. Article très détaillé, argumenté, de 25 pages (pages 95 à 118) ou tout est dit sur la réalité du bâtiment. Dans la présentation de la revue (page 7) M. Marc BOUIRON, archéologue municipal, constate : « la mise en évidence (des) restes du couvent des franciscains de façon beaucoup plus précise … »
En signant l’accord en 2009 portant sur l’Aigle d’Or, C. ESTROSI et son équipe ne peuvent ignorer cette étude. Lui et les services de la Ville de Nice savaient précisément cet aspect du dossier. Oui en 2009 le maire savait, et sa décision le 3 mai 2012 de ne pas faire revenir la CGT place Saint François ne doit rien aux caractéristiques historiques du bâtiment.
2ème question : Il y a-t-il incompatibilité entre la mise en valeur du cloître et l’utilisation du bâtiment par la CGT ?
Aucunement. Sur la vidéo réalisée par la Ville de Nice il apparait très clairement que la partie du cloître concernée par le plan de mise en valeur est un couloir d’une dizaine de mètres de longueur sur deux de largeur, sans communication avec le reste du bâtiment de l’Aigle d’Or. A défaut de pouvoir argumenter sur cette impossibilité qui n’existe pas, Christian ESTROSI sort un argument d’autorité « Je ne veux pas de bureaux ici, le ministère des finances a bien quitté le Louvre ! ». Sans doute pris dans son élan le maire de Nice n’a pas remarqué que l’Aigle d’Or n’est pas le Louvre !
Aujourd’hui la bâtiment de l’Aigle d’or, mise à part le sous sol et la galerie du cloitre, ne comporte aucun élément architectural remarquable. Ni fresque, ni boiserie, ni décoration…. Rien ! La preuve les « Bâtiments de France » ont laissé édifier une cage massive en béton pour un ascenseur sur 4 niveaux.
Un fait s’impose, la CGT peut tout à fait être présente dans ce bâtiment sans que cela ne gêne en quoique ce soit la mise en valeur du cloitre.
3ème question : Des franciscains ou du mouvement ouvrier qui a la plus grande légitimité sur la place Saint François ?
La question est stupide, mais puisque le maire de Nice a voulu argumenter là-dessus, posons-la !
Les « légitimités » ne s’opposent pas, elles constituent l’une et l’autre l’histoire de la Ville. Avec une différence, l’une est strictement de domaine du passé, l’autre est toujours d’une grande actualité, à travers une activité humaine qui rayonne avec plus de 12 000 adhérents, des élus dans un grand nombre d’entreprises et des centaines de salariés défendus aux prud’hommes.
De plus, la présence ouvrière en ce lieu de la Ville est bien plus ancienne que l’existence de la Bourse du travail. Ainsi il apparait que pendant la révolution française et sous le 1er Empire la place Saint François s’appelait « Place des Ouvriers » (Article de Madame Caroline CHALLAN DELVAL, in Archeam n° 14, 2007, page 75). Une appellation peu commune qui, sans nul doute, doit renvoyer à une réalité de l’activité de cette place à la fin du XVIII siècle et sans doute avant.
Porter la mémoire du passage des Franciscains durant quatre siècles jusqu’en 1792 ne s’oppose pas à laisser le mouvement ouvrier marquer cette place comme il le fait depuis plus de deux siècles au-moins. Respecter le passé sans insulter le présent et l’avenir tel devrait-être l’attitude du maire de Nice….
4ème question : L’affaire est-elle terminée après le vote du Conseil Municipal ?
Nous sommes sans doute loin du dénouement final. D’une part parce que l’affaire est devant la justice, d’autre part l’histoire de cette place est déjà riche en tentatives qui ont échoué.
En effet ce n’est pas la première fois que l’on tente d’écarter la CGT de la Place Saint François. En 1902, le 3 mai (déjà un 3 mai) le maire de l’époque, Honoré SAUVAN, prenant prétexte d’une opposition entre syndicats pro et anti-mairie, prend un arrêté de fermeture de la Bourse. Il faudra attendre mai 1906 pour que la CGT prenne officiellement possession de la Bourse du travail.
En 1940 la CGT est dissoute par le gouvernement de Vichy….la CGT revient sur la place Saint François le 28 août 1944….
En 1950 le tribunal civil de Nice ordonne l’expulsion de la CGT de l’Aigle d’Or. Les locaux réquisitionnés en 1944 restent occupés. Finalement Jean MEDECIN entame une procédure d’acquisition des locaux par la ville et les affecte à la CGT par délibération du conseil municipal.
En tout état de cause c’est à la CGT et à ses organisations de décider des suites de cette affaire. Une chose est sûr au regard de 120 ans d’histoire…prétentieux celui qui croit clore plus d’un siècle de présence…
5ième Question : Et la Caserne FILLEY ?
Un des arguments pour la ville de récupérer, hier, le palais communal et aujourd’hui l’Aigle d’Or c’est de réaliser là un musée de l’histoire locale. Passons sur le fait que l’Ancien palais communal a été classé aux monuments historiques en décembre 1949 sous la dénomination de « Bourse du travail », les lieux se prêtent difficilement à une réalisation muséographique de grande ambition. Si Nice doit se doter d’un musée de l’histoire locale digne de ce nom, un lieu apparait judicieux : c’est la caserne Filley. Lors du débat au Conseil Municipal le maire a évacué cette proposition de pouvoir y créer un musée de l’histoire locale par un méprisant « des bâtiments qui ont à peine 100 ans ».
Quelle méconnaissance de la réalité du patrimoine de notre ville ! Je laisse la parole à Monseigneur Denis GHIRALDI dans un article sur le « Monastère de saint Martin, Saint Augustin » : « Le couvent construit par les augustins après leurs installation à l’Eglise Saint Martin en 1405 n’avait pas l’ampleur de celui qui existe de nos jours, transformé d’ailleurs en caserne Filley» . Construction décidé en 1716, il y a donc prés de 300 ans !
A moins que Christian ESTROSI est une autre idée en tête pour ce site. En 2008 la ville était sensée racheter la caserne Filley, voici ce que relatait Nice-Matin le 23 novembre 2008 « Christian Estrosi se prend à rêver : « On pourrait faire sur ce site une très belle opération d’urbanisme, au service de la population et du quartier. Je lancerai un concours d’architectes pour y réaliser des équipements culturels et sportifs. » Un gymnase et une salle de sports pour le collège et la population, une salle de réunion pour les associations, un parking pour le quartier…Si aucun obstacle ne surgit, le transfert de propriété pourrait intervenir d’ici la fin 2009 ».
« Opération d’urbanisme » rime trop souvent avec « opération immobilière spéculative », sans parler d’un parking à la place d’un cloitre du début du XVIIIème siècle, voilà des précisions qu’a oublié de nous apporter Christian ESTROSI…..
Robert INJEY
Conseiller municipal de Nice