Trop peu souvent envisagée pour ce qu’elle est en elle-même et fréquemment réduite aux prouesses techniques qu’elle implique, la monumentalité n’en demeure pas moins une des réponses – et non des moins pertinentes – données par les artistes des XXe et XXIe siècle aux défis lancés par le cinéma et la publicité.
Et si le grand format a pendant longtemps servi de mémoire à l’Histoire et supporté les valeurs prescrites par la religion et les idéologies en place, les courants subversifs qui ont modifié de fond en comble les codes de représentation depuis plus d’un siècle ont inversé les rôles : la monumentalité peut aujourd’hui servir au détournement et plonger le spectateur dans le doute en transformant l’apparence d’un sujet au travers de l’agrandissement.
L’exposition EXTRA LARGE qui se tient au Grimaldi Forum à Monaco jusqu’au 9 septembre 2012, propose au visiteur de vérifier cela dans une rencontre avec les œuvres monumentales de la collection du Musée national d’art moderne Centre Pompidou. Cette exposition hors normes, comme son nom l’indique, soutient ainsi un paradoxe en conviant les amateurs d’art contemporain à venir dans l’un des pays les plus petits du monde prendre la mesure des enjeux de la monumentalité dans la pratique picturale…
D’emblée se joue le jeu de l’immersion, jeu instauré en d’autres temps et lieux par les Nymphéas de Monet. Dès les premiers espaces d’exposition, le spectateur est happé et absorbé par le gigantisme des œuvres devant lesquelles il s’arrête, et entre en osmose avec elles, comme on entre en communion avec le cosmos lorsqu’on s’abîme dans la contemplation d’un paysage grandiose. Le seuil à peine franchi, il pénètre dans une première salle qui évoque un sas improbable qui relierait notre monde à un univers de géants. Là, il se retrouve instantanément confronté à l’immensité et à la densité de Polombe, de Franck Stella, toile de presque dix mètres de long. Cette œuvre constellée de motifs appartenant aux compositions antérieures de l’artiste, donne par un enchevêtrement de détails virevoltant en tous sens, l’illusion de la troisième dimension et provoque en duel les inconditionnels de l’analyse picturale. Á peine sorti de cet accélérateur de particules, le visiteur doit affronter les impressionnantes Puissances du désordre, de Roberto Matta, et se frotter aux électrons libres qui dérangent Le cours des choses, de Jean Dubuffet, sous le regard inquiétant des Personnages et oiseaux de Joan Miró. Comment, après cela, pourrait-il résister à l’appel du large et ne pas se laisser emporter à la dérive sur l’onde chatoyante de In Lovely Blueness, de Sam Francis ? Comment parviendrait-il à ne pas céder au désir de se fondre dans les frondaisons de La Grande Vallée XIV, de Joan Mitchell, pour se remettre de ces débuts mouvementés et mieux repartir ensuite à la rencontre d’autres surprises ?
Car surprises il y a, encore et encore, qui attendent au-delà des trouées menant aux différents moments de l’exposition de faire impression dans nos imaginaires. Et nous aimerions pouvoir toutes les citer tant elles valent chacune que nous nous y arrêtions. De La Cabane éclatée aux paysages fantômes de Daniel Buren et Xavier Veilhan, où la couleur ne joue plus comme dans La Cabane éclatée de la Fattoria di Celle1 mais où intervient toujours la fragmentation de l’espace, à Groupe de 13, d’Eva Aeppli, qui est un hommage poignant à Amnesty International, en passant par La vie impossible de Christian Boltansky, La Vierge au linge mouillé II de Joseph Beuys, la Round Table de Chen Zhen, le Survivant de Yan Pei-Ming, le Praying Garden de Gilbert & George et en s’arrêtant un instant pour Respirer l’ombre de Giuseppe Penone et se glisser entre les draps de N.Y., 06 :00 A.M., le lit/boite de sardines géante de Franck Scurti, l’itinéraire proposé par cette exposition est tout simplement exceptionnel.
N’en déplaise à Ben Vautier qui, s’en l’avoir vue, fait savoir sur le Net en se cachant derrière un autre, qu’ici « il n’y a rien de monumental, sauf le rhinocéros sur le toit », tout en concédant qu’« il y a de la qualité mais une qualité réchauffée pour les spécialistes qui avaient déjà tout vu à Beaubourg et ailleurs », avant de conclure par une formule qui se voudrait lapidaire : « J’ai donné mon carton d’invitation à ma fille ». Tant mieux pour elle, mais dommage que vous ne soyez pas venu, cher Ben, vous auriez pu juger par vous-même de la qualité indéniable d’un événement pensé dans un souci d’ouverture aux néophytes et ne s’adresse pas seulement, fort heureusement, au seul cercle restreint des grands initiés ou des habitués de tous les hauts-lieux de l’art. Dans cette exposition, admirablement conçue par Ariane Coulondre – ex brillantissime et délicieuse conservatrice du Musée Fernand Léger à Biot, qui démontrerait que « la valeur n’attend pas le nombre des années » – il n’y a pas de combat d’égos. Juste un dialogue de Titans. Ceux de l’art. Qui, par leur talent, lui confèrent et s’inscrivent avec lui dans une dimension telle qu’aucun petit dieu narcissique ne pourra jamais les atteindre…