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3 décembre 2024

Juan Carlos, roi des sables

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Juan Carlos et son crocodile
Juan Carlos et son crocodile
Un hasard. Une rencontre. Un coup de cœur. Un contexte particulier aussi : à quelques mètres du Palais des Festivals de Cannes où se tient le Mipcom, le marché international des contenus audiovisuels, le miel des abeilles télévisuelles, costards cravates ou tailleurs aux effluves de Chanel 5 pour les femmes et d’Azzarro pour les hommes. Les grands hôtels à proximité. Bref, une terre de contraste pour s’émouvoir d’un personnage, dormant sur la plage avec des cartons pour simple abri.

Amoureux de liberté et vivant de ses rêves, Juan Carlos, depuis deux ans, choisit son destin. Juan Carlos, né à Lisbonne il y a 32 ans, n’est rien d’autre qu’un SDF. Un SPF plutôt (Sans Plage Fixe) : « Je travaillais par petits contrats sur des chantiers en Espagne et en France. Je vivais bien, je mangeais bien, j’habitais dans de beaux appartements ou dans de belles chambres d’hôtel mais je n’étais pas heureux. Pourquoi ? Tout simplement parce que je devais obéir à un patron. J’avais l’impression d’être exploité. Et puis douze heures par jour à construire des maisons, je ne profitais pas de la vie. Je rentrais chez moi. Je mangeais. Je dormais. Mon seul loisir était de dessiner le soir en regardant la télévision. Je reproduisais les maisons que je construisais.» Juan Carlos résume son existence qui n’attendait qu’un déclic pour tout faire basculer.

Celui-ci se produit un soir d’avril 2003 sur une plage majorquine : « J’ai observé un enfant de 10 ans sculptant sur le sable. J’ai été intrigué. Je suis resté une heure à le regarder faire. Peu à peu, la sculpture a pris forme et une tortue est apparue. Je me suis dit à cet instant : je veux faire ça. Le lendemain, je me suis mis au même endroit, j’ai pris mes outils de maçon et mes croquis d’animaux que j’avais dessinés. J’ai commencé ce soir là ce qui allait devenir ma passion. » Durant deux mois sur cette même plage il apprend à reproduire ses dessins. Il réfléchit aussi. Et Juan Carlos rêve. Grand voyageur, appréciant la découverte de nouvelles cités, dès le terme de son contrat de maçon, il décide de rejoindre Lisbonne mais en s’arrêtant pour sculpter sur les plages. Une vie idéale, sans grains de sable. Comme des vacances. Il dort à l’hôtel, s’installe avec ses truelles au bord de l’eau. « J’ai rapidement dormi sur la plage. C’est très frustrant de voir ses sculptures inachevées détruites pendant la nuit. J’ai commencé à dormir à côté pour les protéger comme si c’était mon enfant », précise-t-il.

L’Espagne et le Portugal en guise de hors d’œuvre pour la première année de sa nouvelle vie d’artiste. Les Canaries en plat de résistance et depuis janvier 2005, Juan Carlos a commencé un Tour de France. Tout d’abord la Corse pendant l’hiver. La Côte Atlantique de La Baule à Hendaye en passant par Royan, Arcachon, Saint-Jean de Luz durant le printemps et la saison estivale. Des étapes de trois ou quatre jours maximum. « Le premier jour, je visite la ville, j’achète des journaux pour me tenir au courant de l’actualité tout en cherchant un coin de plage agréable où je pourrais poser mes cartons et mes truelles. Je sculpte deux jours, puis je repars ailleurs. »

Depuis mi-août, il arpente la Côte d’Azur : Marseille, Saint-Tropez, Fréjus, Cannes… Comme une amourette de vacances, au hasard on croise son regard, on vibre un instant, on désire le revoir mais il s’en va. Il partira de Cannes avant le week-end. Direction les plages héraultaises : Palavas-les-Flots ou La Grande Motte. « Ceux sont les seules plages de sables Françaises que je n’ai pas faites. Je vais prendre le train jusqu’à Montpellier et je marcherais de plage en plage jusqu’à Barcelone ». Juan Carlos a déjà en tête son programme jusqu’en décembre.

Juan Carlos a choisi sa vie et il ne le regrette pas. Il savoure chaque instant, se satisfait d’un bonheur simple : « J’adore lorsqu’un enfant se met à côté pour essayer de faire comme moi. Je l’aide. Il sourit. J’observe aussi les gens sur la plage. Ils profitent de leur famille, ils s’amusent, prennent le temps de vivre. Les mêmes personnes dans la rue paraissent tendues, tristes. » Ainsi va la vie de Juan Carlos. Une philosophie différente de la notre. Avec dix euros par jour, il se nourrit et finance ses voyages. « Les passants me donnent de l’argent alors j’accepte. Au départ, je piochais dans mes économies de maçon. Economie que j’ai toujours. Je touchais de bons salaires sans rien dépenser. Cet argent dort sur un compte au Portugal. » Il l’utilisera pour assouvir son rêve : faire le tour du monde et fouler le sable des cinq continents. Juan Carlos a des rêves plein la tête. Il ne demande rien sauf de rester libre.

Vincent Trinquat

Auteur/autrice

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