Écrit en 1974, ce roman de l’écrivain hongrois Sándor Márai bénéficie pour la première fois d’une traduction en français, réalisée par Catherine Fay, et d’une parution, en novembre 2015, dans la collection « Les grandes traductions » aux éditions Albin Michel. Elle permet ainsi à son auteur de retrouver toute sa place dans la littérature contemporaine.
La nuit du bûcher est une plongée sans concession au cœur de l’Inquisition : nous sommes à Rome, en 1598, un carme d’Avila vient se perfectionner auprès des inquisiteurs romains et plus spécifiquement auprès des confortatori, ces hommes, choisis parmi des volontaires, « qui, à l’aide de leur charité chrétienne, « fortifient » et cherchent à redonner espoir à celui qui n’a plus rien à espérer. » Ils veillent toute la nuit sur les condamnés afin de leur donner une dernière chance de revenir au sein de l’Église.
Le récit est raconté dans une longue lettre par le carme d’Avila, qui observe les procédures mises en place par le Saint-Siège pour amener les condamnés au repentir voire à la conversion. Au plus près de cette machinerie implacable qu’est l’Inquisition, le lecteur assiste, impuissant, à la démonstration d’un système inhumain et ravageur, la vision de l’intérieur d’un dispositif totalitaire.
Le narrateur, jamais nommé, ne remet jamais en cause les moyens de torture et de pression employés par l’Église. Habité par sa foi, il ne s’interroge pas sur les bienfaits d’un tel système jusqu’à sa rencontre avec Giordano Bruno. Giordano Bruno, ancien frère dominicain, sera emprisonné pour ses travaux sur l’héliocentrisme pendant 7 ans avant d’être exécuté sans jamais se repentir. La dernière nuit de Giordano Bruno va bouleverser le narrateur et le pousser à l’exil.
La nuit du bûcher est une critique de la pensée unique, du totalitarisme sous toutes ses formes qui asservit les hommes, et plaide pour la liberté et la tolérance. Après les attentats du 13 novembre dernier, La nuit du bûcher n’est pas une lecture facile, malgré la plume talentueuse de Sándor Márai et l’intensité du récit, les atrocités commises au nom de la religion font tristement écho à l’actualité où les pires aspects de l’histoire se répètent.
Quelques mots sur l’auteur
Sándor Márai est né en 1900, en Hongrie et connaît un rapide succès après la parution de ces premiers romans Le premier amour (1928, sortie française 2008), Les Révoltés (1929, sortie française 1992), Un chien de caractère (1930, sortie française 2003), Les étrangers (1931, sortie française 2012).
Cependant, il va vivre une vie d’exil, d’abord en fuyant la domination nazie, puis déçu et choqué par les exactions et barbaries commises au nom du communisme, il décide de quitter la Hongrie. Il ne reniera jamais son pays natal malgré 41 ans d’exil loin de la Hongrie. Ses livres y seront interdits jusqu’en octobre 1989, date de la chute du régime.
C’est lors de son passage en Italie, de 1968 à 1980, qu’il écrira La nuit du bûcher. Il finit par s’installer aux États-Unis où il se suicidera en 1989.
La nuit du bûcher de Sándor Márai, traduit du hongrois par Catherine Fay, éditions Albin Michel, Novembre 2015.