Souvenez-vous, le printemps dernier… Les mois d’avril et de mai 2005 étaient aux couleurs de l’Europe à l’approche du référendum sur le traité constitutionnel. Un élan de passion européenne avait envahi l’hexagone. Les livres consacrés à ce thème (Non à la Constitution, Europe La Trahison des Elites, l’Europe est mal partie, Oser Dire Non, Les conséquences du Non, Oui : Plaidoyer pour la Constitution Européenne) ont tous recueilli un franc succès tout comme les débats télévisés. Les français se sont montrés intéressés par l’Europe et son avenir. Cet engouement fut symbolisé par la participation massive au scrutin du 29 mai (70%). Le Non l’emporte. Et depuis ? Pas grand-chose et ce n’est qu’un euphémisme. Le 30 mai 2005, tout paraissait oublié, dépassionné comme si la construction de l’Union Européenne était un simple fait d’actualité ponctuel. Les médias, les hommes politiques et les citoyens sont passés à autre chose. Les partisans du Oui n’ont pas voulu relancer un débat qui les avait menés à un cuisant échec et les partisans du Non, une fois la victoire obtenue, sont partis vers d’autres combats. L’Europe n’est pas un match de foot. Et il n’y aura jamais les trois coups de sifflets finaux pour signifier la fin de l’Europe.
La seule conséquence, tirée par le Président de la République, a été de remplacer le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin par Dominique de Villepin. Jean-Pierre Raffarin a dû supporter tout le poids de l’échec du référendum. Un an plus tard, les sondages montrent que les Français n’ont pas changé d’avis sur ce traité constitutionnel.
Ne pas en parler, c’est la mépriser, c’est l’oublier. Pourtant, l’Union des nations Européennes est scellée. Ils partirent six en 1957 avec le Traité de Rome pour être désormais 25. Pourquoi ce rejet ? Pourquoi ce désamour ? Plusieurs explications. Tout d’abord en période de crise, les français se replient sur eux-mêmes. En perte de confiance et d’espérance, les objectifs se restreignent dans l’espace et dans le temps. Bruxelles est alors très loin. Les siècles de guerre tuant les européens également.
L’édification d’une union des nations européennes a apporté la paix. C’est indéniable. Pour faire aimer l’Europe, il faut parler de ce qu’elle apporte et pas seulement focaliser l’attention sur ses manquements ou ses défauts. Bruxelles est décrite à tort ou à raison comme un nid à technocrates aux décisions ultra-libérales. La capitale belge et européenne est devenue l’excuse idéale pour de nombreux politiques. Le « Ce n’est pas ma faute, c’est Bruxelles » est facilement prononcée.
Les médias sont critiquables. Ils entretiennent cette défiance. Nous, médias, ne parlons pas de l’Europe ou très rarement. Le travail des parlementaires européens ennuie. Mais il existe des sujets très intéressants en dehors de la technocratie bruxelloise comme des échanges d’étudiants, des partenariats d’entreprises. L’Europe et l’Union de ses peuples ne doit pas se faire que par les politiques.
L’Europe a fait rêver. Plus aujourd’hui. La campagne pour le référendum du 29 mai a réussi à intéresser les français. D’une part, elle a été menée par les politiques de manière pédagogique, mais aussi parce qu’en demandant l’avis des citoyens, Bruxelles est venue s’inviter dans les foyers, les cafés, les universités, les entreprises. Le dialogue entraîne le dialogue. Nice Première rouvre ce dialogue avec une série d’interviewes consacrée à ce thème.
Partisan du Non, Bruno Della Sudda, conseiller municipal alternatif, répond aux questions de Nice-Première
Nice-Première : Le 29 mai 2005, les Français ont dit non au TCE, que disiez-vous il y a un an et que dites-vous aujourd’hui avec un an de recul?
Bruno Della Sudda : Il y a un an, nous disions que la victoire du » non » était un événement historique : il marquait le refus, non pas de l’Europe, mais d’une Europe libérale et technocratique, à l’occasion d’un référendum pour lequel l’écrasante majorité des élites et des médias, de même que presque toutes les forces politiques parlementaires, préconisait le » oui « . Un an plus tard, toutes les études ont confirmé que ce » non » était, dans une large majorité, un » non » populaire, un » non » de gauche, un » non » social, et non pas un » non » nationaliste et xénophobe. Par ailleurs, les comités du » non de gauche » ont très souvent continué leur activité, et préservé le cadre unitaire qui avait permis de rassembler citoyennes et citoyens à titre individuel, militants associatifs et syndicalistes, et militants politiques de toutes les sensibilités de la gauche, dans une activité commune sans hiérarchie et sans domination des uns sur les autres. Se confirme ainsi l’émergence d’une nouvelle culture politique, basée sur des pratiques différentes de la politique professionnelle, nouvelle culture qui a émergé avec le mouvement altermondialiste et l’essor des Forums Sociaux. Les forces du » non de gauche » vont essayer d’exprimer ensemble, à l’occasion des élections de 2007, les aspirations exprimées le 29 mai 2005, à travers des candidatures unitaires et un programme dont la » Charte des Collectifs du 29 mai » est un premier moment d’élaboration.
NP: Le débat sur l’Europe fut très présent. Les politiques ont su intéresser les citoyens. Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, le sujet « Européen » soit tabou?
BS : Si l’Europe apparaît un sujet tabou à certains, il y a une explication à cela : l’extrême difficulté des partisans de l’Europe libérale et technocratique à comprendre leur échec, signifié par le » non » français et hollandais, et à remettre en cause le dogme libéral qui les guide. Les libéraux ne comprennent que le rapport de forces. Il faudra donc d’autres 29 mai 2005 pour leur faire entendre raison. Aujourd’hui, les projets visant à passer en force, par exemple en refaisant voter le parlement français sur le même texte que celui du TCE refusé par une majorité populaire – c’est ce que propose Sarkozy – existent, mais ne rencontrent pas un grand succès : ils ouvriraient une crise majeure dont personne ne peut mesurer les effets. Il faudra, pour imposer le retour d’un grand débat sur l’Europe que nous voulons, une échéance importante : le scrutin présidentiel de 2007 en donnera l’occasion…
NP : Qu’est-ce que le « non » Français a changé?
BS : Du côté des gouvernants, rien puisqu’ils sont sourds et ne veulent rien entendre. Mais en tentant de passer en force avec le CPE, ils ont lamentablement échoué, en mobilisant contre eux, non seulement la jeunesse scolarisée, mais aussi le monde du travail par le biais des syndicats, dans une alliance inédite et prometteuse pour l’avenir. De nouveau s’est exprimé le refus du rouleau compresseur libéral. Et ce refus a été commun à la gauche du » non » et à la minorité de la gauche qui s’était laissée aller à voter » oui » le 29 mai 2005. C’est bien le signe que le refus du libéralisme est un fait incontournable et très majoritaire en France. D’ailleurs, sans la victoire du » non » l’an dernier, les jeunes et les salariés auraient-ils gagné contre le CPE ? On peut raisonnablement penser que non : il y a là un processus cumulatif et une continuité entre ces deux évènements. Et une formidable prise de conscience qu’en se mobilisant, on peut stopper le rouleau compresseur libéral…
NP : Quel est votre plan B pour relancer le débat?
BS : Donner un coup d’arrêt à l’offensive libérale est indispensable, mais ne suffit pas. C’est d’une alternative dont nous avons besoin, à l’échelle de la France comme de l’Europe. Il faut donc y travailler, sans quoi, nous n’ouvrirons pas de perspective. L’idée d’un plan B pour l’Europe reviendra à l’ordre du jour à l’occasion des élections présidentielles de 2007 : ce sera l’occasion d’un vaste débat – dont les libéraux ont peur, voilà pourquoi ils s’y dérobent – et les forces du » non » de gauche auront la possibilité de l’alimenter et de le socialiser pour que le plus grand nombre de citoyennes et de citoyens se l’approprient. Ce débat ne pourra pas esquiver la perspective d’un processus constituant, avec la mise en place d’une assemblée constituante, réellement représentative des populations de l’UE, avec un scrutin ayant lieu le même jour pour toute l’UE, et la mise en place d’un véritable débat public, à l’échelle de toute l’UE, dans les quartiers et les communes de tous les pays membres, pour doter l’UE d’une constitution démocratique digne de ce nom.
Deuxième à s’exprimer, le député UDF Rudy Salles, partisan du oui au référenfum.
Nice-Première : Le 29 mai 2005, les Français ont dit non au TCE, que disiez-vous il y a un an et que dites-vous aujourd’hui avec un an de recul?
Rudy Salles : Je disais que l’Europe avait besoin de plus de démocratie. L’Europe ne doit pas être l’affaire des technocrates mais celle des peuples. Le Traité Constitutionnel allait dans ce sens en donnant plus de pouvoir au Parlement Européen, élu par l’ensemble des citoyens Européens. D’autre part, il donnait également plus de lisibilité à l’Europe, puisqu’il mettait fin à la présidence tournante tous les 6 mois en instaurant une présidence de 2 ans 1/2 renouvelable. Cela aurait permis aux citoyens de savoir qui dirigeait les affaires de l’Europe. Malheureusement, ce message n’a pas été entendu, notamment parce que les Français ont profité de cette occasion pour exprimer leur hostilité à la situation actuelle. Sur le plan Européen, en condamnant la technocratie, en refusant de façon claire l’adhésion de la Turquie. Sur le plan National, en envoyant un message de protestation au Président de la République et au Gouvernement. Le peuple a répondu NON, alors qu’en réalité il est plutôt globalement favorable à l’Europe.
NP: Le débat sur l’Europe fut très présent. Les politiques ont su intéresser les citoyens. Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, le sujet « Européen » soit tabou?
RS : Le sujet Européen n’est pas tabou, au contraire il faut en parler et en parler de plus en plus. Chacun comprend bien que si l’on ne réalise pas l’Europe politique, nous n’aurons plus aucune chance d’exister dans le Monde de demain. Entre la Chine, l’Inde, les USA, le Brésil et quelques autres, seule l’Europe a la taille suffisante pour pouvoir s’imposer. Sinon, on verra notre influence décroître. Enfin, faut-il souligner que tous les gouvernements depuis 25 ans ont une part de responsabilité dans la relative indifférence, voire l’hostilité des citoyens vis à vis de l’Europe. En effet, à chaque fois que quelque chose va bien, c’est grâce au gouvernement, et quand ça va mal, c’est à cause de l’Europe. C’est injuste et ça fait du mal à l’idée européenne. Mais c’est tellement facile pour les gouvernements de rejeter la faute sur « Bruxelles » pour cacher ses propres fautes. Rappelons que si l’Europe n’existait pas, les déficits augmenteraient de façon encore plus importante sans aucun contrôle.
NP : Qu’est-ce que le « non » Français a changé?
RS : Le non Français a créé les conditions d’une crise européenne. La France est un des pays fondateurs de l’Europe. C’est la France qui a eu l’initiative de la Constitution. La France est enfin le carrefour de l’Europe. Le non Français paralyse tout l’édifice, alors que beaucoup d’autres pays ont adopté la Constitution. En outre, cela affaiblit la position de la France en Europe qui a perdu toute crédibilité.
NP : Quel est votre plan B pour relancer le débat?
RS : Je n’aime pas l’expression « plan B » qui a été une tromperie pendant la campagne référendaire. Il faut renouer les fils de la construction européenne et prendre des initiatives fortes. Cela ne peut plus se faire de la part des dirigeants Français d’aujourd’hui, car ils ont perdu la bataille l’an dernier. Il ne se passera donc pas grand chose dans l’année qui vient. La campagne de 2007 devra placer la construction européenne au centre des programmes électoraux. Et les dirigeants qui seront au pouvoir l’an prochain devront prendre cette question à bras le corps pour sortir l’Europe de l’ornière dans laquelle elle se trouve et redonner à la France son rôle de leader dans l’Union Politique Européenne que nous appelons de nos voeux.