« Fred se dit qu’en quelques minutes, l’enquête avait beaucoup plus progressé que durant ces derniers jours et cela le rassura. Il était temps pour lui d’aller rejoindre Seb et Francesco pour passer une soirée qui le tiendrait, ne serait-ce qu’un temps, loin de cette affaire qui prenait, quand même, une tournure des plus inhabituelles. »
Le matin avait un air presque estival sur la promenade des Anglais et promeneurs, cyclistes et autre coureurs commençaient à la remplir peu à peu. Fred roulait à petite vitesse et observait les mille couleurs du paysage en se disant que, définitivement, il ne pourrait vivre ailleurs qu’ici. Il passait à présent près de la place Masséna ornée de ces grandes tribunes pour le traditionnel carnaval et, pour la première fois, Fred fit plus attention au thème de cette année, et pour cause, « le Carnaval de la Gastronomie ». Si le tueur devait frapper au bon moment, se dit-il, c’était sans doute la bonne année entre le thème du carnaval, les 100 ans du Lycée Paul Augier ou encore Agecotel.
En quelques secondes, il fut transporté sur l’avenue Jean Médecin, sur les épaules de son oncle pour apercevoir les chars, les grosses têtes mais surtout les impressionnantes cavalcades avec ces superbes étalons et les princesses qui les chevauchaient. Fred pensa alors que si Seb avait été là, il aurait adoré l’image…
L’arrivée au commissariat le fit rapidement revenir à la réalité. « Salut Fred, un café noir ? » demanda Céline. « Oui merci. Tous dans mon bureau ! » Répondit Fred
« Alors, ce rendez-vous avec le patron, bien passé ? » questionna Jeff.
« Oui, très bien, on peut compter sur leur collaboration. » répondit l’inspecteur sans mentionner la présence de l’invité surprise tel qu’il en avait pris l’engagement.
« Mais, la piste de Madame Graglia est de loin la meilleure, je pense. Et vous, à la confrérie ? » Demanda Fred.
« Bof, rien de bien intéressant, ils en étaient tous les deux membres mais leur travail ne leur laissait que très peu de temps pour participer aux manifestations. Ils étaient appréciés de tous et ne n’avaient pas franchement d’ennemis connus dans le métier», résuma l’inspectrice adjointe.
La matinée ne leur permit pas d’en apprendre beaucoup plus, malgré les deux derniers rapports des légistes et de la police scientifique « Punaise, ils vont bien plus vite les experts à Miami… » Céline avait lancé la plaisanterie en refermant le dernier dossier et cela apporta la dose de bonne humeur nécessaire à cette ambiance presque trop studieuse.
« C’est vrai qu’avec ta nouvelle coiffure, tu ressembles de plus en plus à la blonde, le 95D en moins… » Et la calbote ne tarda à tomber sur le haut du crâne de Jeff qui la méritait quand même un peu. « Ha, c’est sur que toi, si elles ne sont pas croisées avec une laitière normande, tu ne les regardes même pas… » ironisa Céline.
«Bon, ça suffit vous deux ; allez venez, je vous invite, on va manger un morceau, ça nous fera le plus grand bien. » Fred s’était levé en attendant le canon « taper » midi.
« Hou hou patron, t’as gagné au loto ou quoi ! » plaisanta Jeff qui passa juste à côté du fait d’en prendre une deuxième. Et les trois collègues quittèrent le bureau pour se rendre en direction du Vieux-Nice. Déjeuner chez Acchiardo, c’était un peu comme faire une parenthèse dans la journée tant l’adresse était agréable et accueillante à l’image de ses propriétaires de père en fils… et en filles. C’était un peu comme manger à la maison. Et, effectivement, le moment fut bon et, comme d’habitude, le repas délicieux.
« Je vais faire un saut au temple maçonnique, cet après-midi, et je vous rejoins au commissariat. » déclara Fred en payant l’addition.
« Alors, la maison bleue a-t-elle bien mangé, je ne vous propose pas un limoncello ? » ironisa Virginie qui s’était approchée de la table en octroyant un clin d’œil et l’addition à Fred.
« Merci, avec ce qu’on a avalé, on est en place pour la journée et même pour demain, si jamais… » Répondit Fred qui s’était emparé de la note pour aller régler au comptoir, comme de coutume. A peine fut-il arrivé que « Monsieur » Acchiardo l’attrapa au vol dans le patois commun de leur région d’origine : Le Piémont. A chaque fois que ses collègues entendaient Fred parler ce dialecte, la surprise était toujours au rendez-vous car c’était le seul endroit où Fred utilisait cette corde de son arc.
L’après-midi allait passer somme toute assez vite et Fred quitta le bureau vers 17h pour flâner une petite heure avant son rendez-vous. C’était la première fois de sa vie que Fred allait entrer dans un temple maçonnique et cette idée lui plaisait assez. Une découverte de plus, se disait-il, en arrivant sur la place Garibaldi où l’attendaient déjà ses deux « informateurs ». Une petite marche de quelques minutes et ils arrivèrent devant une grande porte boisée sur laquelle était apposée une plaque en cuivre indiquant la présence d’un « Club Philosophique Privé ».
Le mécanisme électrique s’enclencha et Fred poussa la lourde porte pour entrer dans un vestibule vierge de toutes inscriptions ou annotations. L’autre porte s’ouvrit et il fut invité à rentrer dans le temple. Il suivait ses hôtes et essayait de regarder un maximum de choses : Des grandes vitrines abritaient des sortes de trophées, de vieux documents et des photographies anciennes toutes estampillées de l’équerre et du compas, symboles bien connus de la franc-maçonnerie. Une grande salle permettant de recevoir une centaine de convives donnait sur un énorme comptoir en bois derrière lequel se trouvait un superbe bar. Ils prirent un grand escalier en chêne massif qui les conduisit à un bureau dans lequel Fred fut invité à entrer. « Je vous en prie, Monsieur Ségur, prenez donc place. » Fred s’installa dans un large fauteuil club en cuir marron qui devait certainement en avoir pas mal vu.
« Voilà les renseignements que vous m’avez demandé et je vous demanderais de ne les communiquer à personne et sous aucun prétexte. Ce sont des informations confidentielles dont vous ne pourriez pas bénéficier… normalement. Je vous demande aussi, si vous suspectez ou souhaitez interroger un de ces frères, de m’en faire part avant toute action. » Les règles étaient fixées et Fred laissait ses yeux naviguer sur l’immense bibliothèque qui emplissait la quasi-totalité du bureau. 16 étagères en hauteur et une bonne douzaine de mètres de largeur, cela faisait une belle somme de bouquins, pensa-t-il avant de se reprendre en constatant le silence de son hôte qui le regardait, presque amusé.
« Bien entendu et je vous remercie infiniment pour votre aide. » répondit Fred en prenant le dossier dans ses mains. « Je vous aide personnellement car j’ai reçu toutes les garanties de votre probité et de votre sérieux. Ne nous décevez pas, Monsieur Ségur. » La phrase était lourde de sens et le ton aurait même pu être interprété comme menaçant.
« Vous avez ma parole d’homme. » conclut l’inspecteur et les deux hommes, après une franche poignée de main, descendirent au bar pour prendre un café et continuer la conversation.
Une fois dans la rue, Fred ne se sentit pas dans un état qu’il qualifierait de normal, et il essaya de se souvenir du nombre de fois où il était passé devant cette porte sans savoir que c’était le plus grand temple de la région niçoise. L’air frais de la balade à moto lui remit les idées en place avant d’arriver au commissariat qui était en pleine effervescence à son arrivée.
Céline sortit de la cour en courant vers Fred. « Ca fait 5 minutes que j’essaie de t’appeler, il y a eu un nouveau meurtre sur les collines. Tu me suis en bécane ? » Fred s’était rendu compte qu’il avait coupé son portable avant de rentrer dans le temple et qu’il avait oublié de le rallumer à la sortie, et ça ne lui était pas habituel. Il remit son casque et emboita le pas, ou plutôt la route à sa collègue.
Après une dizaine de minutes, Céline gara son véhicule devant « L’auberge sur la colline » et Fred se colla à son véhicule demandant au policier en faction de le prévenir en cas de gêne.
« Ha, vous êtes là, venez c’est par ici ! » claqua Jeff.
« C’est le jour de repos de l’établissement et ce sont des ouvriers qui venaient faire des réparations sur le réseau téléphonique qui l’ont trouvé ainsi… » Jeff montrait l’énorme four de la cuisine centrale contenant le corps de Pierre Salducci, propriétaire des lieux et chef cuisinier dans cette institution niçoise.
Le chef était cuit, et c’était bien le cas de le dire, car son corps était posé au centre d’une grande plaque de cuisson en fer sur un fond de pâte à pain et recouvert d’un mélange d’oignons confits, d’anchois et d’olives noires. C’est l’odeur qui était des plus désagréables. Cela ne lui était pas arrivé depuis fort longtemps, mais Fred eut un haut le cœur.
« Mais, c’est quoi ce délire ! Il a été tué sous forme d’une pissaladière géante ! Renée Graglia est complètement dans le vrai. Cette affaire est complètement délirante… » Fred n’était vraiment pas à son aise et décida de prolonger la conversation, dehors, avec ses deux adjoints.
« J’ai eu la fille du patron qui m’a dit que son père devait préparer quelques plats pour leur réunion familiale du week-end et qu’il avait rendez-vous avec des ouvriers. Ce sont eux qui l’ont trouvé et qui nous ont appelés. J’ai interrogé les deux mais rien à en tirer, ils sont clean. Le four était encore enclenché quand nous sommes arrivés et la minuterie était programmée pour 1 heure de cuisson, ça veut dire qu’on l’a loupé de pas grand-chose. » Résuma Jeff.
« Oui, ou ça veut dire qu’il nous nargue de plus en plus, en réduisant le temps de la fin de son boulot de celui de notre intervention », répondit Fred.
« Là, au moins, on n’a plus le moindre doute sur le lien entre les trois meurtres. Mais, trois en cinq jours, le rythme est quand même sacrément soutenu» s’inquiéta Céline.
« Jeff, toi, tu restes là pour suivre les analyses et réceptionner la police scientifique et on se rejoint au bureau dès que tu as fini. Céline, nous, on retourne au bureau, j’ai des coups de fil à passer. » Ordonna le chef et les deux rejoignirent leur véhicule respectif en direction du bureau.
La circulation était fluide à cette heure et il ne leur fallut qu’un petit quart d’heure pour arriver au commissariat devant lequel étaient déjà amassés des dizaines de journalistes avec caméras, micros et autres tablettes. Un d’eux reconnut la bécane de Fred et s’approcha de lui quand il la garait dans le parking.
« Inspecteur, un nouveau meurtre, vous pouvez nous en dire plus, s’il vous plaît. » Le ton y était mais Fred voulait rentrer au plus vite alors que les autres journalistes avaient emboité le pas aux collègues.
« J’en ai pour quelques minutes et je reviens pour vous en dire plus, entrez vous installer dans la salle de presse et je suis à vous très vite. » Casque au bras, Fred avala les six marches le menant à l’entrée du « bureau » et se dirigea directement dans le bureau du chef.
« Bon Chef, on a plus de doute sur le mobile, je crois que ce gars, ou cette nana, dézingue ces chefs avec un rituel ayant un rapport direct avec la cuisine niçoise. C’est complètement délirant ! » Vincent le regardait l’air ébahi. «La cuisine niçoise semble être son mobile».
« Le Maire vient de me téléphoner et il veut qu’on soit dans son bureau, ce soir. C’est ok pour toi ? » Demanda le Chef.
« Pas de souci, mais il faut à présent répondre aux dizaines de journalistes qui nous attendent en salle de presse car ça commence à cogiter sévère. Qu’est-ce qu’on dit Vincent ? »
« Qu’est-ce que tu vas leur dire, c’est ton enquête et tu as de loin le meilleur feeling de la brigade. Tu en penses quoi toi ? » Répondit Vincent.
« Je pense qu’il faut jouer cartes sur table, leur dire ce que nous savons sur le mobile et que nous sommes sur la piste d’un suspect. Ça lui fera peut-être commettre sa première erreur ! » rétorqua l’inspecteur.
« Tu vois, je t’ai dit que t’avais le bon feeling, je n’aurais pas trouvé mieux. » plaisanta Vincent en emboitant le pas à son inspecteur en direction de la salle de presse.
La pièce était visiblement trop petite et une dizaine de journalistes faisaient le pied de grue devant l’une des portes d’accès. Vincent et Fred passèrent par la porte de derrière pour surgir derrière le bureau devant lequel étaient déjà installées une vingtaine de caméras et de micros. Les premiers flashs crépitèrent quand les deux hommes prirent place derrière le bureau.
« Messieurs, un tueur à la mode cuisine niçoise, sommes-nous en présence d’un tueur en série ? » C’était le journaliste de BFM qui avait été le plus prompt et qui en quelques mots avait clairement résumé la situation. Fred se laissa à penser qu’il faisait vraiment bien son boulot. La réponse ne tarda pas comme d’habitude avec Fred. « Effectivement, les trois meurtres sont liés et il semblerait que notre tueur utilise la cuisine niçoise comme mobile de ses meurtres. Nous n’en savons pas plus pour le moment mais nous vous tiendrons informés de la suite de nos investigations dès que possible. La réponse aussi était claire et toutes les questions/réponses suivantes n’eurent plus grand intérêt. Le supplice dura quand même une bonne demi-heure et c’est avec le plein d’images, et certainement de gros titres plus racoleurs les uns que les autres, que l’ensemble des journalistes quittèrent le commissariat.
« On s’en est plutôt pas mal tiré, mais je vois déjà la Une de Nice Matin de demain ! » soupira Vincent.
« Faut vraiment qu’on ait un tueur en série, par contre, pour que les TF1 et autres France Télévision nous envoient la grosse cavalerie. » répondit Fred passablement agacé qui enchaîna : « Je file chercher Francesco et on se rejoint tout à l’heure devant l’hôtel de ville, ok ? ».
« On fait comme ça et je vais recevoir les experts parisiens qui devraient débarquer dans moins d’une heure. J’espère qu’ils ne vont pas nous envoyer des gratinés, cette fois… » termina Vincent qui rejoignit son bureau.
A suivre…