Un dais finement ouvragé, tendu par d’invisibles fils au dessus de l’autel déplacé pour cette occasion exceptionnelle : ombre planante d’une protection divine aussi bienveillante qu’un taleth déployé par le patriarche sur sa famille. Des dizaines de bougies et de cierges aux lumières vacillantes et presque autant de fiers candélabres disséminés tout autour du chœur de l’église : volume scénique mêlant imaginaire et fantastique. Devant une salle comble savourant déjà l’ambiance d’une soirée pas tout à fait comme les autres, les musiciens de l’Ensemble Baroque de Nice, qui célèbre cette année ses 25 ans d’existence, font leur entrée et se faufilent dans cette forêt de chandelles.
Sous la direction de Gilbert Bezzina, cet Ensemble qui joue sur des instruments anciens débute l’ouverture traditionnelle en trois mouvements, rapide, lent puis rapide à nouveau, de cet Oratorio d’Alessandro Scarlatti « La Giuditta », donnée pour la première fois en France depuis sa création à la fin du XVIIème siècle ! Dans le pur respect de la tradition de l’Oratorio, l’œuvre de ce compositeur napolitain était hier soir exécutée dans un espace sacré, l’Eglise Saint Augustin de Nice, pendant la période de Carême qui bannissait l’Opéra jugé trop festif. Représentation ponctuée, là aussi comme il se doit, par un prêche intervenant à la fin de la première partie et lue solennellement en chaire par le Frère Benoît, l’Aumônier des artistes niçois.
Trois interprètes exceptionnels pour incarner l’histoire de cette jeune veuve Judith, dont la ville de Judée, Béthulie, est assiégée par les troupes assyriennes. Sous l’inspiration divine, elle se rend en compagnie de sa nourrice dans le camp adverse, parvient à séduire le général Holopherne, chef des Assyriens, et à le décapiter pendant son sommeil.
Dans le rôle de Judith, la soprano Sophie Landy dont la magnifique voix a paru être intimidée par l’enregistrement sonore de cette production, au risque de pincer certains aigus ou d’avaler quelques syllabes. Elle semblait « plus à l’aise lors de la répétition générale » pouvait-on entendre à l’entracte. « Difficile, expliquait cette jeune maman après la représentation, de porter cette robe aussi pesante qu’encombrante et surtout de se mouvoir dans un espace réduit à quelques mètres carrés ». Plus convaincant dans son jeu scénique, doté d’un spectre vocal plus étendu, le ténor Carl Ghazarossian, interprète du général assyrien, a offert à l’assistance une voix assise, plus modulable dans le registre émotionnel, capable de passer du triomphe militaire à la résignation amoureuse. Quant au contre-ténor, Raphaël Pichon, celui-ci a littéralement transporté d’aise la salle lors de son aria « dormi », qui rappelle la berceuse par laquelle, selon la légende, Dalila avait endormi Samson avant de lui couper les cheveux, source de sa force.
Une représentation finalement de grande qualité par la synergie de tous les intervenants : une mise en scène astucieuse de Gilbert Blin, suffisamment suggestive par la simple expression corporelle sans recourir – nécessité de l’Oratorio oblige – à trop de déplacements physiques des artistes. Un metteur en scène déjà apprécié dans le « Teseo » de Haendel produit l’année passée par l’Opéra de Nice et largement salué (voir: https://www.nicepremium.fr/article/«-teseo-»-par-l-ensemble-baroque-de-nice-une-parcelle-de-divin-a-l-opera..1769.html ). Un Ensemble Baroque de Nice au mieux de sa forme et admirablement emporté par la passion manifeste pour ce répertoire de Gilbert Bezzina, un décor somptueux grâce notamment aux fouilles entreprises dans les combles de l’Eglise par Frère Benoît qui y a déniché mobiliers d’époque et parures anciennes, une organisation sans accroc de cet soirée par le jeune administrateur Mathieu Pérègne et, enfin, des voix diverses mais toutes émouvantes dans leurs qualités respectives.