Le Club de la presse 06 était partenaire le 5 octobre de cette conférence qui a permis d’établir un diagnostic inquiétant de la situation du tourisme azuréen face au Covid. Et d’entrevoir comment résister à cette pandémie : « si la situation perdure nous allons déposer le bilan », ont révélé plusieurs hôteliers.
Les visages des nombreux experts présents au CUM (Centre universitaire Méditerranéen) de Nice étaient graves.
Jean-Eric Aubert président de l’UIM (l’Université Internationale de la Mer) qui a organisé cette conférence avec Patrick Emeriau, expert maritime et économie bleue, ont situé les enjeux pour l’économie bleue de la lutte contre la pandémie. Quels sont les impacts de la crise, comment rebondir et que pourrait être le tourisme de demain.
Pour cela, il convient de tirer des enseignements du passé. Jean-Paul Potron, Conservateur en chef des bibliothèques de Nice a relaté comment le tourisme niçois a su résister à de nombreuses crises. Des photos témoignent de l’image sombre de Nice durant la deuxième guerre. Toutes les jetées détruites sur le front de mer. L’armée allemande craignait un débarquement. Il y avait un Blockhaus devant le Negresco, des blocs de béton aux Ponchettes, le pont du Var a été bombardé par les alliés. Une centaine d’hôtels ont fermé.
Quand Nice était un cimetière d’hôtels.
En 1950 Nice était surnommée le « cimetière d’hôtels », précise Jean-Paul Potron. Par la suite, la ville a connu de graves évènements. Le mini tsunami en 1979 après l’effondrement du chantier de l’aéroport…. L’attentat de 2016 et le Covid : « Nice, en dépit des catastrophes, a su rebondir. Je ne doute pas que nous trouvions l’énergie et les idées nécessaires pour passer ce cap » a estimé l’historien.
De son coté, Denis Zanon, Directeur Général de l’Office de Tourisme de la Métropole Nice-Côte-d’Azur a dressé un bilan très inquiétant de la situation :
« La particularité de cette crise c’est que nous n’avons pas de vision. Personne n’a de solutions et ne peut dire ce que sera demain. Nous avons besoin de voir ce qu’il se passe ailleurs : c’est la première fois depuis la dernière guerre que l’on assiste à un phénomène qui bloque l’économie mondiale ».
L’occasion pour Denis Zanon de préciser : « À Nice plus de 65 % des touristes à l’année sont étrangers. Le tourisme a été la pierre angulaire de l’économie de la cité. La moitié des emplois salariés vient de ce secteur à Nice. L’ensemble de la chaine économique de Nice est contrainte de s’adapter à des décisions très variables.
Nous avons beaucoup de mal à donner de la cohérence à une stratégie globale. Il faut convaincre les Tours Opérators de venir à Nice. La ville, en dépit des catastrophes qu’elle a subi génère une image plutôt bonne dans le monde grâce à notre capacité de résilience. La gestion de la crise sanitaire a été plutôt bien perçue au Etats Unis par exemple ».
Tourisme d’affaire au point zéro
« Le taux d’occupation est de 20% en juin, 55 % en juillet, 85 % en aout. Nous sommes redescendus à 35 % en septembre. En octobre, nous ignorons de quoi demain sera fait. Le tourisme d’affaire, deuxième pilier de notre stratégie touristique est au point zéro.
Tous les évènements d’entreprises ont disparu. La stratégie évènementielle est contrainte par les ordonnances diverses sur les jauges du public. Nous avons connu une embellie grâce au Tour de France qui a permis de mettre en valeur l’arrière-pays. Mais tout est bouleversé avec les pluies qui viennent de le dévaster ».
De son côté, Philippe Leven, secrétaire général de la Fédération de l’Hôtellerie de la Restauration et du Tourisme constate : « l’année 2020 avait bien commencée. Jusqu’en mars et puis en avril et mai on a fait zéro. En juin, le taux d’occupation s’élevait à 18%, soit moins 78% ».
« Pour les hôtels, nous enregistrons une légère remontée en août grâce à une nouvelle clientèle nationale qui nous a rejoint. Nous sommes passés de 89 % d’occupation en 2019 à 78 % en 2020. Mais ce n’est pas catastrophique.
En revanche, la situation est alarmante en septembre avec un taux d’occupation de 34% soit une chute de 57%. Surtout quand on se réfère au Var qui a maintenu, grâce à la clientèle nationale un excellent mois de juillet et des mois d’aout et septembre confortables ».
Perspective pour de nombreux hôtels : la fermeture
« Cette année, la clientèle américaine a disparu, pratiquement plus de japonais encore moins d’italiens (30% du marché). Nous n’avons plus que les français dont le pouvoir d’achat est bien inférieur. Dès lors, les perspectives sur la Côte d’Azur pour de nombreux établissements c’est la fermeture. En attendant des jours meilleurs…
La Fédération de l’Hôtellerie se bat auprès des différentes instances afin que nous soyons aidés. Nous avons déposé un certain nombre de dossiers auprès de la Banque de France et de monsieur le Préfet. Si tout cela continu, un certain nombre d’entre nous vont mourir.
Notre trésorerie est consommée. Des aides et actions fortes sont attendus des services fiscaux car évidemment s’il faut en plus payer des charges, sur ce que nous n’avons pas, nous serons contraints de déposer un certain nombre de bilans. Nous n’avons pas pu embaucher en réception des femmes de ménages d’extras pour les plages et les restaurants.
Nous espérons que 2021 redémarrera au moment de Pâques et que nous pourrons nous refaire un peu. Mais nous sommes pessimistes car les hôtels qui ont engagé des travaux et ont beaucoup investi à la demande d’édiles locaux sont désormais liés à des crédits ».
Dans ce contexte, les palaces Azuréens n’échappent pas au couperet. Bruno Mercadal, Directeur Général du 5 Etoiles Royal Riviera constate une perte de 67 % du chiffre d’affaire annuel avec une saison qui a duré 4 mois et demi. Le palace n’a ouvert qu’en juin avec un taux d’occupation de moins 43 % et un prix moyen en diminution de 30 %.
« Au Royal Riviera nous avons divisé notre taux d’occupation en septembre par 4. Nous aurions mieux fait de rester fermé. Le scénario est aussi sombre en octobre, nous fermons dans 15 jours en mettant tout le personnel en chômage partiel.
C’est surtout l’absence de clientèle américaine et russe (45% de la clientèle) entre juin et septembre qui ont eu un impact important sur notre activité. Au niveau social nous avons réalisé la saison avec la moitié de notre personnel 150 employés 80 cet été ».
La conférence très dense a permis, lors des questions-réponses avec le
public menée par Philippe Bellissent, Docteur en communication, d’entrevoir
d’autres déclinaisons du tourisme d’après Covid. L’Université de la Mer entend
associer tous ceux qui croient à un tourisme à la hauteur d’une des plus belles
destinations du monde.
Philippe Bellissent, Paul Barelli