La Littérature qui rencontre opportunément l’Histoire et qui médite, brillamment, sur l’Economie. De 1927 à 1933, Paul Claudel, futur Académicien, devient Ambassadeur de France à Washington après avoir dignement représenté l’Hexagone en Chine et au Japon. Durant la Grande Dépression qu’il décrit dans ses moindres détails au travers de ses télégrammes « flamboyants » à destination de « Votre Excellence », son Ministre de tutelle Aristide Briand, le dramaturge parcourt le pays avec autant de curiosité que d’esprit critique. Il en fustige ses « démesures » sur un mode passionné, bien éloigné de cette neutralité protectrice désormais adoptée par les dépêches modernes, où l’arrogante distanciation donne l’illusion à leur signataire d’atteindre une certaine hauteur de vue.
Au-delà de l’agrément littéraire, d’un sens génial de la formule et de l’engagement religieux toujours sous-jacent qui lui font déjà écrire en 1893, lors de ses premiers séjours à New York, que le « credo a été remplacé par le crédit », ses réflexions sur la crise de 1929 viennent étrangement éclairer celle de l’automne 2008. Intelligemment précédée d’une introduction elle-même nourrie de querelles d’experts sur le fait de savoir ce qui rapproche ou oppose l’effondrement d’avant guerre de celui que nous vivons, cette recension des télégrammes diplomatiques issus des archives du Ministère de l’économie et publiée récemment aux Editions Métailié offre au lecteur un incomparable outil d’appréhension et de réflexion sur les événements financiers récents.
Comme pour planter le décor, l’éminent Chef de Mission rappelle dans son message du 30 mai 1928 sur les « causes, les conditions et les dangers qui menacent la prospérité américaine », un « fait qu’il ne faut jamais perdre de vue » : la « richesse intrinsèque des Etats-Unis ». Mais il en énumère aussi rapidement les inconvénients et les risques, fondés selon lui sur « la vanité et l’esprit d’émulation » qui sévissent « partout avec excès » et, en particulier, dans les milieux de la finance: devenue « une caisse où beaucoup de gens cherchent un placement pour leurs économies », les Etats-Unis offrent tant « d’innombrables occasions de faire de l’argent » que « s’occuper de politique revient à perdre son temps ».
Parmi les « symptômes inquiétants » relevés par l’Ambassadeur dans ses nombreux rapports et qui annoncent la terrible crise de l’année suivante, Paul Claudel note pour 1928 « une spéculation boursière sans précédent dans l’histoire de Wall Street » et pointe « l’abus de crédit » qualifié par ailleurs « d’institution magique », comme source de tous les maux à venir. S’ils sont parfois d’un intérêt inégal, les télégrammes réjouiront néanmoins les spécialistes de l’histoire américaine qui y puiseront de précieux éclairages sur son secteur industriel et sur les mécanismes qui articulent la politique du Congrès avec celle de la Maison-Blanche. Quelques-uns de ces textes évoquent, plus rarement il est vrai, des thèmes de politique étrangère. Un opuscule que bon nombre de nos aventuriers de la bourse seraient bien inspirés de prendre comme lecture de chevet.
Paul Claudel, « La crise », Amérique, 1927-1933 », Editions Métailié, 2009.