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21 novembre 2024

« White » et « Sky » : Beyrouth au Septième Ciel ?

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Au pied du White Bar
Au pied du White Bar
Leur réputation les précède : ils sont jeunes, beaux, riches et célèbres. On pourrait dès lors s’attendre, au moment de la rencontre, à découvrir deux types prétentieux, un énorme cigare phallique rivé au coin de la bouche, déjà chauves et bedonnants, protégés par une meute de gardes du corps et entourés d’une pléiade de bimbos. Que Nenni ! On sera vite déçu ou plutôt très agréablement surpris. Tony Habre et Chafic El Khazen, à peine l’âge de la retraite à eux deux, dirigent respectivement le « White bar » et le « Sky bar », les deux boîtes les plus en vue de Beyrouth et réservées à une clientèle à la fois économiquement dotée et soigneusement filtrée à l’entrée. Ces deux « boss » aux allures de gamins à peine sortis de l’adolescence, et dont seules quelques cernes viennent trahir l’appartenance au milieu de la nuit, ont non seulement su conserver des traits juvenils. Mais ils font aussi preuve d’une surprenante modestie et d’une réelle maturité.

Pourquoi le toit d’un immeuble? C’est certes un endroit que les voitures piégées ne peuvent pas atteindre. Nous sommes quand même à Beyrouth. Les deux établissements ont d’ailleurs ouvert à quelques semaines d’intervalle, au printemps et à l’été 2006, juste au plus fort de la guerre du Hezbollah avec Israël.

Situé sur le « roof » (Les Libanais mélangent aisément dans une conversation et non sans un plaisir dissimulé qui traduit un certain niveau d’éducation, l’arabe, l’anglais et le francais) de l’immeuble du quotidien « An Nahar », dirigé par Gébran Tuéni, lui aussi assassiné en raison de son opposition résolue a la Syrie, le « White » a inauguré son activité en juin 2006 deux mois avant la crise avec l’Etat hébreux. Avec une vue plongeante sur la Mosquée Al Amine du centre-ville, l’endroit jouxte les tentes du Hezbollah plantées au cœur de la capitale. Contrairement à certaines soirées du Festival musical de Baalbeck où la voix du Muezzin couvrait celles des chanteurs lyriques (Roberto Alagna et Angela Gheorghiu en firent l’amère expérience en août 2002), cette fois-ci, la sono domine l’appel à la prière.

« Indépendamment des raisons de sécurité », affirme Tony Habre pour expliquer le succès de son club, les Libanais ont en eux une « culture de la veille, de la fête et du plaisir collectif ». « Les guerres du Liban ou au Liban ne peuvent pas être des guerres voulues par les Libanais » précise-t-il encore. En dépit de son jeune âge, Tony Habre n’est pas un novice en la matière: le « White » est son quatorzième établissement! Il lui a donc fallu créer sa propre compagnie de management d’une dizaine de personnes, « Add Mind », pilotée par le français Alexis Claverolle, tout droit arrivé d’une ville du nord de la France. Une affaire qui tourne puisque l’équivalent du « White » s’implante dans quelques jours en Jordanie et dans quelques mois en Egypte.

Le Sky Bar surplombe la capitale libanaise
Le Sky Bar surplombe la capitale libanaise
A deux ou trois cents mètres à vol d’oiseau, le « Sky Bar » s’étend sur une immense terrasse de 1000 m2 tout en haut d’un des immeubles du Biel (un centre d’exposition qui s’avance sur la mer ce qui en renforce les aspects sécuritaires). Lancé en juillet 2006, soit à quelques heures de l’offensive israélienne sur l’aéroport de Beyrouth, il enregistre un record de 3650 entrées. Chafic El Khazen lui non plus n’est pas un débutant: il a en quelque sorte créé le premier « roof » en 2003 au Palm Beach sur Manara, une sorte de Promenade des Anglais où les joggers côtoient les fumeurs de Narguilé. Notre interlocuteur semble un habitué des dates fatidiques au point de se faire une raison sur les charges psychologiques imposées par celle de sa naissance : le 7.7.77. Toute une prophétie ! Chance ou pas, son bar en forme d’éclair complètement illuminé, où sont vendues le samedi jusqu’à plus de 250 bouteilles, forme un contraste multicolore avec un vide intensément noir dans lequel on distingue au loin les lumières vacillantes de la banlieue Est de Beyrouth. « On vend du feeling », de « l’énergie » explique le plus sérieusement du monde le patron du « Sky ».

Chafic el Khazen, patron du Sky Bar
Chafic el Khazen, patron du Sky Bar
Contrairement au patron du « White », il assume seul la gestion de son club auquel sont toutefois associés une vingtaine de partenaires.Tony Habre et Chafic El Khazen ne se contentent pourtant pas de gérer leur business comme de simples boutiquiers. Ils mènent une réflexion personnelle. Ils font en ce sens indéniablement partie de cette nouvelle génération de Libanais qui s’interrogent sur l’avenir de leur pays… autant que sur leur propre futur. Les deux tiennent plus ou moins le même discours : Tony Habre évoque la « nécessité de donner du sens à la vie » et Chafic El Khazen rédige, de son côté, un ouvrage très personnel qui mêle philosophie et spiritualité. Et dont il y a tout lieu de penser qu’il lui sert également de moyen d’introspection.

Tous deux militants passionnés de la cause libanaise, l’un comme l’autre éprouvent pourtant « pour la première fois dans leur vie » un sentiment de lassitude, voire une forme de « haine » face aux pulsions destructrices à l’œuvre dans le pays. Compte tenu du fait qu’ils ne sont pas dans le besoin, on mesurera alors toute l’étendue du désespoir susceptible d’envahir une population libanaise à la situation économique nettement plus précaire que la leur.

Il ne faut évidemment pas leur parler de politique. Encore moins de religion. Ces deux entrepreneurs les tiennent pour les maux les plus catastrophiques du pays. L’humanisme non feint de Chafic El Khazen lui fait dire qu’il se sent, dans une formule qui n’a rien non plus de factice, un « citoyen du monde » alors que Tony Habre regrette la triste tradition des « dictatures dans le monde arabe » au point de se demander si le Liban « connaîtra réellement un jour la démocratie ». Lors de ces entretiens à la fois denses sur le plan humain et intellectuel, on en oublierait presque qu’à quelques mètres de là, des centaines de jeunes insouciants boivent, rient et dansent. Comme le dit un proverbe libanais, « plus l’épi contient de blé, plus il penche vers le sol ».

Avec l’aimable collaboration de la photographe libanaise (New York) Jessica Kalache : jkalache@gmail.com

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