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22 novembre 2024

Hélène Cruciani, auteure de 11 septembre 2061 et d’Expéron

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Ingénieur, comédienne, metteur en scène, marionnettiste… Hélène Cruciani a exploré de nombreux domaines avant de voir son premier roman publié, Expéron, roman de science-fiction dans la veine d’Aldous Huxley soulevant nombre de questions d’éthique sur le progrès scientifique et le droit à la maternité. Son deuxième roman d’anticipation, 11 septembre 2061, publié aux Éditions Néreïah, a remporté le Prix Imaginéreïah 2016.


Hélène Cruciani a accepté de répondre aux questions de Nice Premium sur son roman 11 septembre 2061, dont la critique vient d’être publiée sur notre site : « Toute la vérité « géo-politico-stratégique » sur ces attentats, ô combien impensables sur leur sol, n’avait donc pas été révélée et il leur fallait continuer à vivre avec ça. Ces enjeux-là se sont dès lors placés au cœur de mon projet d’écriture […] »

Nice Premium : Comment vous est venue l’idée de 11 septembre 2061 ? Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire sur ce sujet-là ?

Hélène Cruciani : J’étais en dédicace au festival du livre de Mouans Sartoux, aux côtés de Menolly (éditrice de Griffe d’Encre), lorsque nous avons abordé le sujet des attentats du 11 septembre 2001. Les « théories du complot » qui inondaient le net – démolition contrôlée des tours, missile sur le Pentagone, etc. – me troublaient alors énormément : tant de gens contestaient ce qu’ils nommaient « la version officielle des attentats du 11 septembre » que je lisais et relisais leurs articles en me demandant si leurs interrogations étaient légitimes. En 2008, un sondage international avait révélé que seuls 46% des interrogés pensaient que les attentats étaient bien l’œuvre d’Al-Qaïda.
Un débat animé avait eu lieu en 2009 sur le plateau de l’émission « L’objet du scandale » de Guillaume Durand, dans lequel Mathieu Kassovitz et Jean-Marie Bigard avaient publiquement exprimé leurs « doutes ». Des livres, tel « La face cachée du 11 septembre » du grand reporter Éric Laurent, et des films, telle la série « Loose change », sortaient régulièrement. Tant sur le plan géopolitique que scientifique, de nombreuses questions ne cessaient d’être soulevées, et ce, plus de dix ans après les faits.
Menolly et moi avons discuté de tout cela avec passion, puis elle m’a demandé si je me sentais d’écrire une novella sur les événements du 11 septembre. Ravie de cette proposition, j’ai relevé le défi, même si, bien sûr, la façon dont j’allais aborder ce sujet sensible ne m’apparaissait pas encore.

N P : Concernant l’écriture de 11 septembre 2061, comment avez-vous travaillé ? Vous êtes-vous beaucoup documentée sur les attentats ?

H. C. : Ma première démarche a été en effet de me renseigner en profondeur sur les attentats, ce qui m’a pris beaucoup de temps. J’ai consulté le rapport final de la Commission d’enquête, lu des articles de journalistes, pris connaissance des analyses et comptes-rendus de la communauté scientifique française – bizarrement inconnus du grand public –, étudié les profils (parfois édifiants !) des « experts » en « nouvelles théories » et, bien sûr, écouté de nombreux témoignages de victimes et de leurs proches. Le premier élément que j’ai retiré de cette étude est qu’aucune des « théories du complot » remettant en question le déroulé des événements ne résistait à la science : pour n’en citer qu’un seul, le livre de l’agrégé de génie civil français, Jérôme Quirant – intitulé très justement « La farce enjôleuse du 11 septembre » – le démontre sans appel.
Le second élément est simplement une immense émotion à l’écoute des témoignages, qui m’ont montré combien les dommages psychologiques des Américains avaient été profonds et massifs. Je me souviens en particulier d’un homme qui n’utilisait plus sa voiture depuis le 11 septembre 2001 : garée ce jour-là à côté du World Trade Center, elle était encore pleine de poussière et il ne pouvait se résoudre à la laver ni la conduire, ne sachant si cette poussière contenait ou non des cendres de corps humains. Pour certains, les dommages subis – et c’est là mon troisième et dernier élément – se doublaient de la terrible et durable conviction qu’en plus, « on » ne leur avait pas tout dit. Certes, pour beaucoup les « théories du complot » n’avaient aucun fondement mais il n’en restait pas moins que le rapport de la Commission avait été amputé de vingt-huit pages.
Toute la vérité « géo-politico-stratégique » sur ces attentats, ô combien impensables sur leur sol, n’avait donc pas été révélée et il leur fallait continuer à vivre avec ça. Ces enjeux-là se sont dès lors placés au cœur de mon projet d’écriture et je me suis plongée dans le futur d’une famille traumatisée par les attentats. Cette approche m’a permis d’explorer le phénomène de transmission d’une génération à l’autre, tout en entraînant le lecteur dans la recherche originale d’une « vérité » possible.

N P : Vos deux héroïnes, Clarence et Katherine, ont chacune des failles qu’elles cachent sous des attitudes peu avenantes, d’où vient l’idée de ces personnages ?

H. C. : Clarence et Katherine appartiennent à la même famille et portent toutes deux l’héritage des événements du 11 septembre. Mais n’ayant ni le même tempérament, ni la même histoire, elles le portent de manières très différentes. L’une, très instinctive, se désintéresse des attentats, qui ne représentent plus, à ses yeux, qu’un souvenir nuisible dont elle tente de protéger sa mère. L’autre, plus cérébrale, nourrit une obsession à l’encontre des événements qui, pour elle, recèlent encore de nombreux mystères à découvrir. L’entêtement dont elles font preuve dans leurs projets respectifs ainsi que la façon dont elles s’opposent l’une à l’autre (brusquerie et simplicité contre égoïsme et finesse manipulatrice) leur donne sans doute le côté antipathique que vous mentionnez. Mais je retiendrai plus l’idée de leurs « failles » car, en cela, Clarence et Katherine ont une forme de complémentarité. Par leurs attitudes respectives, elles symbolisent en effet les deux réactions possibles face à un événement traumatique : la tentative d’effacement et l’impossibilité d’en sortir. C’est sans doute pour cette raison que ces deux cousines se sont imposées à moi. Je dis « sans doute » car mes choix ne sont pas forcément si explicites au départ : les personnages naissent sans qu’un profil trop défini leur soit assigné puis s’étoffent peu à peu en prenant leur place dans l’intrigue.
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N P : Dans 11 septembre 2061, il y a quelques références à « Expéron » votre premier roman, avez-vous envie que tous vos romans soient connectés entre eux ?

H. C. : « 11 septembre 2061 » se déroulant à la même époque qu’« Expéron » (les années 2050-2060), le lien entre leurs univers s’est opéré naturellement. Mais les références spécifiques à « Expéron » ne faisaient pas partie de mon projet de départ ; les éléments de ce roman figuraient simplement dans mon imaginaire. La connexion s’est produite au moment de l’écriture : à un moment donné, utiliser « Expéron » m’a paru intéressant pour les personnages. Pour répondre à votre question, je ne parlerai donc pas d’une « envie » mais plutôt d’une possibilité exploitée. Est-ce que cela se reproduira ? Je ne saurais le dire.

N P : Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire 11 septembre 2061 ? De façon générale, comment procédez-vous pour l’écriture d’un roman ?

H. C. : Il est très difficile de répondre à la question « combien de temps vous a-t-il fallu » car mon projet d’écriture sur le 11 septembre a mûri lentement. Plusieurs années se sont écoulées entre le moment où l’idée a germé et celui où j’ai commencé à écrire. Mais je dirais que l’écriture à proprement parler m’a pris à peu près un an. De divers éléments d’histoire, émerge d’abord une ligne d’intrigue puis, très vite, les personnages se dessinent. Je m’intéresse à eux de très près : à leur psychologie, leur ressenti, leurs relations. Lorsqu’ils prennent de l’épaisseur, ils m’échappent et investissent l’intrigue à leur façon. Alors celle-ci évolue et s’enrichit, leur offrant en retour de nouvelles opportunités. Mis à part une ligne générale, rien n’est donc fixé à l’avance. Ma seule « discipline », lorsque je suis plongée dans un projet, est d’écrire tous les jours. Tout du moins lorsque c’est possible car, parfois, mon environnement et ma disponibilité ne le permettent pas et je dois m’adapter.

N P : Et maintenant quels sont vos projets d’écriture ?

H. C. : Je souhaite, bien sûr, mener d’autres projets de romans à terme. Mais vous me pardonnerez, j’espère, de ne pas en parler : je n’ai jamais su ni voulu parler de mes projets en cours !
Je continue par ailleurs à écrire de temps à autre des nouvelles car imaginer des récits courts avec peu de personnages est un exercice difficile qui me séduit grandement.

N P : Pouvez-vous nous parler de La Cour de l’Imaginaire et du Prix Imaginéreïah que vous avez reçu cette année ?

H. C. : La Cour de l’Imaginaire est un collectif de passionnés des littératures de l’imaginaire de la région de Nancy : Raymond Iss, Josette Iss et Nadia Harley. Conscients de la difficulté que rencontrent les auteurs à faire éditer leurs textes de SFFF, ils se sont associés dans le but de « contribuer à la découverte et à la promotion de nouveaux talents ». Pour ce faire, ils ont créé un prix qui, chaque année depuis 2012, permet à une (voire deux) œuvre francophone (roman ou recueil de nouvelles) relevant des littératures de l’imaginaire d’être publiée.
La maison d’édition étant, depuis cette année, les Éditions Néreïah dirigées par Rémy de Bore, le Prix La Cour de l’Imaginaire se nomme désormais Prix Imaginéreïah : je suis donc la première à l’avoir reçu sous cet intitulé. Cela a été, pour moi, une magnifique expérience, d’autant qu’elle m’a permis d’améliorer mon roman. Rémy et le collectif m’ont en effet demandé un travail de « resserrement » avant publication : j’ai ainsi pu alléger mon texte de certains détails ou descriptions qui l’alourdissaient, autrement dit bénéficier d’un véritable travail d’édition, durant lequel le collectif m’a assistée et orientée avec beaucoup de tact et de bienveillance.

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