Pour la dernière de la saison , James Thierrée et la troupe du Hanneton nous offrait un univers en suspension d’où allaient naître de multiples transformations , d’impressionnantes mutations.
Des décors : de très longs rideaux de teinte vert et marron . Rien de lugubre mais beaucoup de mystère .. Un Théâtre d’ombre éclairé par de nombreux luminaires semblables à des soucoupes volantes qui montent et descendent au gré des balancements d’un long escalier .
Un mini bassin à cour ô combien symbolique quand on parle de batracien . A jardin, on remarque une poupée en lieu et place d’un pianiste , elle semble désarticulée car elle se met à sursauter tel un automate à certains moments .
L’univers de James Thierrée est poétique, lyrique et bien sûr, il ne tient pas de son grand-père , Charlie Chaplin, pour rien ! humoristique , gaguesque , brillant . Cet homme et sa petite troupe d’univers de la danse , du mime , du smurf de la déambulation, et de la métamorphose , débordent d’inventions quand ce ne sont pas les matériaux ou les instruments de musique qui sont prétexte à évolutions , re-créations.
Une chanteuse , Mariama, entame de longues mélopées sur ce paysage imaginaire . Un « dur à cuire » qui ne supporte pas les fausses notes et une sorte de petit poulbot, de Peter Pan, notre James Thierrée s’affrontent. Le dernier essaie de se débarrasser d’un violon après en avoir joué mais il lui colle aux doigts .
On pense à Coluche, dans un autre registre qui, dans un numéro, jouait du violon avec des gants de boxe. Envier la grenoillle mi aérienne mi amphibie voilà le propos. Deux jeunes filles l’envient tellement qu’elles vont se jeter dans le bac presque à n’en plus ressortir !
Le personnage de James Thierrée voudrait se mouvoir au ralentis comme si le sol était mouvant et que celui-ci englobait chacun des ses pas.
La grenouille a raison de tous, en fait, même si la chanteuse, de rouge vêtue, se mue soudain en grenouille par un jeu de pattes dont elle a le secret avant de tomber effrayée par le surgissement d’un énorme batracien blanc aussi impressionnant qu’un boeuf car ne disait on pas qu’elle « voulait se faire aussi grosse que le boeuf » ? Et le rideau rouge, gardons le pour la fin , allusion à la robe rouge de l’interprète vocale, il flotte et englobe chacun des protagonistes. Et que dire de cet éclairage tendrement intermittent ?
C’est sans doute pour mieux faire ressortir le fanal perché au-dessus de ce bras mécanique d’une machine d’un autre temps. On est entre le feu, le Cirque Plume et les couleurs ainsi que l’atmosphère du film de Jean -Pierre Jeunet : « La cité des enfants perdus . »
N’oublions pas le jonglage : c’est à celui des deux personnages qui renversera le plus d’assiettes en fer jusqu’à l’apparition d’un être improbable carapaçonné de ces mêmes assiettes. Magie progressive des éléments, court circuit soudain quand Electre, a rendez-vous avec Ondine, mais c’est pour mieux faire rejaillir la lumière encore plus énigmatique ! Les sources d’inspiration sont multiples, par exemple chez le mendiant
Charlot bien sûr aux prises avec le colosse qui continue à le pousser quand celui-ci a lâché prise , on sourit d’émerveillement tels des enfants mais James Tthierrée a su , au fil de plusieurs réalisations , imprimer son caractère . On reste interdit ici de l’envie de décrire l’agilité de l’animal bondissant exprimée sous toutes les facettes des plus drôles aux plus poétiques . Lumière, émotion, espace, solide, liquide, descendant , montant , on est à court de mots mais pas d’images.
Vraiment, ce spectacle a bien mérité son Molière du meilleur spectacle visuel de l’année .
Roland Haugade