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22 novembre 2024

« Baisers de cinéma », par Eric Fottorino : vraix-faux « clichés »

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L’homme est modeste, sympathique, presque effacé. Loin de l’idée qu’on pourrait, à tort ou à raison, se faire du Directeur d’un puissant quotidien national. Mais est-ce l’ancien Grand Reporter et nouveau dirigeant du journal « Le Monde » qui, ce samedi à la Fnac de Nice, évoque son livre « baisers de cinéma » ou s’agit-il du romancier primé par le jury du « Fémina » en 2007 ? « Etanchéité » bien établie entre les deux rôles, nous assure-t-il. Comme « journaliste », précise en effet Eric Fottorino, je me « confronte de manière obsessionnelle aux faits ». Romancier, enchaîne-t-il, « je n’utilise pas de documents ». Ces derniers risquent, selon lui, de devenir des « grumeaux dans le récit » tellement la tentation est grande de vouloir à tout prix truffer l’ouvrage de « choses savantes ». Référence directe de l’auteur à André Gide : « pour écrire, il faut perdre connaissance ».

baisers_cine.jpg.jpgIl existe quand même une relation entre les deux, finira-t-il par « avouer », une fois mis en confiance par un public qui affectionne le retour d’un enfant du pays. Le roman lui permet de se « retrancher du monde » : on appréciera à sa juste valeur l’ambiguïté phonétique du propos. Il lui offre également une « voie détournée pour franchir la réalité ». Plus lui incombent de nouvelles et importantes responsabilités au « Monde », plus ses romans semblent se faire intimistes, plus ils fouillent sa psyché, plus ils deviennent sombres aussi. Les « moteurs » de son écriture, confirme-t-il, outre « l’influence de Bernanos », sont les « failles », les « souffrances », les « troubles de l’identité », les problèmes de « filiations », le tout avec le « regard d’un enfant porté sur les adultes ». D’où une trame qui développe un jeu d’une incessante ambivalence entre ombre et lumière. Qu’on en juge : une histoire de père photographe sur les plateaux de cinéma et qui fixe en noir et blanc des visages d’actrices célèbres, une figure masculine – dont la banalité, la passivité même le bascule presque du coté de l’anti-héros -, un homme en quête d’imago maternelle, compulsivement emportée par une rencontre mystérieuse le jour même de la mort de son père dans une salle évidemment « obscure » du quartier latin. Une première transgression psychique qui sera suivie, à la fin du livre, d’autres nettement plus physiques. Le choix – plutôt un hasard là encore déterminé – d’une femme qui l’attire parce qu’elle se dérobe, seule posture à même de susciter le désir en rappelant la douloureuse et éternelle absence de la mère. Le tragique, on s’en doute, est forcément au bout du chemin. Même si, nous rassure Eric Fottorino, ce « huitième roman » est un « peu plus optimiste que les précédents ». On respire !

Un récit susceptible de lasser par la répétition, le ressassement d’innombrables « clichés » sous forme de ballades et de rencontres dans les endroits les plus connus de la Capitale. Mais ce qui se donne à voir vise en fait à cacher. A chaque fois, sur ces lieux dont les touristes s’arrachent en général les cartes postales, l’auteur projette une sorte de voile ou, pour suivre le cheminement paternel, détourne la luminosité à son profit. Son père plaçait les femmes rencontrées en pleine lumière dans un café où il avait ses habitudes. L’auteur réitère l’exploit mais dissimule dans le contre-jour les clefs d’élucidation de son passé : serait-ce la raison pour laquelle Eric Fottorino n’assume pas jusqu’au bout son désir et substitue au Deauville de « Un homme et une femme », la station balnéaire moins en « vue » de Cabourg ? A saisir dans leur sens profond, inconscient, autant par métonymie que par métaphore, ces situations et moments « clichés » renvoient également aux photos puissamment chargées de symbole et de sens. Ceux d’un père qui ne cesse de faire « retour », ceux encore d’un sentiment de « déjà vu ». En souvenir d’un regard posé à la dérobée sur un tirage, parmi tous ceux disséminés dans l’appartement paternel.

eric-fottorino.pngD’un entretien avec l’Académicien Michel Déon, Eric Fottorino conforte un sentiment déjà présent chez lui: les écrivains ne doivent pas tout raconter. « Ce qui est beau, lui aurait expliqué celui qui vit désormais dans un ancien presbytère en Irlande, est cette part d’inconnu, cet espace d’imagination offert à la liberté du lecteur ». A fortiori lorsque l’auteur lui-même semble, toute comme son public, imprégné d’incertitudes sur la voie empruntée, la direction prise et la destination finale. Les baisers de cinéma sont-ils feints ou authentiques ? et pour qui ? Un ouvrage tout en délicats palimpsestes où se décryptent successivement plusieurs lectures de la vie.

Eric Fottorino, « Baisers de cinéma », Editions NRF-Gallimard, 2007, 190 p., 14,50 euros

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