On attendait du champagne. On nous aura servi du mousseux. Peut-être même du champomy ! Pour la première, le 26 décembre dernier, de « la vie parisienne » du compositeur Jacques Offenbach, l’Opéra de Nice a pratiqué une sorte de mélange…des genres. On ne peut pas tout à fait lui en vouloir. Car on ne sait plus très bien à quelle catégorie appartient ce monument de la musique divertissante. Entre « opéra comique » et « opéra-bouffe », il n’est pas certain que les interprètes, les musiciens…et le public s’y retrouvent. Créée en 1866, à la veille de l’exposition universelle censée accueillir, selon l’expression d’Alphonse Daudet, des « flottes de nabab », « la vie parisienne » emprunte en effet aux deux registres : mélange de « chanté et de parlé en français », caractéristique de l’opéra comique tel que le codifie précisément un décret de Napoléon ; proche néanmoins de l’opera buffa italien par l’intérêt du sujet pour le « petit peuple » et un mode destiné à détendre dans la pure tradition des intermèdes comiques insérés au sein de l’opera seria (l’opéra « sérieux »). Autant de subtiles distinctions abandonnées à la fin du XIXème siècle, permettant aussi à l’opérette de faire son entrée et d’ajouter à la confusion du lexique musical. Délicat équilibre donc à trouver entre toutes ces options. Selon des propos attribués à Camille Saint-Saëns , « l’opérette est une fille de l’opéra-comique ayant mal tourné, mais les filles qui tournent mal ne sont pas toujours sans agrément. ». A voir.
L’opéra de Nice avait, semble-t-il, choisi la « version longue », celle des cinq actes, réduite à quatre dans la version de 1873 présentée au Théâtre des Variétés. Encore fallait-il tenir le rythme pour éviter le redoutable ennui des interminables scènes d’expositions parlées à la manière de « au théâtre ce soir ». Malgré sa jeunesse et son brio, le chef d’orchestre Benjamin Pionnier aura probablement manqué de la nervosité nécessaire pour diriger une partition qui réclame fougue, attaques mordantes et rythme enlevé. Bref, du pétillant.
L’ambiance ludique de l’ouverture qui entraîne les artistes dans le mouvement trépident de cette « gare de l’Ouest » du début de l’oeuvre, donnait pourtant le sentiment d’un bon départ. Celui-ci cède malheureusement la place à une sorte de panne scénique et de léthargie musicale. Et ce, en dépit des efforts de Nadine Truffaut d’initier une dynamique avec la circularité mouvante du plateau et la symbolique continuelle de l’horloge. Heureusement, les interprétations aussi émoustillantes que lyriquement agréables de Giselle Blanchard et celles, multiples, de Gilles Ragon, comique imperturbable même lorsqu’il passe en quelques minutes et sans confondre les accents, d’un rôle de bottier allemand à celui d’un richissime brésilien, insufflent de l’oxygène salvateur à l’ensemble : tant dans leur duo (« la gantière et le bottier ») que séparés, les deux jouent avec entrain, minaudent avec délicatesse, s’expriment avec clarté et chantent avec enthousiasme. « Que demander de plus ? », comme lancera Bobinet au Baron de Gondremark, fort mécontent de s’être fait arnaquer mais finalement heureux de son séjour parisien. Dans une veine identique, on relèvera, en dépit de ses débuts dans ce rôle, la brillante performance et au pied levé (« il a travaillé ce rôle en cinq jours », proclamait à qui voulait l’entendre son agent) Eric Martin-Bonnet pour ledit Baron: une belle voix de basse, modulée pour l’occasion, et des efforts louables de diction dans les parties parlées l’auront également fait sortir du lot.
« La vie parisienne » offre plusieurs lectures. En fait, Jacques Offenbach noyait si l’on ose dire, le poisson. Respectant la tradition de l’opéra comique, une « plaisanterie qui décline le grand opéra sur un mode ironique et politique » selon Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de l’Opéra Comique, l’œuvre du compositeur d’origine allemande développe une critique cinglante de l’époque Napoléon III. L’hypocrisie de la bonne société, la permissivité des mœurs derrière une façade de stricte bienséance, le règne de l’argent – « Paris est un endroit charmant pour les gens qui sont à l’aise » entend-on à l’arrivée du Brésilen – sont habilement dénoncés. Dans cette pléthore de faux aristocrates et de roturiers en mal de femmes du monde, on croit retrouver l’atmosphère des « usages du monde » énoncées par la « fausse » Baronne Staffe, alias Blanche Soyer dont le best-seller de 1891 ne compta pas moins de 347 éditions depuis sa parution (Baronne Staffe, « Usages du monde, règles du savoir-vivre dans la société moderne », coll. Texto, Editons Tallandier, 2007).
Comme la réalité décrite par la Baronne et mise en musique par Jacques Offenbach, cette « vie parisienne » de l’opéra de Nice se termine en esbrouffe : au final, juste avant le tomber de rideau, le spectateur est tiré de sa relative torpeur par un trépidant French Cancan, pourtant anachronique comme le mentionne Dominique Ghesquière, spécialiste de l’opéra-bouffe, dans le livret de l’opéra. Avec des cris stridents d’hystérique propres à réveiller un mort, une danseuse exécute des pirouettes comme au cirque et la troupe, sentant probablement la proximité de la délivrance, se met – enfin – à s’exalter devant le public. Trop tard. Celui-ci est déjà parti chercher la fête ailleurs.