La femme serait-elle aussi multiple que le judaïsme ? Preuve, s’il en est, de l’intégration des Juifs dans les différentes nations où ils sont implantés, a fortiori en Israël, le statut de la femme dans la religion d’Abraham et de Moïse diffère et évolue de manière contrastée en fonction des environnements politiques et sociaux. Surtout si le questionnement aborde « le statut actuel de la femme dans la loi juive », « l’identité féminine et féministe » et le domaine si intime de leur « sexualité ». Un sujet aux multiples facettes si rarement étudié qu’on ne saurait se priver du plaisir de parcourir l’ouvrage collectif « Femmes et judaïsme aujourd’hui » paru récemment aux Editions In Press. Sonia Sarah Lipsyc, écrivain et enseignante d’exégèse juive au CNRS, a en effet souhaité transmettre les actes d’un colloque qui s’est tenu au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme en mars 2004 et qui réunissait autour de sept tables rondes -le chiffre n’est certainement pas fortuit- des sociologues, des historiennes, des avocates spécialistes de la « cause féminine » mais également des Rabbins et une femme talmudiste, spécialisée dans le droit hébraïque. Avec pour principal objectif celui de confronter les points de vue mais aussi les évolutions du statut des femmes dans la religion juive. Soit une vingtaine de contributions qui résument les réflexions échangées sur les thèmes suivants : « Textes talmudiques au féminin », « Les femmes dans les synagogues et les tribunaux rabbiniques », « Sexualité, mariage et divorce », les questions identitaires « Masculin/Féminin », « Combats de femmes dans la société juive », « Juive et homosexuelle » et « Etre féministe dans le judaïsme et juive dans le mouvement féministe ». Difficile d’être plus complet dans l’approche et le traitement du sujet féminin vis-à-vis d’un monothéisme.
Au total, une passionnante immersion aussi bien intellectuelle qu’humaine dans l’univers de l’ancien Testament, de ses interprétations mais aussi dans celui de la judéité contemporaine. S’il est possible d’aborder les divers chapitres au gré de son intuition, on recommandera la lecture au préalable du texte introductif de Sonia Sarah Lipsyc sur « l’accès des femmes au Talmud : le point de vue traditionnel en question » qui fournit au profane – au « Goy » si l’on préfère !- tous les éléments nécessaires à la compréhension des autres développements. La sociologue explicite ainsi une des interprétations -talmudiques- d’un verset de la Thora qui évoque son « enseignement » aux enfants juifs, un enseignement que les « Maîtres du Talmud » ont, selon elle, entendu au sens strict, c’est-à-dire réservé au seuls « fils » des familles. Et qui, en conséquence, « dispense » les « filles » de cet apprentissage lequel vaut pourtant accès et initiation aux textes sacrés, condition sine qua non pour apprendre et, ultérieurement, enseigner aux plus jeunes. Et l’auteur, à l’image des travaux réalisés en « Yechivot » -les écoles talmudiques-, d’élaborer à son tour, d’étayer sa réflexion en la nourrissant de multiples citations de Rabbins et autres interprétations exégétiques antérieures. Aucune crainte de se perdre dans ce labyrinthe de références -mais la perte elle-même semble indissociable de la démarche midrashique- tant la pédagogie explicative accompagne cette progression et vient éclairer chaque avancée. Avec, au passage, ce regret émis par l’auteur sur le fait qu’il n’existe pas en France de cours de Talmud ouvert aux femmes alors qu’aux Etats-Unis, de Boston à New York, des jeunes filles et des femmes peuvent suivre depuis une trentaine d’années, ainsi qu’en Israël depuis peu, des enseignements talmudiques dispensés par un Rabbin membre du courant « Modern Orthodox ».
Il est évidemment impossible de décrire chacun des chapitres de ce recueil si captivant mais tous ouvrent à leur manière sur une authentique découverte. Il en va ainsi du pouvoir de « nommer », l’un des plus complexes comme le sait chaque psychanalyste, sur lequel se concentrent les « Lectures féminines de la Bible » de Danielle Storper-Perez, ou de l’exégèse non dénuée d’une certaine ironie de cette sibylline bénédiction matinale et quotidienne « Beni sois-tu l’Eternel…qui ne m’a point fait femme » par le Rabbin Marc Kujawski. Tout aussi intéressante se révèle la partie consacrée à l’épineux problème du « Get », le document fondamental établissant le divorce si complexe à obtenir au regard des traditions religieuses abrahamiques, évoqué par la Talmudiste Liliane Vana dans ses réflexions sur la sexualité, le mariage et les processus de séparation dans le couple juif. Une sexualité, par surcroît, traitée de manière quasi analytique par Janine Elkouby, Professeur de lettres classiques et d’exégèse juive à Strasbourg, avec, en particulier cette notion si essentielle du « Ezer Kenegdo », susceptible d’être traduite par « une aide en face de lui », finalement, cet « autre en soi » condition indispensable de la rencontre et, in fine, de toute existence humaine digne de ce nom. Un magnifique développement que prolonge celui sur le « ich » et la « icha », concepts constitutifs de l’identité sexuelle mais également le marquage de cette rencontre ratée, du « manque à être du mâle juif » dont l’écrivain et philosophe Arouna Lipschitz rappelle que « Zakhar », « mâle », veut aussi dire celui qui doit se « souvenir » jusque dans la circoncision de sa chair.
On l’aura compris : même très enrichissant, ce livre suscite bien plus d’interrogations qu’il n’apporte de solutions. Démarche fidèle en cela au célèbre proverbe du Talmud : « la réponse est le tombeau ».
Sonia Sarah Lipsyc (Collectif), « Femmes et judaïsme aujourd’hui », Editions In Press, 2008.