Lorsqu’on lui demande s’il préfère qu’on l’appelle Maestro ou « Mon Colonel », il sourit et répond : « vous savez, je n’ai jamais dirigé une fanfare militaire ! ». Diriger un orchestre de « civils », Le Lieutenant-Colonel Sébastien Billard, chef depuis 1997 de l’Orchestre de la Garde républicaine, sait pourtant magnifiquement le faire. Il en a administré la preuve mardi 17 février 2009 à l’auditorium de Toulon en acceptant de remplacer au dernier moment le chef Philippe Bender, retenu sous d’autres cieux. N’en déplaise gentiment au chef en titre de l’Orchestre régional de Cannes Provence-Alpes-Côte d’Azur, on ne s’en est guère plaint dans la salle.
Cette prestation au pied levé n’allait pourtant pas de soi. Elle comportait même une difficulté supplémentaire pour l’ancien élève de Mickaël Levinas au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et Premier Prix de direction d’orchestre en 1993 : celle d’avoir à conduire un orchestre différent entre la première et la seconde partie de la soirée musicale. En effet, le programme proposait en premier lieu, les « Variations symphoniques pour piano et orchestre » de César Franck et les « Nuits dans les jardins d’Espagne » de Manuel de Falla, deux pièces où le célèbre pianiste Joaquin Achucarro a complètement conquis son public : le soliste réputé pour sa capacité à obtenir du piano un « son exceptionnel » ou « digne de Rubinstein » selon les grands chefs Simon Rattle ou Zubin Mehta, projetait son regard aux yeux clairs devant lui, perdu, totalement absorbé par son dialogue concertant avec l’orchestre tout en développant un jeu très puissant en intensité émotionnelle.
De son côté, Sébastien Billard qu’on devinait en véritable osmose avec l’authentique professionnalisme de l’Orchestre régional – ce n’était certes pas leur première collaboration – surprenait par sa direction orchestrale très maîtrisée, exigeante dans ses attaques ciselées lesquelles laissaient cependant toute l’amplitude requise pour une interprétation nuancée, soucieuse des nombreuses modulations que le piano venait soudainement interrompre. Une présence pianistique nettement plus élaborée et conséquente pour les « Nuits dans les jardins d’Espagne » du compositeur Manuel De Falla où la direction orchestrale semble avoir laissé davantage d’espace à Joaquin Achucarro. Lequel, toujours aussi souriant et généreux dans son plaisir de partager son art avec le public, offrit volontiers un bis à ce dernier avec une nocturne d’Alexandre Scriabine.
La deuxième partie entraîna un sensible rajeunissement de l’orchestre puisqu’il laissait la place aux instrumentistes de l’Académie des jeunes musiciens des Conservatoires de Nice, Cannes et Antibes, le « Sympho-New » qui fêtera en 2010 ses vingt ans ! Ces derniers ont tout d’abord exécuté un extrait des « Images pour Orchestre » de Claude Debussy où les talents du Premier Violon solo -et pas seulement lorsque Berthilde Dufour utilise son instrument comme une mandoline !- ont su imprimer leurs marques et tirer vers le haut les autres violonistes. Mais ces jeunes artistes ont surtout impressionné par leur l’interprétation de « La Valse », le poème chorégraphique de Maurice Ravel qui n’est pas une pièce des plus faciles. La complexité technique et les subtilités musicales contenues dans la partition ont été habilement négociées par l’engagement qu’on sentait total de cette jeune formation -l’une des violonistes atteignait à peine les 15 ans- renforcé par la confiance évidente et la joie manifeste de jouer sous la direction de Sébastien Billard : il suffisait, à l’issue de la soirée, de voir chacun des musiciens venir à la fois respectueusement mais également rayonnant de bonheur, le remercier chaleureusement. Un Sébastien Billard qui avouait sa « nette préférence pour ce répertoire » et reconnaissait humblement avoir privilégié « l’efficacité » dans son interprétation. Une remarque que d’aucuns trouveront trop modeste pour une direction qui a su imposer une inspiration personnelle identique aux deux formations orchestrales avec toutefois l’intelligence rare de savoir l’adapter aux sensibilités de chacune d’entre elles.