Alors que les musiciens viennent d’accorder leurs instruments, le rideau toujours baissé, Paul-Emile Fourny, le Directeur général de l’Opéra de Nice s’avance sur scène : Annick Massis, la soprano qui tient le rôle titre, est « souffrante » annonce-t-il, la mine grave. Les visages se ferment dans la salle. Il enchaîne : mais elle a quand même tenu à se produire et interprétera comme prévu les quatre rôles de ce soir. A sa demande d’indulgence adressée au public répond une première salve d’applaudissements sous l’effet de la tension. La deuxième, nettement plus nourrie, voire interminable au point de ressembler à une ovation avant l’heure, ponctuera les fameuses vocalises de l’air de la « chanson d’Olympia » dans l’acte I.
Osvaldo PeroniC’était en quelque sorte le prologue du prologue de cette troisième représentation des « Contes d’Hoffmann » de Jacques Offenbach, donnée samedi 24 janvier à l’Opéra de Nice. Un livret à l’étrange destinée puisque à peine achevé et orchestré à la mort du compositeur, il subit de nombreuses métamorphoses, coupures et ajouts au fil des années. Au premier abord, l’histoire raconte trois rêves d’un poète qui, afin d’oublier son infortune amoureuse, noie son chagrin dans l’alcool. Trois femmes aux charmes desquelles il croit à chaque fois succomber… mais en vain. La dimension humaine de la trame se double d’un niveau fantastique : un mauvais génie, sorte de diablotin, veille au grain pour faire échouer les rencontres, malgré le soutien de la Muse, consolatrice du poète. Les trois actes sont ainsi encadrés par un prologue et un épilogue.
Giorgio Surian, Luca Lombardo et Juliette MarsSi l’on y regarde pourtant d’un peu plus près, cet opéra quasi testamentaire d’Offenbach -« je donnerai tout pour être à la première » écrit-il comme s’il souhaitait conclure un pacte faustien afin d’échapper à sa mort prochaine- développe un message symbolique puissant sur la relation de l’artiste avec son œuvre. La fin des « Contes d’Hoffmann » l’illustre : à l’amour terrestre, temporaire et malgré la force attractive de ce dernier, il faut préférer l’immortalité de l’art, illustré par le dernier air, « la muse apaisera ta souffrance bénie ». En choisissant de réfléchir à ces rendez-vous manqués avec trois femmes, une automate qui finit cassée comme un jouet, une chanteuse lyrique qui entretient, à travers le souvenir de la voix d’une mère défunte, un rapport mortifère avec le chant et une courtisane vénale qui dérobe le reflet du poète en contrepartie d’un diamant, le récit des « Contes d’Hoffmann » représente un genre particulier dans l’œuvre plus générale du créateur de la « Belle Hélène » ou de « La vie parisienne ».
La soprano Annick MassisC’est cette consistance quasi philosophique et psychologique de l’œuvre que l’Opéra de Nice est parvenu à montrer sans faille lyrique ni dramaturgie excessive. Homme de théâtre, Paul-Emile Fourny s’en est donné à cœur joie avec, pour chacun des actes, une mise en scène qui réussit à équilibrer symbolisme et esthétisme. Les voix et les gestuelles peuvent dès lors s’y épanouir. Celle, en premier lieu, d’Annick Massis qui avait précisé dans un entretien à France-Musique qu’elle « attendait beaucoup » de cette production. Elle ravit par les capacités de son spectre vocal, nous faisant oublier qu’elle « était souffrante » : un air d’une exceptionnelle virtuosité dans le premier acte -elle le compare dans une interview accordée à Concertclassic à celui de la Traviata dans le premier tableau-, un caractère plus ingénu dans le second et des tonalités plus sombres dans le troisième. Elle charme également par l’excellence de son jeu : aux qualités de soprano s’ajoutent des talents de comédienne, notamment dans le rôle d’Olympia qui conjugue gymnastique et vocalises à répétition. La preuve que technique et bonheur de chanter peuvent faire bon ménage. Raison de plus pour s’interroger sur le fait qu’elle soit plus souvent invitée sur les grandes scènes lyriques étrangères que nationales.
Le ténor Luca LombardoDans le rôle du poète transi et après son interprétation remarquable de Macduff dans le « Macbeth » de Verdi donné en ouverture de la saison niçoise, le ténor Luca Lombardo, offre cette fois-ci une voix magnifiquement chargée de souffrances intérieures laquelle, en évitant de tomber dans des affects vocaux et mélodramatiques factices, émeut le public au plus haut point. On saluera l’interprétation, dans des rôles multiples la aussi, du basse Giorgio Surian, lequel navigue avec aisance du côté obscur de la force et dont les évolutions scéniques oscillent tantôt entre le « Joker » de Batman, le « docteur Mabuse » et le « Frankenstein », version Boris Karloff. Si son rôle est minoré dans le livret au point de ne jamais parvenir à contrer les méfaits du Méphisto de service, la mezzo-soprano Juliette Mars campe une muse et un Nicklause, le compagnon d’infortune du poète, justes et énergiques. Elle sait alterner légèreté et gravité, en particulier dans la sublime scène finale où sa voix se fait porteuse d’une éternelle espérance.
La magistrale direction musicale du chef Emmanuel Joël-Hornak a largement contribué au succès de cette représentation : ce jeune chef issu du Conservatoire National Supérieur et qui fit ses débuts à l’Opéra de Paris-Bastille dans une autre œuvre de Jacques Offenbach, a su ménager l’équilibre orchestral et une direction fine des chanteurs qu’il semblait parfois accompagner silencieusement. L’Orchestre philharmonique de Nice et les Chœurs de l’Opéra partageaient visiblement cet enthousiasme collectif au point de parfaire la réussite de cette production.
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