Ils et elles dansent avec passion et cela se ressent. Avec leur programme « Picasso et la danse » sur fond de rideaux de scène, de décors et habillés dans des costumes réalisés d’après les maquettes originales de Picasso, ces jeunes européens d’à peine 20 ans venant d’Italie, de Hollande, d’Espagne, du Portugal et de France, tous membres de cette troupe de « pré-professionnels » créée en 1999 par Jean-Albert Cartier et Hélène Traïline, ont littéralement enchanté le public de l’Opéra de Nice. Une étape réussie de leur tournée qui totalise une cinquantaine de représentations en trois mois.
Dès le premier tableau du programme, « Parade », un argument de Jean Cocteau sur une musique d’Erik Satie, la chorégraphie originale de Léonide Massine, remontée par Susanna Della Pietra et supervisée par Lorca Massine a fait découvrir d’impressionnantes figures pantomimiques où se mêlent rigueur et fantaisie gestuelles : Stefania Mancini étonne par tant de souplesse, de rythme et de dynamisme dans un rôle d’écolière délurée tandis que Matthieu Neumeyer et Ari Soto dérident franchement les spectateurs en interprétant les attitudes burlesques d’un cheval facétieux. Plus classiquement, Vivian Sauerbreu et Olivier Coeffard effectuent un pas de deux gracieux dans une complète harmonie qui témoigne du bonheur d’évoluer ensemble.
De facture nettement plus traditionnelle, « Pulcinella » propose sur une musique d’Igor Stravinski inspirée de Pergolèse, des évolutions scéniques collectives et néanmoins parfaitement synchronisées qui regroupent des danseurs au physique encore très homogène. Filles et garçons entrent successivement sur le plateau, ajoutant encore plus de puissance et d’intentionnalité à l’expressivité générale. Harmony Ricci et Matthieu Neumeyer exécutent tout sourire un pas de deux d’une rare sensibilité, dans une chorégraphie nouvelle d’Anna Maria Stekelman.
Plus fantaisiste, plus sautillante, plus mobile aussi, marque assurée du chorégraphe Thierry Malandain, « Mercure », « pose plastique » en trois tableaux sur une musique d’Erik Satie, met en scène les aléas de l’amour avec une « danse de tendresse » particulièrement sensuelle. Elle est suivie de celle, nettement plus hilarante, du bain des « trois Grâces » interprétée par trois danseurs, Daan Visser, Ari Sotto et Mattia Carchedi, dont les généreux accessoires féminins leur permettent, si l’on ose dire, de soutenir ce qu’ils avancent.
Changement de registre pour le final : six danseurs et danseuses de l’Ecole de Flamenco du Conservatoire royal de Madrid ont débarrassé le public des sempiternelles espagnolades poussiéreuses en faisant découvrir une authentique « Suite de danses andalouses » dans une magnifique chorégraphie remontée et adaptée par Beatriz Martin et Ricardo Franco. Dans un décor de cabaret aux teintes d’un rouge aussi sanguin que le tempérament ibérique, Carolina Perez Sanchez, Lucia Martinez Sainero, Sandra Ventas Quintana, Adrien Perez Esparragoso, Oscar Manhenzane Gutierrez et Christian Gonzales Jurado ont complètement transporté la salle dans un univers rythmique ponctué de graves mélopées, de corps cambrés sous la charge dramatique. Oscar Manhenzane Gutierrez affirme pratiquer le Flamenco « depuis l’âge de trois ans » : autant dire qu’il irradie de bonheur même dans les moments les plus difficiles, les plus intenses, de ses exécutions. Dans une danse toute intérieure, empreinte de retenue et de concentration, Sandra Ventas Quintana évolue avec élégance tout en rejetant sa « bata », la lourde traîne de sa robe, dans un jeu qui semble naturellement s’inscrire dans la chorégraphie.
A l’issue, Eric Vu Han, nouveau directeur du Corps de Ballet de l’Opéra de Nice ne cachait pas, lui non plus, son enthousiasme. Un signe supplémentaire de satisfaction pour la troupe de l’Europa Danse, de la part d’un danseur réputé et désormais en charge de faire évoluer le Corps de Ballet de l’Opéra de Nice.