Premier roman paru chez Griffe d’Encre, « Expéron » d’Hélène Crucriani est un livre d’anticipation sociale, touchant et complet, qui à la fois fascine et angoisse.
Juin 2054, à Lyon. Tout a bien changé en cinquante ans. Le souhait des femmes a été entendu, le statut maternel est enfin reconnu. Légiféré et officialisé par un diplôme d’Aptitudes Auprès des Enfants (AAE), il est nécessaire pour les personnes qui souhaitent avoir un enfant. Encadrant énormément les conditions de procréation (la procréation naturelle sans l’AAE étant punie de prison) et de sélection génétique devenues très strictes.
Annabelle, la quarantaine, ne possède pas cet important sésame. Son désir d’enfant prend toute la place et son mari Andy, spécialiste en neurologie, ne s’intéresse pas vraiment à sa situation. Depuis quelques jours, il est fasciné par un jeune garçon, Ange, qui à 10 ans ne parle toujours pas. Convaincu que le petit Ange est surdoué mais simplement sensible à une autre forme de communication, Andy décide de tester l’Expéron sur lui.
Mais Annabelle est proche de la rupture…
Dans ce roman, il n’est pas seulement question de neurologie, de génétique ou de nouvelles technologies qui permettent de faire acquérir aux gens une expérience rien que par une projection directement dans le cerveau (l’Expéron). C’est beaucoup plus que ça. C’est une description minutieuse et merveilleuse d’un futur qui paraît très proche. D’un futur où tout serait extrêmement contrôlé et où la liberté aurait presque disparu. Hélène Cruciani s’attache autant à décrire et faire vivre ce monde qu’à en montrer les inévitables conséquences. Je pense notamment à la sur-utilisation de la génétique qui permet de visualiser son enfant jusqu’à l’âge adulte en défilement accéléré que Jessica, meilleure amie d’Annabelle, vit très mal.
Expéron ne se cantonne pas à la science-fiction, tous les thèmes y sont traités : la pression sociale, la maternité, le désir d’enfant, les relations hommes/femmes dans cette nouvelle société, les failles de l’humain qui ressortent malgré la science, malgré le perfectionnement des recherches, des résultats. Le naturel qui reprend le dessus.
C’est un roman très bien écrit, à la plume nuancée, très féminin. Le côté scientifique est vraiment très bien vulgarisé, on comprend, on saisit la complexité des choses mais on est pas noyé pour autant et il n’est pas nécessaire de relire deux ou trois fois la page pour comprendre. Et c’est réellement capital dans un roman d’anticipation, pour pouvoir s’immerger complètement dans l’histoire.
On s’attache autant à Annabelle qu’à Andy, même si il est clair pour le lecteur qu’il fait des erreurs. Les personnages sont travaillés, recherchés, vrais. Ce sont les héros d’un roman mais ils sont communs, leurs fractures passées ressortent parfois selon les circonstances.
Le récit est prenant, on suit Annabelle dans sa fuite, Andy dans ses travaux, son combat pour Ange, les imprévus de l’Expéron qui feront basculer l’expérience. Bref, on veut savoir, on veut que ça se finisse bien, et du coup, on avale les pages, les chapitres filent.
Un roman surprenant, féminin, qui laisse entrevoir ce que pourrait devenir notre monde. De nouvelles dérives, comme celle de mettre un enfant au monde sans l’AAE et sans assistance génétique… Une incroyable projection de notre future société, ultra contrôlée, qui engendre forcément frustrations et transgressions. Expéron est un roman intéressant à plus d’un titre, intelligent et dont l’immersion en 2054 est totale.