« Celui qui rêve ne meurt pas », dit le poète libanais. Lorsque le rideau se lève sur la première mesure de musique sourde, presque imperceptible du « Songe d’une nuit d’été », la salle tend forcément l’oreille. Les « glissandi » de notes, ponctués par des interventions inattendues et malicieuses d’une percussion légère se font les complices d’une atmosphère mystérieuse que le compositeur entend jalousement partager avec son seul public. Sous le voile brillant apparaît progressivement un décor, indescriptible chaos qui nous semble pourtant étrangement familier, suggérant presque un sentiment de « déjà vu ». Sur la scène, une impressionnante forêt de chaises empilées en désordre, sorte de montagne magique abritant des divinités, sera le seul clin d’œil walhallien à une partition qui se rapproche beaucoup plus des « modernes » Fauré et Debussy que de Richard Wagner. Serions nous en train de rêver ?
Des fées surgissent. Elles débutent un chant magnifique dont les aigus évoquent des voix angéliques, toutes superbement portées par les chœurs d’enfants de l’Opéra de Nice réglés par Philippe Négrel. Dans le rôle d’Oberon, le roi des fées, le contre-ténor Fabrice di Falco, subtil mélange d’une voix sensuelle et empreinte de dignité qui convient parfaitement à ce personnage fantastique. Il développe une interprétation enchanteresse -qui a notamment séduit le Sultan d’Oman, pays où ce jeune prodige se rend tous les mois pour des « Master Class-, rendue plus irréelle encore par la présence à ses côtés de la soprano colorature canadienne Mélanie Boisvert qui incarne une reine Tytania triomphante dans ses vocalises et dont la puissance et la rigueur vocales font immanquablement penser au rôle encore plus exigeant d’une reine mozartienne de la nuit. Ils se querellent et le roi jure de se venger en utilisant le suc envoûtant d’une fleur. Un couple humain d’amoureux en fuite se trouve justement dans cette forêt : Hermia, jouée par la mezzo-soprano Mariana Rewerski, et Lysander, le ténor Jonathan Boyd, offrent un émouvant duo d’amour d’une rare volupté « Amen, je dis amen à cette belle prière ». A leur trousse, le promis officiel éconduit, Demetrius, (Luciano Garay) ne parvient pas à se débarrasser de l’encombrante Helena, magnifique Graciela Oddone qui campe le paradigme de la femme nymphomane et hystérique « Je suis votre épagneul…plus vous me battez, plus je me couche à vos pieds »! Chargé de la vengeance royale, le factotum du roi, le lutin Puck, rôle essentiellement parlé mais acrobatiquement tyrannique, exécuté avec éclat par un bondissant Scott Emerson, se trompe de cible…les ennuis et les quiproquos commencent dont l’un des moindres ne sera pas le coup de foudre, scène la plus « érotisée » à l’origine, de la reine Tytania avec Bottom (Gustavo Gilbert) un des comédiens changé en âne pour la circonstance.
Si l’intrigue initiale est plutôt simple -une erreur dans l’administration d’un filtre d’amour-, le livret adapté de William Shakespeare par Benjamin Britten et par son compagnon Peter Pears, la nourrit de multiples dimensions : il entremêle en premier lieu des mondes différents, des humains de rangs divers, des seigneurs respectés aux « théâtreux » marginalisés et sans le sou ainsi que des peuplades de créatures, lutins, fées et autres elfes, directement sorties des imaginations de l’enfance. Lorsque la tempête fait rage dans l’un, on peut toujours se réfugier dans l’autre, devait se dire l’auteur à propos de sa vie privée. Ainsi, au premier acte, des fées qui évoluent dans une forêt enchantée règlent leurs comptes personnels par pauvres créatures terrestres interposées, soumises aux effets d’un exubérant sortilège. Au second, ces dernières retrouvent finalement l’ordre humain récompensé par l’amour sincère, passionné et persévérant des protagonistes. La pièce pourrait s’arrêter là mais, dans un troisième acte dont la portée philosophique n’est certainement pas à éluder, une pièce de théâtre vient en quelque sorte s’emboîter dans celle de Britten, pour mettre en scène des acteurs burlesques, auteurs et interprètes d’une « farce tragique ». Signalons le rôle de Flute, auquel la mise en scène aura presque fait tout subir, à défaut des derniers outrages ! Rôle grimé, travesti, joué et chanté par l’irrésistible Ricardo Cassinelli qui s’est payé un petit succès personnel. Pour boucler la boucle, la scène finale nous ramène au royaume des fées. Et les chaises précédemment empilées sont à nouveau alignées et rangées comme « au théâtre », rappelant si besoin était que, « ordo ab chao », du chaos l’ordre peut naître.
Autant de mondes qui se télescopent mais s’ouvrent également les uns aux autres avec d’innombrables passerelles, histoire de rappeler la communication, bon gré mal gré, entre les moments de veille et ceux du sommeil chez tout être humain. Finalement, un opéra très psychanalytique, plutôt jungien dans le fond tant sont convoqués les nombreux archétypes liés aux mythes collectifs. En mélangeant des temps et des espaces comme dans l’inconscient, Britten s’amuse au troisième acte d’un mariage à la « Cour d’Athènes » entre le Roi Théséus et Hyppolyta -admirablement jouée par la jeune mezzo-soprano new-yorkaise Mary Ann Stewart- devant lesquels se produisent de rustres comédiens sur des tréteaux dignes des XVIème et XVIIème siècles, époque à laquelle vécut le dramaturge anglais.
Pour chacun de ces mondes, Britten a en quelque sorte sélectionné les instruments censés les caractériser au mieux : des sons ailés, éthérés, furtifs pour les fées (xylophone) ou tout ce qui est susceptible de rappeler le léger et le ludique, l’orchestre plus traditionnel pour les humains et les cuivres graves, plus rustiques, pour les acteurs. De cette partition aux registres et aux genres si contrastés, musique déjà plus classique mais pas encore atonale, l’Orchestre Philharmonique de Nice sous la baguette du chef Arthur Fagen a su rendre toutes les nuances et restituer toutes les émotions, en particulier ce moment de toute beauté entre les deux premiers actes. Finalement, Britten sait, et cela demeure l’essentiel, profondément toucher.
Quant à l’éblouissante mise en scène de Paul-Emile Fourny, aidée des décors et costumes de Louis Désiré et des éclairages de Patrick Méeüs, elle a subjugué l’assistance. Qu’est-il donc arrivé au Directeur Général et artistique de l’Opéra de Nice ? Tout simplement un « retour aux sources vives de la théâtralité » comme il l’expliquait après la « performance ». L’homme de scène liégeois a su amplement exploiter, sans exagération, toutes les capacités offertes par la fantasmatique du thème. Sans compter la manifestation évidente de son immense plaisir, par ce que l’œuvre l’y autorisait, à insuffler une créativité plus contemporaine dans cette production. Confidence de l’intéressé après l’incontestable succès d’hier soir : la rentrée 2008/2009 proposera un « Macbeth » résolument orienté vers la modernité. L’impatience nous guette.
A noter : parmi les prochaines représentations de « A Midsummer Night’s Dream », (dimanche 27 avril, 14h30), celle du Mardi 29 avril à 20h00 est réservée aux Juniors dans le cadre du label « Opéra junior » destiné à ouvrir les portes de l’Opéra à un public différent.
Tarif unique de 5 euros pour les universitaires, les étudiants et le public jeune.
Renseignements au 04 92 17 40 79