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21 novembre 2024

Interview d’Olivier May, auteur du Chant d’Ekhirit et d’Excision

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L’auteur des romans déjà chroniqués sur notre site, Le chant d’Ekhirit et Excision, nous a accordé un entretien. Rencontre avec un auteur qui n’a pas peur d’aborder des thèmes sensibles.


Olivier May est suisse, il est né en 1957 à Genève et c’est à l’adolescence qu’il se découvre un goût prononcé pour la littérature imaginaire qui ne le quittera plus.
Après des études d’anthropologie préhistorique et d’histoire il participe à un programme de recherche archéologique sur les premières civilisations des Alpes tout en enseignant à l’école secondaire.
Aujourd’hui Il est doyen dans un collège genevois et a publié cinq romans de fiction spéculative ainsi que plusieurs nouvelles. En 2013, sortira son premier roman préhistorique illustré aux éditions Jeunesse de Flammarion.

Nice Premium : Comment en êtes-vous venu à écrire un roman sur l’excision, l’islam et le combat pour la liberté des femmes musulmanes ?

Olivier May : Par des rencontres. J’ai découvert [la réalité de l’excision] au contact d’élèves issues de familles de réfugiés somaliens. J’ai recueilli des confidences et j’ai pu en parler. Le courage de ces jeunes filles m’a ému.

Lorsque l’idée d’un roman sur le terrorisme m’est venue, son insertion dans le thème de l’excision était, pour moi, une évidence, comme les origines somaliennes de mon héroïne. J’écris de la fiction spéculative, un genre de Science-Fiction centré autour de l’anticipation sociologique et politique sur fond d’avancées technologiques. Mon héroïne s’appellerait donc Aayan et lutterait contre l’intégrisme, l’archaïsme, et pour la dignité des femmes musulmanes et leur insertion dans la modernité, mais sans renier ses origines.
J’ai tenté d’éviter les clichés dans l’écriture tout autant que le politiquement correct qui nie les problèmes que posent certains milieux.

Dans mon travail de doyen et d’enseignant, je suis confronté à de nombreuses situations épineuses qui mettent en évidence le statut des jeunes filles dans certains milieux intégristes. Je précise que cela ne concerne pas que l’Islam, mais que les jeunes filles musulmanes sont surreprésentées.
En Suisse, le voile est accepté à l’école publique. Je parle bien entendu d’un foulard et la burka ou le niqab cachant le visage ne sont pas toléré ! Cela implique aussi qu’une jeune fille voilée ne passe pas inaperçue, du fait qu’une large majorité de jeunes filles de tradition musulmane ne portent pas le voile.
Les musulmans de Suisse sont, il est vrai bien intégrés. Huit sur dix sont originaires des Balkans et peu pratiquants. Si vous allez à une fête bosniaque, il y aura de l’alcool, par exemple. En outre, la Suisse n’a pas de passé colonial et une longue histoire de tolérance religieuse et une ancienne laïcité. Pour mieux connaître leur réalité, j’ai lu le Coran et certains hadiths. J’y ai trouvé des textes très datés, écrits dans un contexte de l’antiquité tardive qui ressort à chaque verset. Ce message m’est avant tout apparu comme un catalogue d’interdictions et d’exhortations à adopter un comportement social très normé. Pour moi, c’est la religion qui s’approche le plus d’un vrai monothéisme.
Parfois elle abolit, parfois elle renforce les coutumes les plus anciennes. On y trouve bien sûr de clairs appels au meurtre des infidèles, ce qui est « parfaitement normal » dans une société guerrière du sixième siècle.

L’excision n’y est pas mentionnée car il s’agit d’une coutume tribale préislamique qui peut également concerner, des coptes chrétiens ou des animistes. Cependant, plus de quatre-vingt quinze pour cents des cas d’excision ont lieu dans un contexte islamiste intégriste.

N P : L’excision est un thème très féminin, sensible, comment avez-vous fait pour aborder ce côté-ci des choses, qui est d’ailleurs très bien rendu ?

O. M. : Je suis très heureux de votre question et que vous trouviez très bien rendu par un homme mon traitement de ce thème intime.
Je me suis rendu compte à travers mes lectures que plusieurs spécialistes de la chirurgie reconstitutive étaient des hommes. Que des hommes prenaient soin de ces femmes, prenaient des risques. Elles sont des dizaines de millions à souffrir de l’excision, à vivres mutilées dans notre monde contemporain, ne l’oublions pas.
J’ai voulu garder la distance d’un narrateur extérieur, je ne m’imaginais pas parler à la première personne et me mettre à la place d’Aayan. D’autre part, le point de vue amoureux de David, son admiration pour sa beauté tragique et son combat était essentiel. Celui de l’imam Djellul aussi.
Des figures d’hommes qui aident à réparer, qui rendent la résilience possible, bien que Khadija et Leïla soient des modèles importants.
J’ai choisi d’aller au centre névralgique du problème. L’excision, c’est une mutilation sexuelle, Le sexe est au cœur de cette pratique qui tend pourtant à l’éradiquer. Le sexe féminin, la sexualité de la femme est en jeu. J’espère que j’ai choisi le bon angle pour aborder cette part très sensible du thème et du récit.

N P : Comment vous êtes-vous documenté avant l’écriture, par des rencontres, des lectures ?

O. M. : Après quelques lectures préliminaires, j’ai construit l’intrigue, en particulier les mystérieux interchapitres en italique, esquissé les personnages, trouvé la chute. Je suis ensuite revenu à ma documentation de départ et à mes notes.
J’ai beaucoup lu sur le sujet mais aucune fiction. Elles sont trop rares d’ailleurs. Tabou ? J’ai lu des témoignages, des rapports, des entretiens avec des personnes concernées au premier plan (je n’aime pas le terme victime, elles sont trop courageuses pour ça), ou des responsables d’ONG luttant contre ces pratiques. Je n’ai pas pu rencontrer une exciseuse, mais j’ai lu leurs témoignages. J’aurais voulu leur poser une simple question : comment une femme peut-elle perpétuer cette barbarie au nom de coutumes patriarcales ? J’ai essayé d’y répondre en lisant leurs témoignages sur leur rôle dans cette chaîne du malheur.

N P : Quel a été votre sentiment suite à ça ?

O. M. : Mon sentiment actuel est celui de l’urgence. Une lectrice m’a contacté et, suite à notre rencontre dans un café, j’ai décidé d’agir à mon niveau. Je parraine une fillette en versant une somme mensuelle à son ONG qui lutte contre l’excision d’une manière très pragmatique. Le marché est le suivant : ma contribution sert à couvrir l’écolage et la pension de cette jeune personne. Je la suivrai de loin jusqu’à ce qu’elle ait terminé ses études. Avec ma femme, nous espérons la rencontrer. Elle est issue d’une tribu animiste africaine. J’achète son intégrité à ses parents qui reçoivent également une aide. Comme le dit l’un de mes collègues, j’achète à ses parents son droit à l’éducation et à garder son clitoris.
C’est effrayant. Mais c’est aussi un espoir de rupture pour toutes ces filles qui bénéficient de ce programme courageux.

L’excision, c’est le mal absolu. C’est au-delà de la religion, même si les gens qui l’infligent veulent l’y rattacher. L’excision doit être combattue et les femmes excisées doivent être aidées à retrouver leur féminité. On nous rebat les oreilles avec le respect des « cultures » des autres et on nous invite trop souvent à relativiser nos valeurs.
Je ne suis pas d’accord avec cet angélisme et ce relativisme permanent. Dans toutes les cultures il y a eu ou il y a encore des horreurs absolues à combattre avec la dernière énergie. Sinon, on massacre les bébés phoques dans l’Arctique, [ou] on laisse couper la main aux voleurs. Alors réintroduisons les bûchers de l’inquisition, c’était notre « culture » ; et les sacrifices humains sur les pyramides aztèques, c’était le noyau de leur « culture »…

N P : Pensez-vous que ce sujet soit bien abordé en France ? Le fait que vous viviez en Suisse offre un point de vue extérieur…

O. M : Le sujet est peut-être plus facile à aborder en Suisse car notre pays n’a pas de passé colonial à son passif. [De même qu’en Suisse] le droit de référendum permet de poser le débat et de le faire trancher par les citoyens sans passer par les politiciens. On accepte ensuite la décision majoritaire ! Question de culture politique. Ainsi le peuple a refusé la construction de minarets sur les mosquées ; c’est un signal clair aux autorités de poser des limites à la religion dans l’espace public.
Personnellement je suis d’accord d’accepter toute expression religieuse dans un cadre légal démocratique, mais à condition de le confiner à la sphère privée. Je crois que l’excision est l’un de ces sujets tabous où on n’ose pas nommer les choses crûment de peur de blesser (un comble!) : une barbarie absolue, point barre.

Sur les questions touchant à l’islam, la France me semble bloquée entre la complaisance angélique de la gauche républicaine et la rhétorique identitaire de la droite, parfois haineuse, et l’excision y est alors assimilée à un trait « islamique ».

Olivier May, auteur du Chant d'Ekhirit et d'Excision
Olivier May, auteur du Chant d’Ekhirit et d’Excision
N P : Entre Excision et Le chant d’Ekhirit, vous n’avez pas peur d’aborder des thèmes sensibles et délicats, d’où viennent ces choix ? une envie de révéler les côtés sombres de l’Homme ?

O. M. : Oui, ces deux romans comme les trois premiers traitent du côté sombre de notre espèce et de sentiments comme la résilience ou le désir de faire justice soi-même. Je prends exprès des thèmes délicats bridés par le politiquement correct ambiant de notre époque. L’excision et la pédophile, c’est mal, c’est LE mal incarné, et les gens qui les pratiquent font le mal et doivent être combattus sans compromis.

L’idée que les pédophiles sont eux-mêmes parfois d’anciens abusés et que les mutilations sont « culturelles » paralyse notre jugement et je montre qu’ils n’ont aucune excuse en suivant mes personnages jusqu’au bout de leur logique.
Ce côté sombre est peut-être plus facile à traiter pour moi qui suis quelqu’un de jovial, globalement heureux et très positif dans la vie. Un questionnement sur ces déviances qui sont si loin de ma vie et de mon être sans doute…

N P : Travaillez-vous sur un nouveau projet ?

O. M. : Depuis Excision j’ai trois romans et un recueil de nouvelles en phase corrections ou à paraître. Deux romans préhistoriques avec du fantastique, un roman SF du genre voyage dans le temps autour des thèses de Rousseau sur le bon sauvage, et un recueil de nouvelles de science-fiction !

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