J’ai tout quitté: ma famille, mes amis, mon pays. Les personnes qui n’ont pas vécu ça ne peuvent pas comprendre ma souffrance », murmure Mohammed, les yeux embués. Sa nostalgie est intense. Le besoin de revoir sa famille en Algérie est vital. Partir de son pays poussé par une situation économique ou politique intenable : plus qu’un choix, un sacrifice. Car une fois arrivé en France, le cauchemar ne fait que commencer. « Pas facile de reconstruire sa vie dans un pays où tout le monde vous fait savoir que vous n’êtes pas le bienvenu », continue Mohammed. Commence alors un parcours semé d‘embûches : trouver de quoi se loger, chercher un emploi au black…. Autant de démarches au cours desquelles les sans-papiers sont amenés à traiter avec des vendeurs de sommeil et autres patrons peu scrupuleux et surtout à se heurter à l’administration. Mina, Marocaine, aidée par la CGT, a déposé un dossier pour une carte de séjour auprès de la Préfecture l’été dernier. Depuis, elle a déjà essuyé deux refus de régularisation pour manque de documents. Des pièces qu’elle s’est empressée de verser au dossier. Rien à faire. L’administration campe sur ses positions. « Il manquait la promesse d’embauche que j’ai envoyé aussitôt. La seule réponse que j’ai eue, c’est un autre refus. Pour moi, cela démontre bien qu’ils ne regardent pas les dossiers ».
Paranoïa
Mohammed, lui aussi, connaît les lenteurs administratives et la froideur des fonctionnaires. Mais il ne se laisse pas abattre. Ses convictions l’incitent à s’engager. Il tente d’aider d’autres sans papiers grâce à son expérience. Mais la condition de clandestin s’endurcit : « Depuis que Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir, d’abord en tant que ministre de l’Intérieur puis comme président de la République, la situation des sans-papiers se dégrade. On se sent comme du gibier. La peur du contrôle d’identité intempestif nous rend paranoïaques ».
Le cas de Kadija, une jeune femme épuisée par sa maladie, est dramatique. À bout de nerf, abandonnée de toute part, elle, comme de nombreux autres sans papiers, n’a pas revu sa famille au Maroc depuis des années. Mais les choses deviennent de plus en plus insoutenables pour Kadija, diabétique et depuis quelques mois privée de ses droits à l’Aide Médicale de l’Etat (AME). Mohammed confirme que l’obtention de l’AME n’est plus ce qu’elle était depuis quelque temps : « Avant, vraiment, tous les étrangers y avaient droit et leur demande aboutissait en dix, quinze jours. Maintenant il faut attendre deux, trois mois sans pour autant avoir la certitude de l’obtenir ». Mais c’est justement cette dégradation qui pousse de nombreux sans-papiers à se révolter. Pour Mohammed, la coupe est pleine : « Je suis fatigué et les autres sans-papiers aussi sont fatigués. À force d’être humiliés, nous sommes poussés dans nos retranchements ». Lassitude et humiliation : deux ingrédients qui peuvent mettre le feu à la poudrière et faire exploser cet étau que le gouvernement fait peser sur les sans-papiers.