Nice-Première : Un séisme le 2 septembre, un autre le 24 octobre. Vous qui êtes un observateur assidu des phénomènes sismiques, doit-on s’inquiéter de ses deux séismes à des dates rapprochées? Un prochain plus important est-il à craindre sans faire de catastrophisme à outrance?
André Laurenti : Malgré toutes les investigations et des observations plus modernes on ne sait toujours pas prévoir les tremblements de terre. Cependant pour ce qui nous concerne, depuis quelques décennies les sismologues azuréens enregistrent un séisme d’une magnitude supérieure à 4 en moyenne tous les cinq ans. Le dernier s’est produit en février 2001, nous sommes donc dans la période de retour du prochain. Doit on supposer que les deux événements du 2 septembre et du 24 octobre correspondent à cette activité récurrente ? difficile à affirmer, l’un avait comme magnitude 4.2, le second 3.8 des valeurs inférieures à celles observées jusqu’à présent. Il faudra attendre encore un peu pour en tirer des conclusions. En attendant cela ne veut pas dire que nous serons tranquilles pendant cinq ans.
NP : On le sait : la Côte d’Azur est une région qui bouge. Quelle est la réalité chiffrée? Combien recense-t-on de séismes significatifs (au dessus de 3 ou 3.5 de magnitude) par an?
AL : Bien que les Pyrénées depuis quelques années, enregistrent une activité plus importante que celle de la Côte d’Azur, les Alpes-Maritimes et la Ligurie se démarquent par un passé sismique relativement riche. Du XIV au XVII siècle environ 6 événements destructeurs ont jalonné l’histoire du pays avec une série de foyers « endémiques » situés dans le secteur de la vallée de la Vésubie au nord de Nice . Plus tard au XIX siècle, c’est la Ligurie qui est le théâtre de 4 séismes destructeurs, dont le dernier en date celui du 23 février 1887 a fait d’importants dégâts en Ligurie mais également dans les Alpes-Maritimes.
Au niveau de la sismicité plus récente, les nombreux capteurs déployés sur le territoire (environ une cinquantaine) enregistrent les moindres soubresauts de la terre.
Lancé en janvier 2002 le site web Azurseisme s’intéresse à l’activité sismique d’un vaste territoire d’environ 28 200 km2.
La zone d’étude concerne 3 départements français, elle comprend la partie est des Alpes de Haute Provence (active) et du Var (peu active) et les Alpes-Maritimes dans son intégralité.
Coté italien elle concerne la partie occidentale de la Ligurie et la partie sud ouest du Piemont. Sur cette aire on enregistre en moyenne depuis l’an 2000 cinq séismes supérieurs ou égaux à une magnitude de 3 par an.
NP : Vous avez fait des recherches sur les conséquences des secousses sur le bâti azuréen. Quels constats avez vous fait?
AL : D’une manière générale depuis le début du 20ème siècle, le bâti ancien des villages du haut pays augmente inexorablement sa vulnérabilité. Un processus qui s’est accentué après les deux guerres provoqué par l’exode rurale. Bon nombre de bâtiments sont restés à l’abandon, certain ont été démolis créant des vides dans le tissu urbain. Aujourd’hui avec la vie moderne et un choix de matériaux pas toujours bien adapté, non seulement il n’est pas suffisamment bien entretenu, mais il fait surtout l’objet de modifications de nature à le fragiliser. Le bâti ancien fait quelquefois encore l’objet de transformations modifiant la structure porteuse sans intervention d’architecte et de bureaux d’études.
De nos jours, que ce soit dans les villages ou bien dans le coeur ancien de nos cités, de grandes percées ont été par endroits réalisées pour les besoins d’un commerce ou tout simplement d’un garage pour la voiture. Tout ceci bouleverse l’organisation ancienne des murs de façade et ne fait qu’affaiblir le bâtiment.
L’apport de béton armé peut également poser de graves problèmes. En effet, l’introduction d’éléments en béton extrêmement rigides dans un mur constitué de petites pierres liées à de la chaux, peut avoir l’effet contraire à celui rechercher, c’est à dire augmenter la vulnérabilité car sous l’effet d’une sollicitation sismique, il va se produire des coups de bélier et entraînera la ruine partielle, parfois totale de l’édifice.
Autre problème, une surélévation réalisée en structure rigide posée sur des matériaux d’origine, c’est à dire souples et par conséquent différents n’est pas recommandable sauf si l’ensemble est repris depuis la base.
Il est donc conseillé à l’occasion de travaux de faire un diagnostic de la vulnérabilité acquise et de programmer des interventions de confortement en même temps que les travaux de confort.
NP : Est-ce que ces petites secousses ont un effet sur les constructions?
AL : Les petites secousses régulièrement enregistrées dans la région n’ont pas vraiment d’effet sur le bâti à l’exception des zones très proches de l’épicentre et pour des magnitudes supérieures à 4. Cela a été le cas le 21 avril 1995 avec un séisme d’une magnitude 4.7 qui a provoqué le basculement du auvent de la chapelle San Bernardo dans la vallée de la Roya. Quelques bâtiments ont également été légèrement fissurés à Airole dans la même vallée.
NP : A-t-on globalement bien conscience (Politiques et citoyens) dans les Alpes-Maritimes du risque sismique?
AL : A propos du séisme de Lisbonne de 1755, l’écrivain Jean-Jacques Rousseau dans sa « lettre sur la Providence » exposait son point de vue en expliquant que « l’homme peut agir pour améliorer son existence ».
Cette constatation marque le début de la réflexion sur la responsabilité de l’homme face aux risques naturels majeurs, auparavant attribués à la seule fatalité.
Dans les Alpes-Maritimes on déplore une certaine inertie. Il y a un peu plus d’une décennie le séisme été encore un sujet tabou, bon nombres d’experts se sont heurtés à bien des difficultés. Politiques et scientifiques ont préféré sur ce sujet la discrétion à la divulgation. Deux motifs à cela : la crainte de créer une psychose et l’absence de données suffisamment fiables. De nos jours les choses sont en train de changer, la sismologie, cette science encore jeune, a enregistré des progrès significatifs, sans négliger non plus une meilleure connaissance de la sismicité historique.
Je pense que les pouvoirs publics sont un peu plus convaincus sur le fait qu’en cas de catastrophe mieux vaut un citoyen informé qu’un citoyen paniqué.
Malgré la récurrence des séismes destructeurs à travers le monde et tout particulièrement celui de Sumatra en décembre 2004, force est de reconnaître que, malgré les efforts faits en milieu scolaire on n’a peu avancé au niveau de la « sensibilisation » du grand public des Alpes-Maritimes, il reste d’énormes efforts à faire dans ce sens.
NP : Vous venez de sortir un nouvel ouvrage « Les Alpes-Maritimes à l’écoute des séismes ». Quelles sont vos conclusions?
AL : A l’exception des départements d’outremer, les Alpes-Maritimes constituent l’un des départements le plus exposé aux tremblements de terre. La sismicité historique avec son lot d’événements destructeurs en apporte une preuve évidente.
Pour faire face à de telles catastrophes à caractère imprévisible, les dirigeants locaux doivent poursuivre leur aide efficace en subventionnant les différents projets de recherche. On en souhaite davantage, car beaucoup d’efforts restent encore à faire notamment sur la sensibilisation du public, la diffusion d’information et sur les mesures efficaces de renforcement du bâti ancien.
Il est essentiel de communiquer et d’établir un climat de confiance avec la population et tous les acteurs et partenaires locaux.
Comme les séismes le montrent de plus en plus, la vraie priorité doit être accordée dès à présent au bâti existant. Car même si on peut prétendre que les constructions récentes sont moins vulnérables grâce à leur typologie et également face au type de séisme auquel nous sommes confrontés, on ne peut en aucun cas en dire autant pour le bâti ancien. L’analyse et la prise en compte du problème du bâti ancien constituent un vaste programme indispensable. Devant l’urgence de la situation, le respect de quelques principes simples évoqués dans le livre permettrait de sauver des vies.
En l’absence d’une réglementation propre, il serait souhaitable que les politiques et collectivités locales puissent assumer pleinement leurs responsabilités, en lançant des actions prioritaires. Ne rien faire serait criminel.
Les instabilités des sols qui caractérisent notre région sont en général génératrices d’importants désordres sur le bâti en cas de séisme. Il est par conséquent nécessaire de prendre des précautions élémentaires en matière de choix du terrain, de fondations et de rigidité du bâtiment.
J’espère que le travail présenté à travers mes deux ouvrages et le site « azurseisme » ne laissera pas les dirigeants et les décideurs de la Côte d’Azur, indifférents.
Nous sommes tous concernés par ce fléau. Il suffit de penser aux enfants à venir, qui vivront dans le monde que nous leur aurons laissé !
Il ne faut pas perdre de vu que gouverner s’est prévoir et qu’une bonne prévention coûte nettement moins cher qu’une catastrophe.
NP : Pour finir, pourquoi un employé municipal de la ville de Cagnes-sur-Mer se passionne pour les séismes?
AL : Cette passion n’a absolument rien de commun avec mon activité professionnelle. Mon emploi à la ville au pôle études et projets permet de gagner de quoi vivre, les investigations sur l’activité sismique viennent en second.
En fait, l’idée d’un tel choix a germé en avril 1989 sur les lèvres d’une des bouches actives du Stromboli. J’étais accompagné par un guide volcanologue Guy de Saint-Cyr un passionné fou de volcan et de quelques amis, lorsque soudain nous nous sommes retrouvés scotchés devant un gigantesque rideau de feu qui jaillissait des entrailles de la terre, je m’en souviens encore comme si c’était hier. Face à un tel spectacle d’une épouvantable beauté, on ne peut pas rester indifférent, une telle vision marque quelque part la vie d’un homme, aussi dès mon retour il fallait à tout prix que j’entreprenne quelque chose.
Certes, des traces de volcanisme existent bien sur la Côte d’Azur mais elles sont à mon goût, beaucoup trop anciennes pour y porter un intérêt. C’est la raison pour laquelle je me suis orienté vers un sujet de substitution : l’étude des tremblements de terre régionaux.
Je me plongeais d’emblée dans un travail de recherche sur archives ce qui m’a permis de capitaliser une documentation importante. Puis, en m’engageant sur un terrain totalement inconnu et délicat, j’ai vite compris qu’il existait d’énormes lacunes en matière d’information sur le passé sismique de la région et l’idée me vint de prendre la plume pour retracer avec une certaine rigueur la chronologie des tremblements de terre.
En 1993 j’ai eu la chance en allant assister à un colloque à Vernègues (Bouches du Rhône), de rencontrer des spécialistes du sujet, ce qui m’a permis de mieux orienter mes travaux et de développer ensuite mon enquête dans le cadre des programmes pluridisciplinaires du Centre Universitaire Européen de Ravello consacrés à la vulnérabilité des bâtis anciens dans les zones sismiques, un programme inscrit dans le cadre d’un accord européen sur les risques naturels et technologiques majeurs du Conseil de l’Europe, EUR-OPA Risques.
En février 1998, j’ai publié mon premier ouvrage « Les tremblements de terre des Alpes-Maritimes – Histoire et sensibilisation » axé principalement sur la chronologie des événements destructeurs. Quatre ans plus tard, en janvier 2002 le site https://www.azurseisme.com est lancé sur le net. Depuis la fin octobre 2006 il a dépassé le cap des 247 000 visiteurs, ce qui n’est pas négligeable pour un tel sujet. Il constitue en fait, un outil pédagogique sur le passé sismique de la région et répond parfaitement à une demande.
A la fin février 2006, j’ai publié un second ouvrage « Les Alpes-Maritimes à l’écoute des séisme ».
Autrement, je suis membre du groupe A.P.S. (Archéologie, Pathologie, Sismicité) dont le siège se situe à Perpignan, cette association pluridisciplinaire regroupe bon nombres d’experts et nous nous réunissons tous les deux ans pour présenter nos travaux. Et enfin, depuis trois ans je propose un enseignement dans le cadre du master professionnel Arch’ héritage (« restauration du patrimoine architectural ») de l’Université de Nice Sophia-Antipolis.
Aujourd’hui, il reste beaucoup de travail à effectuer dans le domaine historique, mais aussi sur le problème du bâti ancien situé en zone sismique et enfin sur la sensibilisation de la population. Personnellement j’éprouve de plus en plus de difficultés pour jongler entre ma fonction principale et cette activité annexe qui me prend de plus en plus de temps, je cours éperdument après le temps libre et j’espère pour cela que les 35 heures seront maintenues. J’utilise ces précieux jours supplémentaires pour participer à des colloques ou bien pour donner des conférences sur le sujet.
Listes des ouvrages :
https://www.azurseisme.com/Ouvrage.htm