« Vingt-quatre heures de doute moins une minute d’espérance » écrivait Georges Bernanos à propos de la foi chrétienne. Lorsque la Scala de Milan demande en 1953 à Francis Poulenc -un an après la création à Paris des Dialogues des Carmélites, la pièce écrite par Georges Bernanos », de composer un opéra, le compositeur y voit un signe: « le ciel a mis sur mon chemin le sujet de mes rêves ». De sa présentation en 1957 à Milan à la Première de l’Opéra de Nice jeudi 7 octobre dans une production De Nederlandse Opera, l’oeuvre n’a pas pris une ride. L’établissement lyrique niçois, il est vrai, n’a pas lésiné sur les noms: la magistrale direction musicale de Michel Plasson réussit avec l’Orchestre philharmonique et les Choeurs de l’Opéra de Nice, une lecture méticuleuse des trois actes « parlando » du livret sans jamais attenter au déploiement de leur intensité dramatique. La mise en scène soignée de Robert Carsen restitue l’opposition radicale entre la verticalité ascendante de l’élévation spirituelle et le désordre latéral des mouvements de la foule révolutionnaire. Un savant fondu-enchaîné manoeuvre ingénieusement les seconds pour modifier les décors épurés de Michaël Levine en évitant les ruptures de rythme dans le défilé successif des douze tableaux. Les jeux de lumière signés Jean Kalman et réalisés par Jurgen Kolb y participent pleinement.
Subtilement chorégraphiée (Philippe Giraudeau) pour atteindre un rare paroxysme dramaturgique, la scène finale, où les voix s’éteignent au bruit métallique et glaçant d’une lame de guillotine, fait apparaître Soeur Blanche qui, grâce paulienne après la défaillance, rejoint le cortège des condamnées à l’échafaud dans un absolu de volonté. Cette figure rappelle celle, évoquée par la psychanalyste Catherine Millot, d’« Etty Hillesum voyant passer en août 1942 Edith Stein et sa soeur portant l’étoile jaune sur leur robe de carmélite » avant d’aller par un mystérieux « consentement » intérieur les rejoindre dans la mort à Auschwitz le 30 novembre 1943 (La vie parfaite, Coll. « L’infini », NRF Gallimard, 2006). « Vingt-quatre heures de doute moins une minute d’espérance ». A l’opéra de Nice, ces Dialogues des Carmélites offrent deux heures trente d’éternité.
Photos: D. Jaussein