Le troisième long métrage de l’excellent Ivano de Matteo, Les Équilibristes, est un portrait touchant et sincère d’un homme qui passe en seulement quelques mois d’une vie de famille ordinaire à une vie de sans-abris.
Giulio a tout pour être heureux, une femme qui l’aime, deux enfants qui l’adorent et un travail honnête. Mais cet employé de la mairie commet l’erreur tristement fréquente de tromper sa femme (Barbora Bobulova) avec une collègue de travail. La vie à la maison devenant insoutenable, le couple décide de divorcer. Giulio n’a pas idée des difficultés qui l’attendent. Entre pension alimentaire, assurances, impôts, loyer et les soins dentaires de son fils, ce père de famille n’a pas assez d’un travail pour combler toutes ses dépenses. Petit à petit, Giulio se renfermera physiquement, psychologiquement et se fondra dans la masse de cette catégorie de personnes que les italiens nomment, des équilibristes.
Il est un point à souligner afin de ne pas se méprendre, Les Equilibristes ne constitue en rien un film dramatique sur la séparation. En fait, Ivano De Matteo l’avoue lui-même, le divorce n’est qu’un prétexte pour décrire le plus fidèlement possible la vie de ces pères de familles divorcés. Trop riches pour bénéficier des aides sociales, trop pauvres pour vivre convenablement et souvent trop fières pour retourner chez eux, ils sont près de 200 000 à vivre de la sorte. C’est cette catégorie de malchanceux que le réalisateur a décidé de décrire. Et c’est une réussite. Pourtant, il se dégage ici une approche touchante et vraie du couple récemment divorcé. Plus encore lorsqu’il s’agit de la relation que le père entretient avec sa fille, campée par la prometteuse Rosabell Laurenti Sellers.
Le personnage de Giulio joué par l’étonnant Valerio Mastandrea, est tout simplement excellent et criant de vérité. Un rôle qu’Ivano De Matteo avoue être taillé sur mesure pour l’acteur qui avait déjà joué pour lui dans le passé. C’est surtout son regard qui transporte littéralement le public. Tantôt rempli d’amour et de remord quand il s’agit de sa femme et de ses enfants, tantôt vide désespéré et effrayé face à sa situation qui se dégrade de jour en jour.
Le personnage de Giulio a en fait trois phases durant le film : D’abord celui d’un père de famille drôle, aimant qui emmène ses enfants à l’école. Il regrette son acte mais continue d’aimer sa femme et n’envisage pas une autre vie. Ensuite, celui d’un homme seul mais qui garde contact avec ses enfants. Il garde aussi de son humour et de sa fierté, pas question que quiconque soit au courant de sa situation dégradante. Puis, Giulio devient méconnaissable, presque méchant, blasé le regard vide et presque fou dans sa démarche.
La transition de la vie de cet homme et d’une fidélité déconcertante. On sent le fruit d’une recherche minutieuse faite en amont du tournage. Ivano déclare que le personnage principal est inspiré de plusieurs histoires vraies, parfois même de ses proches. Une approche si véridique qu’on en a froid dans le dos en se disant « c’est si vite arrivé, pourquoi pas à moi ». Le souci du détail impressionne, on pense notamment aux nombreux passages où Giulio fait ses comptes à la virgule près, se demandant comment se nourrir, payer sa chambre et financer le voyage de sa fille à Barcelone.
Petit point négatif cependant, si le film évite les clichés (alcool, violence, suicide …) on regrette un personnage en retrait, quasi spectateur de sa chute. Si pendant les trois quarts du film, on admire cet homme qui parvient à jongler avec toutes ses obligations au fur et à mesure des évènements, on finit par être lassé de voir le sort s’acharner sur lui sans qu’il ne prenne aucune décision pour y remédier. On aurait presque envie de lui crier « Bon dieu mais retourne voir ta femme et qu’on en finisse ! ». Une légère frustration, rapidement envolée par les 8 dernières minutes du film, magistralement mises en scène.
