Jeune photographe de 22 ans, Jade Cervetti vit à Nice. Dans ses œuvres, elle explore le corps, ou plutôt, les corps dans leur diversité. Ses photographies sont une empreinte de poésie conjuguée à des fragments d’histoires. Histoires d’êtres-humains qui se questionnent sur leur identité, leurs droits et leurs désirs, le message de Jade est aussi politique. Autour d’un déjeuner, rencontre avec une jeune artiste qui veut faire bouger la société.
« J’ai toujours été un peu dans le milieu artistique avant de m’intéresser à la photo. Je suis musicienne avant tout, plus jeune je jouais de la harpe et de la trompette en classe musicale. Au final, je me suis complètement éloignée des études de musique. J’ai préféré m’intéresser à la performance au sens large, et petit à petit, aux études sur le genre », me raconte Jade. Aujourd’hui en Service Civique au sein de l’association Le Refuge, elle est déjà diplômée d’une double licence en Ethnologie des arts vivants et termine cette année deux masters, dont un en études sur le genre.
« C’est difficile de dire à quel moment j’ai commencé la photographie. Il y a à peu près 4 ans, je photographiais des amis en tant qu’amateur. Je voulais seulement immortaliser des moments qui me plaisaient et les rendre esthétique, je ne faisais pas de la photo à proprement parler. C’est en m’intéressant aux études sur le genre, depuis environ un an et demi, que Je me suis rendu compte de la dimension politique et du sens dont je voulais nourrir mon travail », explique-t-elle. Engagée notamment dans la cause LGBT, Jade tente de combattre les normes sociales liées aux féminités et aux masculinités. Les séries publiées sur son compte Instagram montrent la pluralité des corps et des attitudes, bien au-delà des représentations et du cadre habituel.
« Je trouvais qu’avec les mouvements féministes émergents, on parlait peu des masculinités. Finalement, les hommes sont tout aussi victimes du patriarcat que nous. Je voulais montrer différentes sensibilités et des corporéités variées, tout ça de manière artistique. Je n’ai pas encore terminé ma série sur les masculinités, car, pour l’instant, je ne prends que des hommes cisgenre, mais j’aimerais réaliser des photos sur la trans-identité ou sur des mesures un peu plus intersectionnelles, et d’autres minorités », précise-t-elle.
Afin de parvenir à un tel résultat, Jade développe une relation intime avec ses modèles, qui sont ou deviennent bien souvent des amis. Comme elle fréquente le milieu LGBT, elle parvient plus facilement à créer des affinités et à établir un lien de confiance avec des personnes qu’elle voudrait photographier. Cette relation amicale est la clé de voute qui lui permet de se débarrasser d’une timidité naturelle face à un objectif.
« Je veux montrer que la masculinité n’est pas obligatoirement virile et qu’elle peut se définir de différentes manières. J’aime beaucoup jouer avec les corporéités, j’essaie d’apporter une touche performative aux corps que je prends en photo. En ce moment, par exemple, je me concentre sur différentes parties du corps, pour montrer sa complexité, métaphore de celle rencontrée par la masculinité. Parfois je fais des portraits qui racontent une histoire. Celle d’un homme homosexuel, ou bi, ou pan, ou simplement des réflexions sur la cause et les droits LGBT », raconte Jade.
Pour préparer ses shootings, la photographe utilise plusieurs techniques façonnées au fil de la pratique. Quand il s’agit de ses modèles récurrents, elle privilégie l’écoute et essaye d’expliciter leurs opinions grâce à la photographie. Si des idées lui viennent, elle cherche tel accessoire ou tel lieu et demande à ses modèles de réaliser des photos précises. Enfin, tout peut se faire spontanément, une photo instantanée prise dans le moment présent. Jongler entre plusieurs méthodes fait aussi parti du processus de création artistique, en gardant toujours une portée politique indéniable.
« De nos jours, il y a une grosse médiatisation. Les photos sont plus faciles à prendre et à voir. On peut les montrer publiquement, on peut faire passer des messages beaucoup plus simplement. J’essaye de faire ressortir une performance dans mes photos, et il faut savoir que la performance du genre ou de l’identité facilite l’acceptation. L’art est un moyen de faire avancer les choses de manière politique. Quand un message est montré de manière esthétique, c’est plus simple de le considérer de ce seul point de vue, avant qu’il ne devienne politique. Cela devient plus facile de désamorcer un conflit, et de faire passer une idée de manière plus douce », explique Jade.
Certaines de ses photos ont été exposées à Nice, mais aussi aux États-Unis à Los Angeles et New-York. Malgré ce qu’on pourrait penser instinctivement, du fait de certaines crispations actuelles de la société, les fresques intimistes de Jade ne suscitent pas de réactions négatives. Bien au contraire, les retours sont positifs et renforcent sa détermination de continuer une démarche photographique. Même si son projet professionnel n’est pas directement lié à sa passion, Jade voudrait continuer à exercer son talent dans sa carrière, ne serait-ce que pour délivrer un message politique si nécessaire aujourd’hui.
« On est en train de vivre une période très complexe vis-à-vis de ces questions-là, l’avancée des droits est assez phénoménale. En France les couples homosexuels ont maintenant le droit de se marier, mais plus les droits avancent, et plus les personnes qui s’y opposent s’expriment. L’émergence du mouvement Queer est très important selon moi, car c’est un mouvement performatif et très politique. Il va représenter les droits des personnes LGBTQI+ comme quelque-chose qui n’est pas acquis et qui doit encore avancer. Ça s’intègre de plus en plus dans le milieu populaire, et c’est très important pour l’avancée des droits. De manière très subtile, ce mouvement arrive à démocratiser tout ça. C’est grâce à l’inclusivité et à l’intersectionnalité qu’on peut arriver à un changement global », conclut-elle.