D’anciennes friches, usines ou entreprises abandonnées, parce que n’intéressant plus les acteurs économiques, deviennent des terrains vagues, vestiges de l’activité humaine et fossiles de cette révolution industrielle qui devait, en principe, ouvrir à l’humanité un avenir prometteur et de progrès.
Il n’en a rien été et ces usines devenues coûteuses et inutiles ont été fermées, délocalisées là où le coût du travail et de la production était moins important et sont donc aujourd’hui des squelettes de béton pourrissants et lentement se désagrègent, ferrailles rouillées et pans de mur rongés par l’usure du temps.
Partout, les artistes s’emparent de ces lieux, afin de rendre une existence, une âme et donc la vie à ces centres d’activités industrielles abandonnés. Plusieurs exemples se sont ainsi développés, chacun ayant sa propre spécificité, son propre caractère, a pu ainsi s’affirmer et exister.
La ligne directrice de ces multiples friches est basée sur une opposition aux concepts de compétition et de concurrence « Vous devez être des gagnants. » et Albert Jacquard ajoute : « Mais qu’est ce que c’est un gagnant, sinon un fabriquant de perdant. » Tout est dit dans cette phrase et les perdants vont devenir ces zones d’activité artistique.
De nombreuses villes de province : Nice avec le 109 aux anciens abattoirs, Marseille et la Belle de Mai derrière la gare Saint Charles, Lyon et la Sucrière à la Mulatière, Grenoble avec le 102 et le Brise Glace, Bourges et l’Antre Peaux, Mix’Art Myrys à Toulouse, Frûctose à Dunkerque, les abattoirs (là aussi) à Toulouse ou encore Dijon avec le Centre Culturel Autogéré, revendiquent ce droit de démocratie culturelle.
Les artistes qui se mobilisent dans ces centres industriels où nulle fumée ne vient plus tacher le ciel de nuages de suies, veulent rendre une existence à ces usines dont le cœur s’est arrêté de battre. « Rendre utile ce qui ne l’est plus et surtout se rendre utile. » On pourrait en faire leur devise.
Il y a ici une remise en question, une volonté de rendre une existence à ces structures abandonnées à la fois par les industriels et les promoteurs.
Ces artistes quasiment tous bénévoles sont des précurseurs. Ils nous proposent une nouvelle société, un nouveau concept d’échanges économiques où le profit ne serait plus le moteur de la société. Ils rêvent de dépasser la société post-industrielle. Ils souhaitent affirmer de nouvelles valeurs, de nouveaux fondements de l’appartenance sociale, rendant d’une certaine façon à la société et à l’homme sa capacité de rêver et d’imaginer.
Ces friches sont donc porteuses d’une condamnation de la société de production et de consommation. Cela va au-delà des données économiques en donnant, ou plutôt en offrant à la création des valeurs qui les dépassent. Cela doit permettre de réactiver ces lieux en leur donnant une nouvelle finalité. Ils redeviendront productifs et les artistes y seront les nouveaux producteurs.
A eux de créer et de donner un nouvel essor où la production sera pérenne dans le temps et leur œuvre éternelle, appartenant au patrimoine de l’humanité. Ces espaces en déshérence revivent peu à peu de partout en France.
A Nice le 109 essaie avec des moyens réduits, de répondre à ce défi. Toutefois, il ne faudrait pas qu’il se prenne pour la grenouille de la fable, car sa réussite en serait menacée.
Christian Depardieu,
rédacteur en chef de PerformArts