Samedi dernier, Christian Estrosi a dédicacé son œuvre littéraire à la Maison de la Presse.
Garibaldino en a profité pour lire ce livre et nous livrer son commentaire.
Il y a un virus que les politologues et les experts des mass-média n’ont pas encore réussi à diagnostiquer et encore moins à définir : c’est le besoin (psychologique ? physiologique ?) des hommes politiques d’écrire (ou de faire écrire) ou de simplement signer un livre. Est-ce un besoin de laisser une trace de leur passage, souvent long en terme de temps mais rarement significatif en terme d’héritage, dans la vie politique ? Malheureusement, Christian Estrosi (où a-t-il pu trouver le temps ?) n’a pas su échapper à ce virus et il a « pondu », lui aussi, son pensum au titre : « Le battement d’ailes du papillon » (voir encadré).
Quel dommage ! Car ce qui se voulait certainement être une biographie intellectuelle et un témoignage de son temps a fini par être une sorte de BD avec un tiraillement permanent entre le « je » et le « moi », un livre de recettes avec au menu, comme entrée, l’éloge de la vertu personnelle ; comme plat principal, la vertueuse corvée et comme dessert des mises en abyme un peu téléphonées.
En fait, ce n’est pas vraiment une surprise car, on le sait, Christian Estrosi, s’il est homme assurément brillant ,est parfois victime de sa virtuosité !
Et pourtant… et pourtant, Christian Estrosi aurait eu beaucoup à dire
Tout d’abord, il aurait pu dire aux jeunes d’aujourd’hui, souvent fragiles et désemparés, qui cherchent dans le brouillard des difficultés de la vie le chemin pour avancer, qui doutent de la possibilité d’une ascension sociale, ce que la volonté et l’engagement peuvent faire pour la réussite personnelle.
Et leur expliquer comment, lui, un jeune de modeste condition sociale, sans une formation scolaire élevée mais « à force de travail, à force de volonté, à force de discipline et de rigueur » peut devenir, champion sportif de niveau international, homme politique de premier plan, conseiller puis maire de sa ville, président du Conseil général de son département, conseiller de sa région, député de sa circonscription, ministre de son pays et futur « patron » de Nice Métropole, première métropole de France.
Tout ceci avec comme seule arme, l’envie de faire, une forte capacité d’apprendre vite et bien à l’école de la vie, afficher une réactivité et une pugnacité pour affronter les difficultés et les épreuves.
Qui peut dire mieux ? Quel formidable parcours ! Quel bel exemple à suivre et quel modèle positif à transmettre !
Il aurait pu diffuser, comme exemple, « le bien de soi », comme nous l’a appris Aristote dans son ouvrage « Ethique à Nicomaque » en lieu et place d’un discours confus en 10 chapitres, utile pour alimenter les discussions entre partisans et détracteurs au Café du coin… s’il y en reste encore !
En fait, nous sommes d’accord, il faut faire simple. Hélas, la simplicité de ce livre par rapport à la complexité des arguments traités est un peu juste !
Mais puisque ce livre a été écrit et publié, nous voici dans la « liberté de l’analyse » (comme disait Socrate) pour commenter quelques points forts :
Le fil conducteur de l’opus est le gaullisme social, celui des feu Jacques Chaban-Delmas et Philippe Seguin, des gaullistes défendant la démocratie sociale, sans toutefois remettre en cause le capitalisme (réformisme social-démocrate) dont Christian Estrosi se revendique d’en être le digne successeur.
Ceci nous amène directement aux théories du sociologue anglais Anthony Giddens amorcées dans son ouvrage « Beyond Left and Right », en 1994, et encore mieux définies dans « The Third Way : The Renewal of Social Democracy » (La troisième voie : le renouveau de la social-démocratie), en 1998.
L’ambition d’Anthony Giddens était à la fois de refonder la théorie sociale et de réexaminer notre compréhension du développement et de la trajectoire de la modernité. C’est Giddens qui conçut l’approche politique de la « troisième voie » et qui guida l’action de Tony Blair, en Grande-Bretagne, aussi bien que celle de Bill Clinton, aux États-Unis.
Christian Estrosi est-il devenu partisan de cette « third party » au moins du point du vue idéologique alors qu’il est militant et dirigeant d’un parti politique (UMP) de droite ? La définition de l’UMP comme « la famille (politique) la plus proche et quelquefois la moins éloignée » nous paraît une belle esquive mais une réponse insuffisante.
Christian Estrosi écrit « je ne crois pas au libéralisme effréné », et préconise que « les valeurs de justice et d’équité deviennent le moteur de tout projet ».
Cette déclaration ne peut que surprendre quand on considère que Christian Estrosi a été Ministre d’un gouvernement dont la politique a été la version copier-coller du « turbo-capitalism » dont on connaît aujourd’hui le bilan en terme de pertes et profits.
Est-il maintenant devenu un partisan des théories de Klaus Schwab, le fondateur du Forum de Davos* ?
Pour Klaus Schwab, « le capitalisme a besoin d’être réformé pour trois raisons :
1 – le capitalisme s’est déséquilibré. La mise en œuvre spéculative de capital virtuel en comparaison à une utilisation du capital dans l’économie réelle a pulvérisé les limites de la raison et échappé à tout contrôle. Pour équilibrer les risques il faut des opérations financières et pas des transactions qui spéculent avec la spéculation elle-même.
2 – dans le système capitaliste d’origine, nous faisions une nette différence entre, d’une part, les actionnaires et d’autre part, les managers. De plus en plus, les managers ont été associé aux intérêts des détenteurs de capitaux par un système de bonus exagéré, ce qui a perverti le système. C’est ici que réside la racine du mal, car elle entraîne des rémunérations excessives et mine l’éthique professionnelle du manager.
3 – Le capital n’est plus le facteur de production décisif dans le système économique mondialisé. Les avantages concurrentiels seront générés sur la base de prestations de temps intellectuelles, donc immatérielles.
La performance économique sera déterminée en premier lieu par la facteur de production qu’est le talent, ce qui demande une politique de formation innovante et permanente tout au long de la vie active de chaque individu ».
Si cette analyse est bonne, elle signifie dans sa déclinaison, un Etat stratège, un Etat capable d’accompagner les entreprises sans entraver leur liberté, de faciliter l’éclosion des talents, d’élaborer un environnement favorable à leur épanouissement et de proposer une approche globale et cohérente afin d’optimiser chaque étape de la production.
Christian Estrosi s’est-il inscrit dans cette ligne quand il affirme la « revendication de sa part de liberté » » ?
Aujourd’hui, en France (Insee-2009), là où Christian Estrosi exerce son rôle et ses responsabilités politiques, 80% de la population active gagne moins de 2000 euros par mois.
Christian Estrosi veut-il être le porte-parole de cette majorité numérique même si elle est dispersée et aujourd’hui (encore) silencieuse ?
Pour continuer: » la dimension humaine doit être impérativement au cœur de toute décision économique et financière…
‘Nice Sound’ (quelles belles paroles) ! Qui peut être contre ?
Mais pour cela, la manière de faire de la politique doit changer. Il faut dire « stop » à la politique des sondages, des décisions à court terme (short-termism) et du retour immédiat en terme de consensus électoral. Celles-ci signifient l’absence de leadership et la diffusion de la followship, c’est-à-dire la politique qui suit les humeurs des gens souvent manipulés par l’information et ses dérives technologiques. Car si l’on veut avoir pour cap la responsabilité sociale, non seulement dans la société civile et dans le monde de l’entreprise mais aussi dans celui de la politique, il faudra que les leaders opèrent dans une logique de long terme ayant comme objectif primaire la cohésion sociale.
Et pour en finir, « L’Europe existe, la France en fait partie« , ça veut dire quoi ? Tout d’abord, un ‘nous’ et un ‘eux’ ne peut pas exister parce que l’Europe c’est ‘nous’ !
Mais de quelle Europe parle Christian Estrosi ?
De l’Europe communautaire, éprise de solidarité, bâtie sur des institutions chargées de l’intérêt général et soucieuse de faire cohabiter sans heurts les Etats de toutes tailles ? comme le disait Sylvie Goulard, conseillère politique de Romano Prodi quand il était Président de la Commission.
Le maire de Nice a certainement des valeurs, une vision et une capacité d’action même si la réflexion – ce passage entre l’idée et son application -, lui fait parfois défaut et s’il s’appuie trop sur la communication sans considérer que son abus la fait devenir inaudible avec la conséquence de ne plus en être le sujet mais l’objet.
Ce livre en est l’exemple : vocation, conviction ou positionnement politique ?
Au niveau national face aux jeunes loups tels Laurent Wauquiez et sa droite sociale et localement dans la perspective d’un deuxième tour aux prochaines élections municipales face au candidat du FN quand il aura alors besoin d’un report des voix de gauche.
Enfin, pour revenir au titre de l’ouvrage et à son message, nous suggérons les paroles de Zygmunt Bauman, qui est considéré comme l’un des plus importants philosophes et sociologues vivant :
« L’allégorie du papillon va contre la conviction, qui est la nôtre, que nous pouvons avoir connaissance de tout ce qui verra. C’est la théorie du « tout » : nous pouvons avec la technologie savoir, prévoir, créer même si nécessaire. Mais en cette découverte de Lorenz il y a une lueur d’espoir : le battement d’ailes signifie qu’il ne faut pas oublier la valeur, même marginale, des petits mouvements. Notre imagination doit aller loin, au-delà de notre capacité de bien faire ou de mal faire les choses. Dans l’histoire humaine nous avons eu un certain nombre de femmes et d’hommes qui comme les papillons ont changé l’histoire de manière radicale et positive : aidons donc les papillons à battre des ailes ! ».
Cette vision positive du futur de Bauman ouvre le chemin de l’espoir et se relie avec cette belle et significative expression de Christian Estrosi dans l’épilogue : la prospérité est indissociable de l’espérance”.
Il n’en reste pas moins que le chemin à parcourir pour Christian Estrosi sera long et souvent solitaire (« Rari nantes in gurgite vasto », Virgile, Eneide).
Mais, en terme de vœux, nous lui rappelons ce que Tacite (De oratore) écrivait : « c’est dans l’ampleur de la tâche que l’on voit la valeur de l’homme ».