La carrière de craie est un roman s’inspirant d’évènements réels. Comme l’indique la 4e de couverture, le récit de Jérôme Janin, le personnage principal de l’histoire a de la substance. Si les villes et noms ont été dissimulés, le cœur de l’action retrace la vie d’un cadre, travaillant pour le supermarché « Atoupri », desservant la commune de Quesnoy, une zone rurale, rattachée au département du Nord. Le groupe est dirigé par son beau-père, Gustave Vasseur.
Dans une spirale infernale de négativité, le narrateur apprend qu’il vient d’être licencié, sans raison apparente. Son parcours catastrophique comprend des épisodes gravissimes : le décès de sa femme, Géraldine, la perte de Claire, leur fille unique qui n’entretient plus aucune relation avec son paternel distant. Dans le flou le plus total, Jérôme fait face à l’hypocrisie de ses collègues, y compris de Gustave Vasseur. Malgré une complainte au siège à Paris, la parole du narrateur n’est pas entendue : il doit se faire à l’idée, qu’au terme de vingt ans de bons et loyaux services, il devra se reconstruire. Angoissé par cet avenir incertain, Jérôme évoque cette fameuse confrérie qu’est « l’Œuvre », une congrégation catholique intégriste, intrinsèquement lié à l’histoire de la famille Vasseur, dont la sienne.
Alors qu’il se retrouve dans cette impasse, Jérôme songe à son passé : le lecteur en apprend plus sur les origines de cet antihéros du quotidien. Dans le clan, la boulangerie est une affaire sérieuse. Malheureusement, l’automatisation de la boulangerie et de la pâtisserie ont raison de l’entreprise : la fermeture des enseignes traditionnelles a bouleversé la famille Janin, même le grand-père en est mort de chagrin… C’est dans ce contexte de rétrospection que Jérôme a une idée : à l’âge de 55 ans, il est inconcevable pour lui de se former à un autre
métier : répugné par l’attitude de ce beau-père misogyne et sexiste qu’il avait pourtant admiré, il décide d’aménager son cellier, une carrière de craie, en guise de planque. Il dispose de 3 mois pour élaborer le terrain et vivre en ermite.
Au cours de ses préparations à une vie recluse et atypique, Jérôme fait un bilan sur son existence : son enfance, sa famille, les décès et sa sœur, Justine. Pendant ces travaux, il fera la découverte d’éléments troublants, surtout concernant sa femme. Dès lors, le personnage semble réaliser que tout son parcours n’est qu’un long mensonge, teinté d’illusions. Lors de ces fouilles presque archéologiques, une vérité accablante se dévoile au sujet de son beau-père, Gustave Vasseur. Même les raisons du décès de Géraldine, son épouse tragiquement disparue dans un accident de voiture sont remises en question. Entre quelques phases de repos, Jérôme se projette dans le passé, hanté par des souvenirs qui le poursuivent. Ces regrets le poussent à écrire une lettre, à l’attention de son ancien supérieur et beau-père : animé par un désir de justice, il se sent impuissant, à mesure que les évènements s’aggravent. Santé et problèmes financiers le menacent, tout semble prêt pour qu’il puisse refaire sa vie, et même la faire tout court. Même si ses relations avec sa sœur Justine ne sont pas au beau fixe, une rencontre au domicile des Blanc bouleverse les plans de Jérôme. Celle qu’il voyait comme une réussite aux yeux de la famille connaît également une crise. C’est dans ce climat qu’un projet nouveau s’ouvre à lui : se réapproprier les anciens locaux de la boulangerie de la famille Janin et ouvrir un nouvel établissement dans cet endroit historique.
Ensemble, le frère et la sœur font face à l’adversité. Malgré le stress et les épreuves douloureuses, le karma semble se ranger de leur côté, mais le chemin pour y parvenir est semé d’embûches…
Le roman de Jacques Neirynck est une fresque passionnante, agrémentée de montagnes russes. La beauté et l’horreur des choses se retrouvent dans cette chronique réaliste et dramatique. Tous les tabous de la société française sont mis à l’honneur : frasques autour des sectes religieuses, rôle intouchable des plus riches et des chefs d’entreprise, inceste et violences sexuelles… Jérôme Janin n’a rien d’exceptionnel, mais cet aspect ordinaire est au service d’une volonté de plonger son lecteur dans le quotidien atroce d’un homme qui perd tout et qui se définit lui-même en tant qu’« imposteur ». Le texte dénonce les vices des grandes structures et nouvelles technologies, qui mettent à mal les petits commerces y compris les artisans. Ce n’est pas au hasard, si la Picardie est présentée comme une des zones les plus ennuyeuses et tristes de France : il s’agit d’une région pauvre, où les monstres industriels rachètent les petites.
Au-delà du « modèle à l’américaine » ciblé, l’écrivain donne une belle leçon de courage en la personne de Jérôme, son personnage principal. La carrière de craie est une histoire de famille : de celle qu’on choisit, et qu’on souhaite préserver ou non. Au cours de cette descente aux Enfers, Jérôme touche le fond et creuse. Malgré un désenchantement et une désillusion brute au sujet de toutes ces choses dont il était absolument certain, la ténacité de ce héros ordinaire force l’admiration. Son sens de l’éthique donne l’occasion au lecteur de ressentir une empathie immédiate pour ce personnage résolument humain. Le roman s’achève par un dénouement satisfaisant, qui permet au lecteur de se projeter et d’imaginer le futur de ce Jérôme, qui incarne un esprit combattif, digne en toutes circonstances.
La carrière de craie
Auteur : Jacques Neirynck
Editeur : Harmattan
Date de parution : 17/09/2020
ISBN : 978-2-343-21003-2
Nombre de pages : 208 –
19,50€ Broché 14,99€ e-book
Site de l’auteur : www.jacques-neirynck.com
Site de l’éditeur : www.editions-harmattan.fr