Epoustouflant, magistral, extraordinaire. Le public -et les critiques- ne tarissaient pas d’éloge vendredi 22 janvier à l’Opéra de Nice pour qualifier l’interprétation, par le maestro Oleg Caetani, de la Symphonie n° 11 en sol mineur, « L’année 105 », de Dimitri Chostakovitch. Même l’Orchestre philharmonique de Nice s’y est mis, refusant de se lever à l’invitation du chef, applaudissant lui aussi à tout rompre et affichant sa satisfaction d’avoir pris part à un moment musical exceptionnel. Sans partition pour cette pièce qui dure pourtant près d’une heure, doté d’une incroyable panoplie gestuelle pour signifier au soliste ou à une partie de la phalange la moindre de ses interventions, cet élève de Nadia Boulanger a su diriger un Orchestre philharmonique au diapason technique et émotionnel de son directeur. Avec pour résultat, l’impression de voir défiler devant ses yeux les images induites par cette redoutable œuvre palimpseste commandée au compositeur pour célébrer le quarantième anniversaire de la Révolution d’octobre: Dimitri Chostakovitch choisit subtilement de dénoncer, à travers l’évocation des tragiques événements du 9 janvier 1905-la sanglante répression tsariste de la marche populaire du Palais d’Hiver à Saint-Pétersbourg- l’oppression subie par les peuples vivant sous les régimes totalitaires.
A chacun des quatre mouvements correspond le séquençage scénarisé du drame : le premier Adagio permet de planter le décor du Palais d’Hiver dans une atmosphère « pianissimo » sombre et glaciale, l’Allegro décrit avec une virulence musicale rarement égalée la fusillade du 9 janvier, le second Adagio s’ouvre sur le tempo d’une marche funèbre avant qu’un dernier Allegro non troppo, le « Tocsin », ne réveille l’ardeur combative des révolutionnaires.
La première partie de la soirée a également permis d’apprécier le pianiste Mikhaïl Rudy qui a su habilement interpréter deux morceaux « pour la main gauche » : le Concerto en ré majeur pour piano et orchestre de Maurice Ravel, suivi d’un bis : une nocturne d’Alexandre Scriabine, « toujours pour la main gauche », a expliqué avec une grande honnêteté le célèbre virtuose. On ne peut que souhaiter au réputé soliste dont aucune des qualités poétiques habituelles de son jeu pianistique n’a été altérée malgré les défaillances de sa main droite, un prompt rétablissement.