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22 novembre 2024

« Des cultures et des dieux » : le fait religieux est-il une simple connaissance ?

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descultures1.jpg Dans un récent article du Monde, et en écho aux propos tenus par l’Evêque de Nice ( voir interview ) le spécialiste des questions religieuses Henri Tincq évoquait le problème des « chrétiens d’Orient et l’islam radical » dans le prolongement d’un colloque organisé conjointement par l’Institut Européen des Sciences en religion et l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Quelques jours après, toujours sous sa plume, on pouvait lire que le « Vatican réaffirmait son droit d’évangéliser les non-chrétiens et les chrétiens non catholiques » au risque d’altérer des relations déjà fragiles avec l’Eglise orthodoxe russe. En Turquie, un prêtre italien est poignardé à Izmir. Et la liste des actes et des litiges impliquant les religions ne s’arrête pas là. Que dire en effet des conséquences quotidiennes de l’imbrication, aussi géographique que symbolique, des trois monothéismes au cœur de la ville sainte de Jérusalem ? On ne peut, dans ces conditions, que s’interroger : pour quelles raisons l’enseignement du fait religieux à l’école, recommandé depuis longtemps par l’essayiste Régis Debray dans un rapport remarqué et consensuel sur le sujet, tarde tant à venir? Thème sensible ? Résistance des congrégations qui souhaitent garder la haute main sur la diffusion de leur pensée ? On se contentera donc, dans cette laborieuse attente, de s’intéresser à l’ouvrage collectif élaboré par de nombreux spécialistes du judaïsme, du christianisme et de l’islam, sous la direction de Jean-Christophe Attias et d’Esther Benbassa « Des cultures et des dieux », paru récemment chez Fayard.

Le souci des auteurs repose sur un constat attristant : l’existence d’une « inculture religieuse » des élèves qui, expliquent-ils plutôt pudiquement dans une post-face consacrée à l’enseignement du fait religieux à l’école, rend « difficile l’appréhension d’un certain nombre d’œuvres artistiques…et des pans entiers de l’histoire ». En fait, c’est l’incompréhension et le rejet qui dominent l’état des lieux. Sous forme de « repères pour une transmission du fait religieux », les auteurs proposent un ouvrage à la fois didactique sur le contenu et accessible dans sa forme. Le rappel exigeant des « corpus », des dogmes et des institutions qui en découlent n’empêche pas l’alternance avec une pluralité de digressions à tonalité plus culturelle et contemporaine. D’où leur approche respectueuse de la chronologie dans l’apparition des monothéismes mais également leur souhait d’en multiplier les accès : peut-on évoquer le judaïsme sans évoquer la politique, la création de l’Etat d’Israël et, en conclusion du chapitre, les « grands défis et interrogations théologiques » ? Le judaïsme, c’est aussi, selon les auteurs, la littérature moderne de Walter Benjamin à Hannah Arendt en passant par Isaac Bashevis Singer ou la figure de l’intellectuel juif Emmanuel Levinas. C’est encore l’influence prépondérante de la diaspora juive aux Etats-Unis, illustrée par la photo d’une cérémonie religieuse du « mariage juif d’un coupe gay » à New York.

Même traitement pour le christianisme, ballotté depuis ses origines entre orthodoxie et laïcisation. On notera ainsi un développement conséquent sur les arts chrétiens où interviennent à la fois la place de Marie dans la peinture et un éclairage sur l’essor de la musique religieuse. On appréciera également le chapitre consacré à la critique religieuse en occident par les philosophes des Lumières : moment nécessaire pour comprendre la lecture aujourd’hui relâchée, à distance, des textes bibliques, un peu « comme on lit Platon ou Aristote expliquait un jour régis Debray » et bien différente de la relation plus « verrouillée » entretenue par des hommes et des femmes avec le texte fondamental dans d’autres croyances. La partie sur l’islam au sens large accueille ainsi jusqu’à la littérature persane, ottomane ou turque et rappelle, ce qu’on ne fera jamais assez, les figures brillantes de l’intellectualisme musulman des quatre premiers siècles après sa naissance.

Mentionnons un effort louable des auteurs : une tentative heureuse de croiser les regards entre les différentes religions aux XIX et XXème siècles. Epoque qui rappelle certes les apports ambigus du colonialisme mais également souligne les œuvres inaliénables du palestinien Edward Saïd ou de l’érudit Louis Massignon. Tour d’horizon qui serait bien incomplet sans aborder les religions animistes d’un continent africain en pleine islamisation, les évolutions du christianisme en Amérique centrale et du sud, doublement marquées par un retour au « catholicisme coutumier » et une influence croissante des « mouvements évangélistes », sans bien évidemment oublier les mutations qui concernent les territoires de l’Asie.

On l’aura compris. C’est à un véritable tour du monde des religions qu’est convié le lecteur soucieux de comprendre les enjeux, visibles et cachés, du phénomène religieux. Périple au cours duquel il pourra finalement puiser tous les éléments essentiels d’un débat complexe et de grande actualité.

Sous la direction de Jean-Christophe Attias, Esther Benbassa, « Des cultures et des dieux, Repères pour une transmission du fait religieux », Editions Fayard, 2007, 440 p., 32 euros.

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