
Car Parsifal se situe à part dans le répertoire du maître de Leipzig : non seulement par le fait qu’il s’agit du dernier opéra composé par Richard Wagner lequel devait mourir un an plus tard. Mais cette pièce se distingue surtout par son absolue intériorité : point de fulgurantes actions en cascades qui mêleraient les dieux aux hommes, point d’exacerbation hypertrophiée des passions amoureuses jusqu’à leur aboutissement mortifère. Finalement, point de dramaturgie projective où le spectateur se trouve happé, pris à la gorge par le déchaînement de la puissance orchestrale. Non.

La distribution harmonieuse des voix ne constitue pas le moindre des atouts dans la réussite de cette performance : l’américain Gary Lehman, dont la voix intense et l’incroyable tessiture de baryton lui autorisent une interprétation aisée des rôles wagnériens de ténor, sait habilement user de ce registre élargi pour illustrer cette mutation saisissante du personnage de Parsifal entre le premier et le troisième acte. La mezzo-soprano russe Elena Zhidkova accompagne elle aussi superbement cette transformation toute intérieure, passant vocalement des accents ténébreux à la clarté rédemptrice, tout en sachant conserver des intonations plus telluriques qui conviennent bien à l’ambivalence affective, humaine, de Kundry. La basse finlandaise Jukka Rasilainen campe un magnifique Amfortas à la voix sombre, puissante, dotée de graves stables et émouvants. On félicitera Kurt Rydl dans le rôle de Gurnemanz pour ses efforts à lutter efficacement contre les méfaits à peine repérables de sa sinusite.
On restera néanmoins très critique sur la mise en scène et les décors. Roland Aeschlimann n’est certes pas un novice mais Dagmar Pischel commet la grossière erreur de chercher à imposer et non à suggérer, à proposer au public de se laisser envahir par la symbolique christique : le premier acte rate ainsi l’éblouissement mystique supposé de la réunion des chevaliers lesquels se penchent comiquement d’un côté ou d’un autre pendant la cérémonie. Que dire aussi des déroutants décors ? Une réplique de la « porte du temps » dans Stargate -il paraît que c’est la cavité d’un objectif photographique- pour métaphoriser le cheminement intérieur, un Graal réduit à une image du Christ projetée dans un jeu techniquement instable et qui ôte à ce « Höhepunkt » toute sa mystérieuse solennité, une scène finale qui rejoue la Pietà de manière factice: ce Parsifal niçois pouvait aisément convaincre sans l’abus de ces douteux artifices.